
On entend souvent que le prix des médicaments au Québec n’est pas le même qu’ailleurs au Canada. En fait, si on creuse un peu, on constate que plusieurs facteurs expliquent ces différences : des comportements de consommation jusqu’aux soins de santé, en passant par les médicaments eux-mêmes et les particularités du système de santé québécois. Passons en revue ces enjeux locaux dans le contexte national.
Régime universel mixte
Au Québec, tous les citoyens ont accès à un système d’assurance-médicaments. Soit ils bénéficient d’un régime collectif privé offert par leur employeur ou celui de leur conjoint, voire par une association professionnelle, soit ils sont couverts par régime public administré par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).
Cette particularité unique à notre province implique une certaine uniformisation qui oblige les régimes privés à offrir au minimum la même couverture que la RAMQ. Celle-ci inclut une liste de médicaments, des minimums de couverture, ainsi qu’un déboursé annuel maximal pour les participants. Notons que des discussions sont en cours pour harmoniser la situation du prix le plus bas (c’est-à-dire que la couverture d’un médicament de marque pourra aller jusqu’au coût de l’équivalent générique pour les régimes privés comme le régime public). Toutefois, même lorsque ce sera fait, le minimum de couverture continuera d’exister. Puisqu’il ne se retrouve pas ailleurs au pays, il limite d’une certaine façon la flexibilité des régimes privés au Québec.
Habitudes de consommation
Les Québécois font une utilisation plus faible des médicaments génériques qu’ailleurs au pays. On parle de 54 % en nombre d’ordonnances, contrairement à plus de 60 % dans le reste du Canada. Il s’agit d’un écart qui rétrécit (de 11 % en 2008) mais qui persiste1. Cette utilisation réduite des produits génériques, ajoutée au fait que leur prix est généralement plus élevé au Québec qu’ailleurs, empêche la réalisation de toutes les économies devenues possibles grâce aux récentes pertes de brevets pharmaceutiques et aux réformes baissières du prix des médicaments génériques.
D’un autre côté, rappelons que les Québécois consomment plus de médicaments sur ordonnance par personne quand on les compare aux autres Canadiens2. Une des raisons expliquant ce phénomène peut être le manque de médecins de famille combiné à l’arrivée de médicaments efficaces, faciles et rapides à prescrire qui sont utilisés au détriment des traitements alternatifs, comme les changements d’habitudes de vie. Ces derniers demandent plus de temps d’intervention de la part des professionnels de la santé.
Typiquement, le patient québécois moyen fait exécuter ses ordonnances pour troubles chroniques chaque mois, alors qu’il n’est pas rare de voir des durées de service de 90 à 100 jours ailleurs au pays3. Une fréquence plus longue de renouvellement pourrait certainement permettre des économies, mais celles-ci risquent d’être minimisées par une perte due aux changements de dosages.
Modèle unique en pharmacie
Il faut reconnaître que le Québec est le seul endroit au Canada, et un de deux en Amérique du Nord – l’autre étant le Dakota du Nord4 –, où il faut obligatoirement être pharmacien pour être propriétaire d’une pharmacie. Depuis longtemps, ce modèle est considéré dans le milieu comme garant d’une meilleure protection du public, puisque c’est ultimement un professionnel de la santé – qui est aussi commerçant – qui prend les décisions à l’arrière du comptoir.
De façon régulière au fil des ans, ce modèle a aussi été associé aux différences de prix observées dans les pharmacies québécoises. Il est publiquement reconnu qu’il existe un écart entre les régimes privés et public5. Certains arguments structurels peuvent expliquer en partie cette différence – les régimes privés étant plus chers à administrer – mais il reste tout de même un écart. Cet enjeu s’avère complexe et plusieurs éléments doivent être considérés. En collaboration avec l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP) et le Regroupement des assureurs de personnes à charte du Québec (RACQ), on essaie de trouver des pistes de solutions en collaboration avec les intervenants concernés afin d’alléger certains irritants tout en assurant un accès aux soins et la bonne gestion des régimes privés.
Des régimes privés repensés
Ces dernières années, l’industrie a conçu des mécanismes de contrôle permettant de réaliser certaines économies (par exemple : la substitution générique, l’autorisation préalable, ou les formulaires par paliers). Or, pour diverses raisons – négociations ou régime sans carte-médicaments –, encore trop peu de régimes intègrent ces mécanismes d’emblée. Un changement de culture, autant pour les employeurs que leurs employés, serait souhaitable en vue de passer d’une gestion passive à une gestion active et plus dynamique des régimes.
Au Québec plus qu’ailleurs, on utilise les cartes de paiement différé (à 8 %) et le remboursement papier (jusqu’à 17 %) au lieu d’une carte de paiement direct en pharmacie6. En effet, 75 % des remboursements québécois se font par carte de paiement direct comparativement à 84 % au Canada. Cette dernière rendant une réponse en temps réel, elle permet d’administrer les paramètres du régime sur place en pharmacie plutôt que de façon rétrospective. On rend ainsi l’expérience du participant sensiblement meilleure.
Sans être uniques au Québec, de nouveaux médicaments biologiques et de spécialité sont arrivés sur le marché dans les dernières années. Il va sans dire que l’efficacité améliorée des traitements, avec les répercussions positives qu’on imagine sur la qualité de vie et le retour à la santé des travailleurs, est un grand soulagement. Les prix associés à ces produits peuvent cependant être vertigineux (jusqu’à plusieurs dizaines de milliers de dollars annuellement par personne traitée). Si on veut faire bénéficier les participants des régimes privés de ces avancées, en plus d’une protection des régimes privés par la mutualisation, on doit mettre de l’avant tous les moyens possibles afin de libérer les ressources nécessaires pour absorber les coûts.
On réalise que, comme tout dossier touchant la santé, les coûts associés aux régimes privés d’assurance-médicaments ne peuvent pas s’expliquer simplement. Il n’existe non plus de remède miracle permettant de réaliser des économies. Les lecteurs intéressés à en savoir plus sur la pérennité des régimes privés sont invités à lire le mémoire publié par l’ACCAP en juin 2013 sur le sujet7. Plus concrètement, les promoteurs de régimes ont un rôle à jouer en mettant en place les mécanismes garants d’une meilleure gestion. Ainsi, ils envoient un message clair aux participants : l’accès à un régime privé d’assurance-médicaments n’est pas nécessairement un droit acquis, mais un avantage précieux qui demande à évoluer et pour en assurer la survie. Les utilisateurs des régimes, de leur côté, ont peut-être trop longtemps adopté des comportements passifs à l’égard de leurs médicaments. Ils gagneraient maintenant à devenir plus impliqués dans la gestion de leur santé, afin d’avoir un regard plus éclairé sur leur prise de médicaments, les options qui leur sont présentées et les coûts associés à chaque choix.
Jean-Michel Lavoie est pharmacien et directeur, remboursement des frais de médicaments à la Financière Sun Life.
1 TELUS Santé, Régimes d’assurance-médicaments, Rétrospective 2013
2 Institut canadien d’information sur la santé. Dépenses en médicaments au Canada, de 1985 à 2012. Ottawa (ON) : ICIS; 2013.
3 TELUS Santé, Régimes d’assurance-médicaments, Rétrospective 2013; et données internes Financière Sun Life, Garanties collectives, Remboursement de médicaments 2013
4 Source : Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), 2013.
5 L’Actualité, mai 2013. Dossier : Le prix des médicaments au Québec.
6 Financière Sun Life, Garanties collectives, Remboursement de médicaments 2013.
7 http ://bit.ly/1nZreGi