Il y a encore une décennie, les investissements socialement responsables n’éveillaient que la curiosité de la communauté financière, aujourd’hui ils sont devenus disponibles au sein des caisses de retraite. En effet, au-delà du caractère moral de ce type d’actifs, leurs résultats positifs attirent de plus en plus l’attention.

Les caisses de retraite attachent un intérêt particulier aux investissements socialement responsables. D’une part, ce type d’investissement promouvoit un bien-être social et met en avant les relations causales entre les entreprises et leurs conséquences sociales. D’autre part, il représente une source additionnelle de diversification. Cependant, ces investissements ouvrent la porte à une gamme non exhaustive de questions pratiques, mais aussi théoriques. Quel processus de sélection choisir? Quel investissement est justifiable auprès du comité de retraite et de ses bénéficiaires? Quelles sont les conséquences de la qualité de l’investissement sur les caisses de retraite?

Un investissement socialement responsable est défini comme un type d’investissement qui intègre des critères sociaux, environnementaux, ou éthiques, au-delà des considérations financières usuelles. La sélection peut donc varier, mais elle repose principalement sur les préoccupations sociales ou environnementales qu’affiche l’entreprise. Les méthodes d’évaluation des entreprises se basent surtout sur des données quantitatives et les modèles financiers n’intègrent pas ou peu ces caractères qualitatifs. Ceci explique en partie pourquoi, jusqu’à ce jour, peu d’investisseurs reconnaissent la valeur monétaire du caractère social. Les exigences accrues et la transparence que requièrent les actionnaires ont permis néanmoins la généralisation de divulgation dans les bilans financiers des caractères qualitatifs de l’entreprise, tel que les impacts de la production sur l’environnement, les origines des matières premières, etc.

Les caractères sociaux sont catégorisés afin de définir la sélection. Le niveau d’implication sociale et la qualité de l’information sont factorisés. Les compagnies se voient ainsi attribuer des notes. Ces notes permettent de standardiser les compagnies et ainsi d’agencer la sélection. Celle-ci peut porter sur le domaine d’activitéde la compagnie(ex.: le tabac, les productions militaires)ou encore sur leur mode de fonctionnement(ex.: l’utilisation de la population active mineure, le respect des droits humains, les engagements communautaires, la pérennité de l’environnement et la durabilité des développements actuels). Les critères les plus employés sont liés aux secteurs des jeux de hasard, à l’alcool, à l’avortement, à l’armement, mais aussi aux respects des droits de l’Homme et à la protection des animaux.

La première étape de la sélection d’un investissement socialement responsable est donc d’en définir ses caractéristiques. Il faut ensuite être capable de mettre en place une gestion valorisant cette sélection.

Pour les gestions de type indiciel, une variété d’indices socialement responsables a fleuri ces dernières années. Chacun de ces indices possède des sélections et des méthodologies différentes. Pour n’en citer que quelques-uns parmi les plus connus, il y a l’indice Social Calvert, l’indice Domini Social 400, l’indice Social Jantzi et le FTSE4Good. Cette panoplie d’indices donne la flexibilité à chacun d’exprimer ses préférences en matière de responsabilité sociale et peuvent être répliqués afin de créer un fonds socialement responsable. Abstraction faite de ces indices, une gestion complémentaire et plus personnalisée peut être offerte.

Deux types de gestion

Le premier choix de gestion proposé est le filtrage qui, comme son nom l’indique, filtre les compagnies. On distingue deux types de filtrage; le filtrage négatif ou désinvestissement ainsi que le filtrage positif. Le désinvestissement est le plus répandu, et a connu une forte croissance, il y a quelques années. Il consiste à exclure du portefeuille d’actifs certaines compagnies selon leurs caractères néfastes sur la société. Les compagnies de tabac sont les plus souvent ciblées. L’inconvénient majeur de ce type de stratégie provient de l’univers restreint, qui amoindrit les possibilités de diversification de ce fait, peut augmenter le risque global du portefeuille. Cet aléa éveille de nombreuses craintes au sein de la communauté des caisses de retraite qui doivent se conformer aux besoins élémentaires de diversification.

Deux options permettent cependant de palier ce risque : la première consiste à forcer l’univers d’investissement à contenir un minimum de titres dans tous les secteurs disponibles afin d’améliorer la diversification du portefeuille. La deuxième fait appel à des optimisations opérées par des logiciels que possèdent certains gestionnaires. Ces optimisations permettent de mieux contrôler le risque global du portefeuille selon l’univers d’investissement réduit.

Autre inconvénient, ce type de filtrage affiche des convictions personnelles. Il est difficile, voire impossible, de pouvoir accorder tous les investisseurs sur ce qui convient d’être le ou les critères de sélection. Bien que nombreux indices soient actuellement disponibles et couvrent une gamme hétérogène de critères, on ne peut, à travers ce style de gestion, dissocier les préférences parmi les différents participants d’une caisse de retraite.

Or, l’investissement social n’est pas confiné à une seule voix: il doit permettre aux investisseurs d’émettre une opinion. Il faut donc adopter un mode de gestion qui prend en compte les préoccupations globales tout en agissant de façon ciblée.

À l’instar du désinvestissement, le filtrage positif choisit ses investissements en fonction de leur bien-être sur la société et l’environnement. Un portefeuille sera alors surpondéré dans ces compagnies. Si le portefeuille est déjà un mandat de gestion active, il est possible d’ajouter à la modélisation des coefficients environnementaux.

La gestion participative

La gestion participative est une autre forme d’investissement social, qui porte certains attraits. Les gestionnaires d’actifs ISIS situés en Angleterre, ont développé un programme connu sous le pseudonyme reo, acronyme pour «responsible engagement overlay», ce qui signifie couverture sur engagement responsable. Reo est une forme d’investissement social dans lequel ISIS s’engage, au nom des actionnaires, à améliorer la performance des entreprises en les poussant à évaluer des conséquences sociales, environnementales et éthiques de leurs actions. Leur façon d’opérer est le dialogue avec les entreprises, le vote de résolution ainsi que la recherche sur des questions sociales et environnementales.

Le principe même de ISIS repose sur le fait qu’un investisseur devient propriétaire d’entreprise. Le droit de l’actionnaire est d’élire les administrateurs du conseil qui, à leur tour, orchestrent le déroulement des affaires courantes de l’entreprise. Ces actionnaires ont la possibilité de se prononcer lors de mesures corporatives. Ceci permet de travailler activement avec le conseil d’administration afin d’encourager le développement de pratiques soucieuses de l’environnement et du bien-être social.

Actuellement, ces droits sont souvent délégués aux gestionnaires externes responsables des actifs, mais ils peuvent être sous-traités à des compagnies entièrement dédiées à ces votes par procuration. C’est le cas de Real Assets Investment Management Inc.qui se consacre entre autres au vote de résolution par procuration. Dernièrement, Real Assets a réussi à obtenir, à la suite d’une résolution déposée par les actionnaires, que McDonald’s indique dans un rapport ses efforts pour promouvoir des produits plus sains et des informations nutritives sur ses produits. Le programme de participation a l’avantage de pouvoir être ajoutéà la gestion actuelle du fonds, sans altérer la composition du portefeuille initialement choisie. Ceci permet en outre de ne pas affecter le rendement.

Quelque soit le processus de sélection déterminé ou le mode de gestion choisi, il faut être capable d’évaluer et de mesurer l’impact sur la rentabilité du fonds. C’est au comité qu’incombe la responsabilité de choisir une politique de placement qui fait face aux besoins de rentabilité, à la préservation du capital, à la diversification et à la gestion du risque. Or, les politiques d’investissement n’inclut pas de sélection qualitative régit par des caractères sociaux. Justifier un investissement dont la sélection repose sur des données non quantifiables peut être un défi pour les caisses de retraite dont les besoins premiers sont d’assurer le versement des rentes promises. Peut-on se permettre de faire un choix social, et surtout, y a-t-il un impact sur la performance?

Des performances fort intéressantes

Quelques modèles financiers intègrent les facteurs sociaux en réajustant à la baisse les probabilités de défaut de la compagnie. En effet, la bonne conduite de la direction d’une entreprise, les développements durables et le souci de l’environnement sont des signes avant-coureurs du bon fonctionnement d’une compagnie dont les probabilités de faillite ou de poursuites judiciaires entre autres sont faibles. En langage financier, ceci se traduit par moins de volatilité autour de ses revenues, et donc un risque spécifique moins élevé. Une compagnie socialement responsable représente donc une opportunité de diversification, ce qui va de paire avec les objectifs du comité de retraite.

Par ailleurs, la croissance rapide du nombre d’investissements à responsabilité sociale renforce la viabilité de leurs performances financières. À titre d’exemple, selon un récent communiqué de presse de KLD, l’indice Domini Social 400(DS400) a surperformé l’indice S&P500 depuis sa création en juin 1990. Le rendement non annualisé, en date du 31 janvier 2005 du DS400 était de 458 % alors que le S&P500 affichait 390 %.

Il en est de même pour l’indice Jantzi(JSI). Selon le rapport de performance diffusé le 15 juillet 2005, de janvier 2000 à Juin 2005, le rendement non annualisé surpassait l’indice S&P/TX60 de 7 % et l’indice composé S&P/TSX de 1 %. Sur le long terme, choisir un investissement socialement responsable se conforme au besoin de rendement et de minimisation de risque, et représente une source de diversification supplémentaire.

Il semble y avoir peu de limites à ce que peut faire un investisseur intéressé par un investissement socialement responsable. Que ce soit au niveau de la sélection d’actifs, de la recherche sur les entreprises jusqu’à la capacité de gestion d’actifs socialement responsable, toute l’information est disponible. La question principale reste cependant de savoir s’il y a une valeur ajoutée à orienter sa politique de placement vers des investissements socialement responsables. Les facteurs sociaux doivent-ils faire partie intégrante de la valeur économique?

Il y a une sensibilisation de plus en plus courante aux besoins environnementaux et aux respects des droits de l’homme. Cette conscience sociale tend à se démocratiser au sein du secteur financier. Il y a donc une valeur reconnue àl’investissement socialement responsable. Cette valeur s’apprécie à mesure qu’elle intéresse les communautés. En effet, tout dépend de l’habileté des marchés financiers à reconnaître dans les prix des actions les conséquences financières de la responsabilité sociale.

Plus les investisseurs et les consommateurs seront portés vers la responsabilité sociale, plus les producteurs et les entreprises trouveront profit à réaliser en s’alignant aux besoins environnementaux. De façon générale, le court terme est souvent privilégié sur les marchés financiers, générant ainsi du mispricing, or il importe de reconnaître que l’investissement social est avant tout un investissement à long terme.