Fini l’âge d’or du financement des régimes de retraite.
Il aura duré plusieurs décennies, plus précisément
depuis que l’Ontario adopta en 1967 une loi régissant les régimes
de retraite. D’autres provinces ainsi que l’administration fédérale
se hâtèrent d’en faire autant et, dans tous les cas, les
lois stipulaient que le financement des régimes devait se faire dans
une caisse séparée de l’actif de l’employeur.
Ces lois ont préparé le terrain, mais d’autres raisons
expliquent le véritable envol de cette époque dorée. Les
employeurs consentaient à un financement prudent et acceptaient le conservatisme
prononcé des actuaires, car ils considéraient généralement
que les excédents leur appartenaient. Des facteurs démographiques
et des rendements favorables ont également contribué à
la bonne santé financière des régimes de retraite.
Depuis, sous l’effet des transformations suivantes, la situation s’est
nettement détériorée :
FACTEURS DÉMOGRAPHIQUES DÉFAVORABLES – Dans le régime
type, les engagements au titre des retraités dépassent désormais
les engagements au titre des participants actifs. Les engagements de liquidation
sont souvent supérieurs aux engagements établis selon la base
de permanence.
PRUDENCE MOINDRE DES ACTUAIRES – Les actuaires sont encore prudents, certes,
mais beaucoup moins qu’ils ne l’étaient.
LÉGISLATION EN MATIÈRE D’EXCÉDENTS DÉFAVORABLE
À L’EMPLOYEUR – La liste des ennuis qui se sont abattus sur
les employeurs est longue et déprimante: le jugement Dominion Stores,
le moratoire sur la distribution des excédents au Québec, les
recours collectifs, les règles relatives au partage des excédents
en Ontario et ailleurs, les jugements Monsanto et Transamerica, etc. Ces développements
connus n’encouragent pas un conservateur, mais la peur de l’inconnu
est tout aussi inquiétante. Que nous réserve l’avenir?
MAUVAISE FORTUNE – Lorsque les marchés boursiers et les taux d’intérêt
ont dégringolé au début de l’actuelle décennie,
l’actif des caisses de retraite a plongé et les engagements ont
fortement augmenté. Les modestes excédents ou marges actuarielles
se sont rapidement évaporés. Pour de nombreux régimes,
les déficits de financement et les cotisations en découlant ont
atteint un niveau sans précédent.
Quelle évolution suivra le financement des régimes de retraite?
Selon nous, il existe trois possibilités. Si l’on maintient le
statu quo, la route sera cahoteuse. Les employeurs vont continuer à réduire
le financement au minimum, tout simplement parce qu’ils ne savent pas
s’ils bénéficieront jamais des excédents qui se dégagent
de temps à autre. Ils refuseront de jouer « à pile tu gagnes,
face je perds », à moins de jouer pour des sommes faibles. Par
ailleurs, des employeurs feront inévitablement faillite à un moment
où l’actif du régime de retraite ne sera pas suffisant.
Ainsi, d’importantes promesses de rente ne seront pas tenues.
Un groupe de travail de l’Institut canadien des actuaires a émis
des propositions visant à jeter de la lumière sur le financement
des régimes de retraite :
D’abord, l’adoption, par le promoteur du régime, d’une politique
de financement qui établit les objectifs visés par le financement,
traite de l’importance des marges(le cas échéant)que dicte
la prudence, et tient compte de la propriété des excédents
et des déficits.
Puis, des conseils fournis par les actuaires quant aux options possibles et
aux conséquences de chacune.
Aussi, la déclaration cohérente, par les actuaires, du degré
de sécurité des prestations, de la stabilité ou instabilité
attendue des cotisations futures et de l’importance de toute marge de
prudence.
Enfin, la résolution, par les gouvernements, de l’imbroglio juridique
entourant la propriété et l’affectation des excédents.
C’est ce dernier point, plus que tout autre, qui permettrait de stopper
la récente cure minceur du financement.
Une autre possibilité, que certains organismes de surveillance et représentants
syndicaux verraient d’un bon oeil, suppose un retour à l’âge
d’or du financement. Tout simplement, il faudrait que les actuaires et
les employeurs reviennent à une prudence accrue jadis coutumière.
Mais rien de cela ne pourra se faire sans qu’on ne modifie la législation
en matière de retraite de façon importante. Les payeurs ne signeront
pas de plus gros chèques tant que le cadre juridique ne favorisera pas
une plus grande équité.
Nous voilà donc à la croisée des chemins : un changement
radical ou un financement sans filet de sécurité. Tous les intéressés
doivent décider ce qu’ils veulent et ce qu’ils sont prêts
à sacrifier pour l’obtenir.
Mark Campbell est président de la Direction des normes de pratique de
l’Institut canadien des actuaires
Jacques Lafrance est président de la Commission de liaison en matière
de régimes de retraite et de sécurité sociale de l’Institut
canadien des actuaires.