Les journées de canicule ne font pas que causer des coups de chaleur aux travailleurs, elles ont une foule d’effets indésirables, surtout chez les individus les plus pauvres. Avec le réchauffement climatique, le monde du travail devra s’adapter pour prévenir les accidents de travail et freiner les inégalités.

Des données américaines montrent que le risque de blessures causées par des chutes ou des accidents avec des véhicules ou de la machinerie augmente considérablement lors des jours de forte chaleur. En Californie seulement, 20 000 accidents de travail seraient liés à la chaleur accablante chaque année. Cette situation s’explique en partie par le fait que les travailleurs ont beaucoup de difficulté à se concentrer lorsque le mercure est très élevé, et font donc plus d’erreurs, rapporte le New York Times.

Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela ne concerne pas que les employés qui travaillent à l’extérieur, mais aussi ceux qui exercent leur métier dans des endroits comme des usines et des entrepôts.

Ces blessures supplémentaires se traduisent par des pertes de salaire et des factures médicales plus élevées pour les travailleurs à faible revenu dans un large éventail de secteurs, ce qui creuse l’écart de rémunération à mesure que les températures augmentent.

Ces conclusions font suite aux vagues de chaleur record qui ont frappé l’ouest des États-Unis et la Colombie-Britannique au cours des dernières semaines et qui ont tué environ 800 personnes, aggravé les incendies de forêt, provoqué des pannes d’électricité et même tué des centaines de millions d’animaux marins.

Un problème sous-estimé

Pour comprendre le lien entre la chaleur extrême et les blessures des travailleurs, Jisung Park, professeur de politique publique à l’Université de Californie à Los Angeles, a obtenu des rapports d’accidents de travail s’étant produits en Californie de 2001 à 2018 et a construit une base de données de plus de 11 millions de blessures indiquant notamment la date et le code postal des victimes.

Les auteurs ont combiné ces rapports avec les températures maximales enregistrées pour chaque jour et chaque lieu. Ils ont ensuite cherché à savoir si le nombre de blessures augmentait les jours où les températures étaient plus élevées, et de combien.

Les rapports officiels faisaient état d’une moyenne d’environ 850 blessures par an officiellement classées comme étant causées par des températures extrêmes, mais l’analyse des chercheurs suggère que ce décompte est beaucoup trop faible.

Lorsque la température se situe entre 29 et 32 degrés Celsius, les chercheurs ont constaté que le risque global d’accidents de travail, quelle qu’en soit la cause officielle, était de 5 à 7 % plus élevé que les jours où les températures se situaient autour de 16 degrés. Lorsque la température dépasse les 37 degrés, le risque global de blessures augmente de 10 à 15 %.

Les risques supplémentaires d’accidents de travail liés aux températures élevées ne sont pas répartis uniformément. Selon les chercheurs, les 20 % de travailleurs les moins bien rémunérés souffrent cinq fois plus de blessures liées à la chaleur que les 20 % de travailleurs les mieux rémunérés. Ces derniers travaillent notamment dans les secteurs de la finance ou des soins de santé, et ont davantage accès à de l’air climatisé. Les métiers mieux rémunérés comportent également moins de risques physiques. La perte de concentration causée par la chaleur peut donc engendrer une baisse de productivité, mais rarement un problème de sécurité.

Le risque serait également plus élevé chez les jeunes travailleurs et les hommes, qui sont plus susceptibles de travailler dans des endroits où les conditions sont dangereuses.

Le Dr Park soutient que les gouvernements devraient en faire davantage pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de limiter les futures hausses de température. Mais dans l’intervalle, les travailleurs doivent être mieux protégés des effets des températures élevées, insiste-t-il.

En 2005, la Californie a commencé à exiger des employeurs qu’ils prennent différentes mesures pour protéger les employés les jours où la température dépasse 35 degrés Celsius, comme fournir de l’eau, de l’ombre et des pauses obligatoires. Or, depuis 2005, la chaleur extrême semble avoir causé moins d’accidents de travail selon l’étude, signe que ces mesures fonctionnent.

Le Québec n’est pas épargné

Même si les travailleurs québécois ne sont pas confrontés à un climat aussi aride qu’en Californie, le lien entre chaleur et accident de travail existe ici aussi. Selon l’Institut national de santé publique du Québec, chaque degré qui excède la température maximale quotidienne moyenne entraîne une augmentation de 34 % des réclamations à la CNESST. Œdème, syncope, épuisement, insolation et coup de chaleur sont les problèmes de santé les plus souvent rapportés, peut-on lire sur Radio-Canada. La hausse représente sept réclamations supplémentaires par année, précise l’Institut.

Les chiffres réels sont cependant beaucoup plus élevés, estime l’INSPQ, puisque seulement une minorité de travailleurs présentent des réclamations pour des incidents liés à la chaleur. Par exemple, les travailleurs qui souffrent d’épuisement ou qui s’évanouissent rentrent souvent se reposer à la maison, avant de reprendre le chemin du travail le lendemain.

En raison des changements climatiques, le nombre de réclamations quotidiennes liées à la chaleur dans les milieux de travail pourrait bondir de 73 % à 165 % d’ici 2050, projette l’INSPQ.