La sixième édition du colloque sur la santé mentale, qui se tenait le 5 novembre dernier à Montréal, a permis d’explorer les perspectives des employeurs, des gestionnaires et des employés concernant cet important facteur d’absentéisme. Organisé par le magazine Avantages, l’événement avait pour thème « Les multiples visages de la santé mentale » et présentait quelques avenues pour améliorer la santé psychologique en entreprise. Pour télécharger les présentations, cliquez ici.

Comprendre pour mieux agir

Un rapport1 de l’organisme MHI (Mental Heath International), rendu public en juin dernier, urge le monde des sciences et le milieu des affaires de créer des partenariats pour mieux comprendre les causes de la maladie mentale. « La compréhension des causes nous rapproche de traitements plus efficaces, indique Christiane Legault, conseillère principale en stratégies et solutions santé au sein de la pratique Assurance collective au bureau montréalais d’Aon Hewitt. Malheureusement, les connaissances ont tendance à rester dans le monde de la science. Il faut aider les scientifiques à sortir de leur bulle et à vulgariser leur savoir. »

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, la maladie mentale entraîne des coûts évalués à près de 51 milliards de dollars par an en ce qui concerne les demandes d’indemnisation pour incapacité de courte ou de longue durée et la baisse de productivité au travail. « L’impact de la maladie mentale sur l’invalidité est souvent évoqué, mais il influence également l’espérance de vie, mentionne Mme Legault. Les personnes aux prises avec une maladie mentale sérieuse peuvent voir leur espérance de vie réduite de 25 ans, notamment en raison des problèmes de santé physique qui en résultent et des suicides plus nombreux. »

Créer des alliances entre le monde des affaires et celui de la science permettrait un meilleur retour sur l’investissement. « Les coûts des traitements de la maladie mentale sont minimes comparativement à l’impact économique de l’invalidité, de l’atteinte des capacités cognitives, de la diminution de la productivité et des décès prématurés liés aux suicides, indique-t-elle. Il faut obtenir des résultats aussi extraordinaires dans le combat de la maladie mentale que ceux obtenus au cours de la dernière décennie dans le combat contre le Sida. Les gens doivent apprendre à travailler ensemble, à parler, à discuter, à échanger. Le rapport de la MHI n’est pas qu’un appel à la réflexion et à la discussion, c’est un appel à l’action ! »

Miser sur la résilience en milieu de travail

La résilience, qui définit la capacité de rebondir à la suite d’expériences difficiles, est un élément essentiel à considérer par les employeurs pour mieux prévenir et prendre en charge les problèmes de santé mentale dans les milieux de travail. Des déterminants génétiques, sociaux, environnementaux, physiques ou liés aux conditions de vie des personnes ont une incidence sur leur santé et leur productivité. « L’estime de soi et la confiance en soi sont des éléments essentiels pour faire face à des événements difficiles », précise Caroline Codsi, vice-présidente principale et directrice générale, Est du Canada à Cira Services médicaux.

Plusieurs stratégies peuvent être envisagées dans les entreprises pour renforcer la résilience des employés et favoriser des effectifs en bonne santé, engagés et productifs. « Il faut entreprendre un dialogue sur l’importance de comprendre la résilience de nos collègues, indique Mme Codsi. Il faut également faire comprendre les seuils de résilience de nos employés et trouver des façons de nous assurer que nous identifions et soutenons ceux qui manquent de résilience. »

Au chapitre du soutien à offrir aux employés qui manquent de résilience, Caroline Codsi précise que « s’apitoyer sur une personne est la pire chose à faire ». Cette démarche risquerait d’emprisonner la personne dans un statut de victime « qui ne l’aiderait pas à surmonter ses difficultés, explique-t-elle. Il faut plutôt laisser à la personne l’espace propice pour se reconstruire et retrouver sa fierté. »

Lutter contre la stigmatisation au travail

La santé mentale est souvent propice aux préjugés et aux attitudes négatives et préjudiciables. L’autostigmatisation a également des effets pervers, prévient Jacques Sauvageau, vice-président et directeur général, Québec à Homewood Santé. « L’intégration de ces préjugés, attitudes et comportements par une personne qui souffre d’un problème de santé mentale peut retarder son accès à des soins ou même l’en priver », prévient-il.

Pourtant, on prévoit que 20 % de la population connaîtra une maladie mentale à un moment ou l’autre dans sa vie2. « Il est important d’en parler car les deux tiers des personnes atteintes souffrent en silence, indique M. Sauvageau. 54 % des Canadiens croient que le fait d’admettre leurs troubles de santé mentale réduira leurs possibilités de promotion et seulement 23 % se sentent à l’aise de discuter de leur santé mentale avec leur employeur. » Or le présentéisme a un impact économique considérable. « Il engendre des pertes de productivité beaucoup plus importantes que l’absentéisme », précise Virginie Gosselin, conseillère principale, Santé & mieux-être à la Standard Life.

Certaines entreprises mettent en place des approches pour lutter contre la stigmatisation de la maladie mentale au travail. « Les programmes de “pairs aidants” et de “champions en entreprise” se sont avérés efficaces, souligne Mme Gosselin. La Commission de la santé mentale du Canada évalue actuellement 68 programmes de lutte contre la stigmatisation et nous avons bien hâte de connaître les résultats ! »

Un des principes fondamentaux à retenir pour une meilleure prise en charge de la santé mentale au travail est de la considérer au même titre que les autres maladies, rappelle Jacques Sauvageau. « Les attitudes des collègues peuvent faire toute la différence entre un rétablissement complet et un échec », mentionne-t-il.

L’implication de l’employeur

L’employeur joue un rôle clé dans le succès du retour au travail d’un employé, rappelle Michèle Parent, vice-présidente, Invalidité groupe, région de l’Est à la Financière Sun Life. « L’an dernier, une étude du Conference Board du Canada révélait que seulement 41 % des entreprises ont un programme officiel de retour au travail », déplore-t-elle. Cette absence de suivi est d’autant plus préoccupante que l’Indice de mieux-être des Canadiens Sun Life 2014 indique que les jeunes sont les plus stressés. Chez les 18-24 ans, neuf répondants sur dix (88 %) se disent soumis à au moins une source de stress excessif ou inconfortable. « Il est important que les employeurs fournissent du soutien aux employés, déclare Mme Parent. L’intervention précoce est importante car les chances de retour au travail diminuent de façon exponentielle avec la durée de l’absence d’un employé. Un programme de soutien de la présence au travail permet aussi d’éviter l’absence. Les accommodements envisageables pourraient être par exemple un horaire de travail différent ou la possibilité de travailler à la maison une journée par semaine. »

L’implication des employeurs est essentielle puisque les années à venir s’annoncent remplies de défis. « Les statistiques indiquent qu’il y aura moins de travailleurs disponibles sur le marché du travail et que, parmi ceux qui travailleront, le nombre d’invalidités sera plus important, annonce Michèle Parent. La pression pour que les employeurs accommodent les employés afin qu’ils retournent au travail le plus rapidement possible et en toute sécurité sera donc énorme dans les prochaines années. »

Les mesures efficaces

En avril dernier, des chercheurs de l’Université de Montréal, en collaboration avec leurs collègues de l’Université Concordia et de l’Université Laval, ont dévoilé les conclusions de l’étude SALVEO sur les pratiques de gestions efficaces associées à des taux moins élevés de demandes de règlement liées à des problèmes de santé mentale.

Depuis 2011, les chercheurs ont interrogé plus de 2100 travailleurs de 63 organisations québécoises afin d’analyser les facteurs tant personnels que professionnels pouvant mener au développement de la détresse psychologique, de la dépression et de l’épuisement professionnel. Parmi les constats rapportés, les entreprises qui offrent une conception des tâches dans leurs pratiques de gestion obtiennent des résultats encourageants. « Celles qui travaillent sur la conception des tâches et des postes de travail ont 6,8 fois plus de chance d’avoir des taux de réclamations plus faibles pour des problèmes de santé mentale, explique Pierre Durand, professeur titulaire à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. Les entreprises qui ont un bon système d’évaluation du rendement au travail et un système de gratification ont aussi 2,8 fois plus de chances d’avoir un taux de réclamations plus faible que les autres entreprises. »

L’étude révèle également que les entreprises qui encouragent l’équilibre travail-famille et font la promotion d’activités physiques et d’activités de loisir parviennent à réduire leurs taux de réclamations liés à la santé mentale. « Les entreprises qui sont dans le “laisser-faire” favorisent l’apparition de problèmes de santé mentale et un taux de réclamations plus élevé », indique M. Durand.

Le coresponsable de l’étude met en garde les chefs d’entreprise au sujet des programmes de gestion du stress des employés. « Les techniques de gestion du stress n’ont pas d’incidence significative sur la réduction des taux de réclamations pour des problèmes de santé mentale, indique Pierre Durand. Il faut donc se méfier de toutes les techniques vendues aux entreprises. »

À l’issue des résultats de l’étude SALVEO, les chercheurs confirment qu’il est possible de prévenir les problèmes de santé mentale en milieu de travail et de réduire les coûts associés aux demandes de règlement en cas d’invalidité. « Les pratiques portant sur la conception des tâches, les gratifications, la promotion de l’activité physique et la conciliation travail-famille s’avèrent particulièrement efficaces, conclut Pierre Durand. Cela vaut la peine d’investir dans des pratiques de gestion intégrée. »

1 www.mentalhealthinternational.ca

2 Rapport sur les maladies mentales au Canada, Santé Canada.