L’élimination, l’année dernière, de la limite sur le contenu étranger s’ajoutant à un marché canadien effervescent depuis trois ans incitent maintenant les administrateurs de caisses de retraite à examiner sérieusement l’allocation d’actions étrangères à leur portefeuille. Depuis une vingtaine d’années, nous vantons les mérites d’une perspective internationale et nous constatons que notre communauté d’affaires évolue dans cette direction. En effet, les intervenants sont aujourd’hui beaucoup plus enclins à modifier leur politique de placement.

Plus important encore que ces changements dans la répartition des actifs, il est possible aujourd’hui de modifier de façon fondamentale les modes de gestion des portefeuilles de valeurs mobilières et les politiques qui y président. Quel est l’avantage de cibler un contenu d’actions canadiennes, d’actions américaines ou d’actions EAFE? Comment pouvons-nous nous permettre de catégoriser aussi clairement les entreprises en question? Prenons-nous les bonnes décisions d’investissement en achetant leurs titres sur la base de ce paramètre? Ce cadre de gestion a-t-il pour conséquence de créer chez les gestionnaires une recherche myope?

Des perceptions trompeuses

On classifie souvent les sociétés publiques selon la localisation de leur siège social. Ainsi, on considère que Kingsway Financial, Alcan et Talisman Energy sont des titres canadiens, que Nestlé est suisse et que General Electric et Coca Cola sont des titres américains. Si nous construisions un portefeuille incluant ces entreprises, elles seraient identifiées de cette manière. Mais nous vivons dans un monde complexe où les perceptions sont trompeuses. De fait, les opérations de ces six sociétés s’effectuent en majorité en dehors de leur pays et il en va tout autant de la provenance de leurs revenus.

Dans notre modeste portefeuille, la pondération d’actions canadiennes inclurait seulement Kingsway, Alcan et Talisman et nous devrions nous limiter à n’acheter que ces titres, dits canadiens, si le mandat ne nous autorisait pas à nous procurer des actions étrangères. Or, en 2005, 68 % des revenus de Kingsway provenaient des États-Unis. Alcan produit de l’aluminium qui se vend à l’échelle mondiale en dollars U.S. et seulement 36 % de ses employés oeuvrent en Amérique du Nord. Talisman produit du pétrole et du gaz naturel dans 16 pays.

Non seulement ces sociétés sont très actives à l’étranger, elles sont aussi en concurrence avec des sociétés étrangères sur le marché canadien. Elles font toutes parties d’industries d’envergure mondiale et c’est dans ce contexte qu’on doit les analyser.

En 2005 l’OCDE a publié un rapport intitulé Mesurer la mondialisation: Les indicateurs de l’OCDE sur la mondialisation économique. Le rapport fait état de l’intensité des échanges internationaux. En moyenne, entre 1996 et 2003, 77 % au Canada, 90 % en France, 85 % au Royaume-Uni et 75 % aux États-Unis des entrants ou sortants du secteur manufacturier étaient soit importés ou exportés. Le commerce intra-firme entre les multinationales et leurs filiales représentait, de son côté, 33 % de toutes les exportations et importations manufacturières aux États-Unis et 43 % des importations des États-Unis provenant du Canada.

Les marchés boursiers deviennent mondiaux

Les marchés boursiers, suivant l’internationalisation des industries, sont donc aussi devenus mondiaux. Plusieurs sociétés canadiennes ont un important actionnariat étranger comme l’illustre le Tableau I. Leurs titres se transigent souvent sur des bourses étrangères. Ainsi, au cours des six derniers mois, le volume quotidien moyen des actions d’Alcan transigées à New York s’élevait à 2,3 millions comparativement à 1,6 million à Toronto.

Bref, en achetant le titre d’une société canadienne, on n’investit pas nécessairement dans des opérations canadiennes, on ne contribue pas nécessairement à la promotion de l’emploi au Canada et on ne participe pas nécessairement à une société sous contrôle canadien.

Le besoin de diversifier les portefeuilles

Comme l’illustre le Tableau II, la répartition sectorielle grumeleuse du TSX rend bien difficile la construction d’un portefeuille d’actions canadiennes bien diversifiées.

Ce tableau indique que malgré son importance économique, il y a très peu d’entreprises publiques dans le secteur de la santé au Canada. Il en va de même dans les industries de la technologie de l’information et de l’automobile, dominées par des entreprises américaines et asiatiques. Selon la revue Fortune, dans la liste des 500 plus grandes entreprises au monde, seulement 14 ont leur siège social au Canada. Sept d’entre elles oeuvrent dans le secteur financier.

L’indice MSCI Monde reflète plus fidèlement que le TSX la variété d’activité économique au Canada. Il s’agit d’un portefeuille bien mieux diversifié et la diversification constitue un élément fondamental de la bonne gestion du risque des caisses de retraite. Seul un univers de titres représentant toutes les industries peut assurer cette diversification.

Qu’en est-il du risque de devise ?

Un placement en devise étrangère peut susciter la crainte d’une perte de rendement attribuable à une éventuelle dévaluation de cette devise. Mais il s’agit d’une perception qui ignore la dynamique des mouvements de devises, leur influence à long terme sur les revenus des sociétés, et la nature même d’un placement en actions.

Même les portefeuilles entièrement constitués de titres de sociétés canadiennes comportent un risque de devise. Prenons l’exemple de Bombardier et d’Abitibi Consolidé. L’appréciation du dollar canadien a accru leurs coûts, réduit leurs bénéfices et entraîné une baisse de leur titre boursier. Mais l’inverse est vrai pour des entreprises comme Reitmans. Elles profitent de l’appréciation du dollar car elles importent la marchandise qu’elles vendent ici.

L’achat d’actions est un placement à long terme, c’est-à-dire sur une période de 10 ans ou plus en général . Or, sur une longue période, les fluctuations de devises n’ont jamais représenté une part importante du rendement total d’un portefeuille d’actions bien diversifié. La raison en est simple, la dépréciation d’une devise est atténuée à la fois par l’appréciation d’une autre et par l’ampleur des activités internationales des sociétés. Dans le cas des actions, le risque de devise tel que mesuré par l’écart-type des fluctuations de taux de change est bien inférieur au risque des marchés boursiers eux-mêmes. On doit mesurer le risque de devise sur l’ensemble du portefeuille et non sur chaque titre. Une partie du risque est éliminée par la diversité des devises à l’intérieur du portefeuille.

Les nouvelles réalités des entreprises appellent l’adoption de nouveaux processus de gestion de portefeuilles. Nous devons cesser de nous préoccuper de l’organisation des écuries alors que l’automobile a remplacé le cheval.

Christine Sayegh-Filgiano, CFA, est vice-présidente, Communications et marketing chez Letko Brosseau & Associés Inc. à Montréal.

1La volatilité des actions du TSE de 1955 à 2005, telle que définie par l’écart-type de rendements, était de 16,5 % sur un horizon d’un an, mais seulement de 3 % sur un horizon de 10 ans.