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Avec des publicités apparaissant à la télévision, sur les réseaux sociaux, sur des panneaux d’affichage géants et lors de matchs sportifs professionnels, les Canadiens semblent bombardés par le marketing des médicaments Ozempic et Rybelsus.

Certains d’entre eux se sont tournés vers les médias sociaux pour documenter leurs observations les plus remarquables, notamment des publicités d’Ozempic et Rybelsus enveloppant des tramways entiers et encerclant le terrain lors des matchs de baseball des Blue Jays de Toronto.

Les deux médicaments sont à base de sémaglutide et fabriqués par Novo Nordisk _ Ozempic est la forme injectable et Rybelsus est sous forme de pilule. Ils sont approuvés au Canada pour le traitement du diabète de type 2 et souvent prescrits pour traiter l’obésité.

Mais certains médecins et experts en éthique médicale estiment que la campagne de marketing est trop agressive. Ils craignent qu’une saturation aussi intense de la publicité ne conduise à une pression sur les médecins pour qu’ils prescrivent Ozempic à des patients qui n’en ont pas réellement besoin, entraînant des pénuries pour ceux qui en ont besoin.

Ils redoutent également que des effets secondaires potentiels graves tels que la pancréatite et l’inflammation de la vésicule biliaire, bien que rares, ne commencent à apparaître en raison du volume considérable de personnes prenant le médicament.

« Ce que (l’entreprise) essaie de faire, c’est de mettre les publicités dans tellement d’endroits qu’il est très difficile d’éviter de les voir », a déclaré le docteur Joel Lexchin, professeur émérite à l’Université York qui étudie la politique pharmaceutique.

Santé Canada permet aux sociétés pharmaceutiques de diffuser des « annonces de rappel », a précisé le docteur Lexchin. Les publicités peuvent énoncer le nom du médicament, mais elles ne peuvent pas dire quelles conditions il traite. Au lieu de cela, elles exhortent les gens à interroger leur médecin sur le médicament.

Kate Hanna, porte-parole de la branche canadienne de Novo Nordisk, a déclaré lundi à La Presse Canadienne que la campagne de marketing nationale s’adressait aux personnes atteintes de diabète de type 2.

« Le diabète n’est pas géré efficacement et ce n’est pas un marché de niche. Le diabète est une crise de santé publique », a justifié Mme Hanna.

« Il est vraiment nécessaire d’éduquer les Canadiens sur le risque de diabète de type 2 et d’aider les personnes atteintes de cette maladie à engager leur professionnel de la santé pour des soins optimaux. »

Un médicament de vedettes

Mais cette salve publicitaire s’ajoute à une explosion de la promotion non officielle d’Ozempic pour la perte de poids par des influenceurs et des célébrités. Les médecins et les pharmaciens canadiens ont déjà confirmé une énorme augmentation du nombre de patients demandant le médicament à cette fin.

Les publicités de rappel omniprésentes sont susceptibles d’inciter davantage de personnes souhaitant perdre du poids à faire pression sur leurs médecins pour qu’ils prescrivent Ozempic, même s’ils ne sont pas diabétiques ou ne répondent pas aux critères cliniques d’obésité, a déclaré le docteur Lexchin.

« Ce n’est pas approuvé pour traiter quelqu’un qui veut perdre 10 ou 15 livres afin qu’il puisse s’adapter à un maillot de bain ou à un smoking ou autre. Mais les publicités que vous voyez ne vous le disent pas », a-t-il expliqué.

« Vous avez essayé de perdre du poids, vous pensez que si vous pouvez passer de 180 à 160 (livres), vous serez en bien meilleure forme. Vous voyez une de ces publicités et vous allez voir votre médecin. Et c’est ce que ce genre de publicité est conçu pour faire. »

Même les spécialistes du diabète et de l’obésité qui vantent Ozempic pour son efficacité dans le traitement de ces conditions s’inquiètent de la stratégie marketing de Novo Nordisk. « Je ne suis pas impressionné », a déclaré le docteur Ehud Ur, endocrinologue au St.Paul’s Hospital et au Vancouver General Hospital.

Le docteur Ur a noté qu’il a été impliqué avec Novo Nordisk pour « de nombreux médicaments différents » et qu’il a personnellement trouvé les pratiques de l’entreprise éthiques. Mais « la pression pour amener tout le monde et leur chien sur Ozempic » est problématique, a-t-il souligné.

« Nous n’avons jamais eu un médicament aussi bon qu’Ozempic. Mais d’un autre côté, nous n’avons jamais eu autant d’intérêt et autant de pression sur les gens pour qu’ils le prescrivent », a-t-il expliqué.

Des risques associés

Comme pour tous les médicaments prescrits, les médecins doivent procéder à une évaluation des risques par rapport aux avantages, a-t-il déclaré.

Selon le site web du fabricant, le médicament peut entraîner des effets secondaires mineurs, dont des nausées, des vomissements, de la diarrhée, de la constipation et des douleurs abdominales. Les risques plus graves, mais rares, comprennent l’inflammation du pancréas, les problèmes de vésicule biliaire, les problèmes rénaux et l’hypoglycémie. Des études animales ont trouvé une association entre Ozempic et les tumeurs thyroïdiennes chez le rat, mais il n’est pas clair si c’est un risque réel chez l’homme.

Pour une personne atteinte de diabète ou d’obésité, les risques de ne pas recevoir de traitement efficace l’emportent souvent sur les rares risques potentiels associés à Ozempic, a indiqué le docteur Ur.

Mais pour quelqu’un qui veut perdre 10 à 20 livres pour des raisons « cosmétiques », le bénéfice médical peut ne pas valoir le risque.

Le problème avec la campagne publicitaire de masse d’Ozempic est qu’elle cultive l’impression chez les gens qu’il s’agit d’un « médicament miracle qui va les aider à perdre du poids », a-t-il soutenu. S’ils convainquent leur médecin de le prescrire, ces patients « vont maintenant s’exposer au risque d’une intervention médicale sans grand bénéfice médical », mentionne-t-il.

L’énorme demande d’Ozempic pourrait également créer des pénuries pour les patients qui en dépendent pour le contrôle du diabète, a indiqué le médecin, notant qu’il a des patients qui ont déjà eu des problèmes avec le médicament en rupture de stock.

La campagne respecte la loi

Malgré les critiques, la campagne de marketing Ozempic de la société est conforme à la loi canadienne, a déclaré lundi Santé Canada dans un courriel.

« À ce jour (Santé Canada) a évalué 30 plaintes. Les publicités actuelles d’Ozempic qui ont été examinées sont jugées conformes aux dispositions actuelles en matière de publicité au Canada », indique le courriel.

Les docteurs Lexchin et Ur croient tous deux que le Canada ne devrait autoriser aucune publicité directe aux consommateurs pour les médicaments sur ordonnance, à l’instar des réglementations en vigueur au Royaume-Uni et en Europe.