De plus en plus, les régulateurs des régimes de retraite réalisent
la nécessité de resserrer leur contrôle de la solvabilité
des régimes à prestations déterminées, afin de réduire
les risques de perte auxquels les cotisants seront exposés si l’employeur
devait recourir à la protection d’une procédure de faillite et
forcer leur liquidation. La tendance lourde du déficit démographique
des pays industrialisés – alliant un taux des naissances en chute
libre, des expectatives de vie qui se prolongent, et une population dont la
moyenne d’âge est à la hausse1 – rend cette nécessité
de plus en plus pressante.
Selon le US Pension Insurance Data Book, seulement 3,3 % des réclamations
de cotisants à l’encontre de régimes de retraite à prestations
déterminées liquidés entre 1975 et 2003 étaient
financées à plus de 75 %, et plus de la moitié de toutes
ces réclamations l’étaient à moins de 50 %. Le 21 novembre
dernier, un état comparatif des actifs et des passifs hors bilan des
dix plus importants régimes de retraite corporatifs américains
(dont les régimes de GM, IBM et Ford)confirmait que cette tendance allait
en s’alourdissant.
Que faire pour y réagir? La réglementation par des autorités
publiques est-elle la seule façon de mitiger les risques de perte de
retraités qui, dans le futur, pourraient se retrouver plus fréquemment
confrontés au défaut d’un régime de leur verser l’intégralité
de leur rente? Est-il concevable d’offrir aux prestataires de régimes
des moyens contractuels de gérer ces risques?
Un marché organisé de réclamations
de prestations de retraite
Le 6 juillet dernier, un groupe de recherche associé à l’Institut
universitaire INSEAD proposait sa solution : organiser un marché de valeurs
mobilières ayant comme biens sous-jacents des réclamations sur
caisses de retraite ou si l’on veut, le droit d’exiger le paiement d’une prestation
de retraite d’un régime privé. Il suggérait aux gouvernements
de créer un environnement légal et fiscal propice au développement
d’un tel marché.2
La valeur mobilière concernée serait, dans un contexte canadien,
une unité ou une action d’un fonds commun de placement dont l’actif serait
composé en partie de créances sur des caisses de retraite privées.
Ce fonds serait structuré de façon très similaire à
un fonds d’obligations ou à une fiducie de revenus. Les créances
composant son noyau d’actif initial lui seraient cédées par les
prestataires qui en sont les titulaires, en contrepartie d’unités qu’il
leur émettrait.
Une réduction des risques de perte du
prestataire
En leur nouvelle qualité de porteurs d’unités, les retraités
pourraient ainsi, à charge d’assumer leur part des frais de gestion du
fonds, bénéficier d’une diversification du risque qu’à
un moment donné, la totalité de leurs prestations de retraite
cessent de leur être payées. Cette diversification s’opérerait
de deux façons:
- la déconcentration du droit aux prestations par la répartition,
sur un plus grand nombre de caisses de retraite, de l’obligation de financer
le paiement de ces prestations, maintenant servies par le fonds sous forme
de rendement sur ses unités; - la possibilité pour des tiers investisseurs de souscrire des unités
du fonds, et de réduire encore davantage tout risque de déstabilisation
du fonds en conséquence du défaut d’une ou plusieurs caisses
de retraite d’honorer leurs obligations envers lui.
À ces effets de mitigation de risque pourraient être associés
des mécanismes d’assurance ou de garantie publique ou privée,
que le fonds lui-même ou encore un porteur d’unité pourrait théoriquement
acquérir.
Une idée qui peut faire son chemin
Sur le plan de la sécurité du revenu de retraite, cette proposition
ne peut qu’intéresser, car elle présente des avantages pour plusieurs
parties prenantes. On pense notamment:
- aux cotisants, qui veulent sécuriser leur revenu de retraite face
aux pressions auxquelles leurs régimes sont de plus en plus exposés,
tant sur le plan de l’apport de nouvelles contributions que des revenus de
placement; - aux retraités qui, de façon plus courante qu’auparavant,
assistent à une perte de capacité de payer de leur ancien employeur,
aujourd’hui aux prises avec des phénomènes totalement nouveaux
de concurrence et de marché; et - aux gouvernements eux-mêmes, dont le rôle de gardien de la
capacité des régimes de respecter leurs obligations ne pourrait
que s’en trouver allégé.
En cette époque de mobiliérisation grandissante, où les
créances de toutes sortes et les revenus d’entreprises commerciales sont
convertis en valeurs mobilières et négociés sur des marchés
organisés, il ne faudrait pas se surprendre que cette idée puisse
faire son chemin.