
Les pharmacies québécoises sont aux prises avec une pénurie croissante de main-d’œuvre.
Les pharmaciens jouent dans le même film que les infirmières en ce qui a trait aux agences privées de main-d’œuvre. L’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) tire la sonnette d’alarme avant que la situation ne devienne complètement incontrôlable.
« Il y a beaucoup de similitudes avec les problèmes de la main-d’œuvre indépendante avec les infirmières. C’est le même phénomène », affirme Benoit Morin, président de l’AQPP. « Il y a des agences de remplacement qui recrutent les pharmaciens dans les pharmacies, les engagent, puis après les offrent aux pharmaciens propriétaires en échange de remplacements. Mais ça crée des trous. À chaque fois qu’ils recrutent un pharmacien, c’est un pharmacien de moins qui est dans le réseau. »
L’association a décidé de décréter, mardi, une journée sans recours aux agences de remplacement en pharmacie communautaire. Elle espère ainsi sensibiliser le gouvernement et les agences à la crise qui sévit dans le réseau des pharmacies.
L’Association des bannières et des chaînes de pharmacies du Québec, qui comprend les grandes chaînes comme Brunet, Familiprix, Jean Coutu et Uniprix, s’est jointe au message de l’AQPP.
Depuis toujours, les pharmaciens ont recours à des agences de remplacement pour combler des besoins ponctuels, explique M. Morin. Depuis environ cinq ans, le manque de main-d’œuvre s’est « accentué artificiellement », dit-il, et de plus en plus de pharmaciens décident de faire du remplacement plutôt que de s’investir dans un milieu.
Les pharmaciens remplaçants vont souvent avoir de meilleurs salaires et des horaires plus intéressants. « Ça vient créer comme deux classes de pharmaciens: ceux qui choisissent leur horaire et ceux qui vivent avec le reste », déplore M. Morin.
Il constate que plusieurs étudiants sont attirés par les agences pour faire seulement du remplacement. « Il y en a beaucoup qui vont aller faire ça pour ramasser des sous ou se donner de la liberté, aller plus souvent en vacances. Mais ça ne répond pas aux besoins de la population actuelle », soulève-t-il. En effet, nombreux sont ceux qui ont besoin que les pharmacies soient ouvertes en soirée et la fin de semaine pour pouvoir aller chercher leurs médicaments.
Les étudiants ne sont pas les seuls attirés par la flexibilité qu’offre le remplacement. Des pharmaciens en fin de carrière ont aussi « l’attrait de pouvoir choisir leurs heures », indique M. Morin.
Une loi pour encadrer les pharmaciens remplaçants?
M. Morin a fait savoir que le ministère de la Santé avait « une grande sensibilité au phénomène ».
« Au début, il y a quelques années, je me disais: nous sommes des entreprises privées, il faut que nous gérions notre main-d’œuvre nous-mêmes, on est bon là-dedans. Mais j’avoue que là, on est un peu à l’association au bout de nos ressources. Je pense que ça va prendre de l’aide extérieure du gouvernement ou autre pour nous aider à freiner ce phénomène », admet-il.
M. Morin n’est pas fermé à l’idée qu’une loi encadre le recours aux pharmaciens remplaçants. « On n’exclut rien », répond-il.
En 2023, le gouvernement Legault a adopté une loi et un règlement pour limiter l’utilisation des agences de la main-d’œuvre indépendante (MOI) dans le réseau de la santé et des services sociaux, mais cela n’inclut pas les pharmaciens.
Après les critiques des établissements qui n’étaient pas en mesure de continuer à offrir des soins optimaux à la population sans les infirmières issues des agences privées, le ministre de la Santé, Christian Dubé, avait décidé de donner plus de temps aux établissements pour s’organiser. La réglementation est actuellement appliquée progressivement, région par région, jusqu’en octobre 2026.
Pénurie de 1150 pharmaciens
En 2024, un million d’heures de remplacement ont été effectuées en pharmacie et l’AQPP craint que ce nombre continue de grimper de façon exponentielle si rien n’est fait. La situation pourrait mettre en péril le développement des services cliniques de première ligne, préviennent les pharmaciens.
Actuellement, le taux de postes vacants en pharmacie communautaire est de 12 %, comparativement à 3 % dans le reste de la province, tous secteurs confondus. L’AQPP a calculé qu’il manquait 1150 pharmaciens à temps complet et partiel au Québec pour combler les besoins.
« Chaque année, les pharmacies ont de plus en plus de pouvoir, d’autonomie, et elles rendent plus de services à la population […] mais on a de moins en moins de personnes pour le faire », expose M. Morin.
« Malgré que depuis 2019, on a 51 % de croissance d’activité clinique de toutes sortes avec les pouvoirs qui nous ont été consentis, — puis là, il y a projet de loi 67 — c’est comme s’il faut en faire toujours de plus en plus avec de moins en moins de monde, ou en les payant de plus en plus cher, ce qui ne fonctionne pas dans le modèle économique. »
Le projet de loi 67 vise à élargir certaines pratiques professionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux.
Le président de l’AQPP souhaite que son message trouve écho auprès des pharmaciens qui ont décidé de faire uniquement du remplacement. « [Qu’ils prennent] conscience de l’importance qu’ils ont pour la société québécoise de s’investir, de connaître leur clientèle, de développer leurs pratiques avec le projet de loi 67. Ça, ça se fait avec un milieu, avec une clientèle stable », souligne-t-il.