Les responsables des caisses de retraite vivent depuis les cinq dernières
années un des défis les plus importants dans l’histoire
des régimes de retraite: le problème de la solvabilité
des prestations, et cela dans l’environnement économique le plus
difficile depuis l’instauration des marchés boursiers nord-américains.
Aucun de leurs prédécesseurs n’a eu à faire face
à un retard aussi important de la performance générale
des caisses de retraite au Canada.
Entre 2000 et 2002, les caisses de retraite accusaient un retard important
sur leur solvabilité. Les années 2003 et 2004 furent plus fructueuses,
mais les gestionnaires des caisses ont dû retenir leur souffle jusqu’à
la toute fin, puisque ces rendements furent réalisés en fin d’année,
et cela dans les deux cas. Dans les faits, la combinaison de la chute des prix
des titres de participation à la baisse des taux d’intérêt
a forcé les régimes de retraite à évoluer dans un
environnement difficilement viable.
Il n’y a pas si longtemps, la gestion des caisses était assez
simple : les titres à revenu fixe composaient 100 % du portefeuille et
on utilisait les coupons emmagasinés dans le coffre afin de payer les
prestations; le tout enregistré dans un livre comptable qui n’avait
rien à envier au poids de L’Atlas du monde « édition
de luxe ». Ce fut des années de taux d’intérêt
à double chiffre et les fruits y étaient assez faciles à
cueillir.
Par la suite, plusieurs se souviendront de la transition vers les titres de
participation dans les années 1990. Ce fut le début de l’instauration
des portefeuilles dits « équilibrés ». À cette
époque, il était de la croyance populaire que les titres de participation
ne pouvaient connaître de performance négative à long terme.
Certains secteurs, tel celui de la technologie, furent le moteur du plus grand
marché haussier jamais enregistré dans l’histoire des marchés
financiers. Les sélectionneurs de titres ne pouvaient faire d’erreur
tellement les circonstances étaient favorables de 1996 à 1999.
La venue des fonds indiciels était une façon simple et peu coûteuse
d’acquitter sans trop de difficulté les paiements de prestations
auprès des membres des régimes de retraite. Enfin, c’était
l’époque où une croissance effrénée annualisée
était devenue la norme dans le conscient collectif des investisseurs.
À cette époque, les investisseurs ne se souciaient que très
peu du risque à court terme et tous pensaient que le risque et le rendement
espéré avaient une interrelation positive en tout temps : plus
la volatilité du prix du titre serait grande, plus les rendements seraient
élevés. De plus, les portefeuilles équilibrés offraient
l’illusion d’un effet de diversification à l’abri de
tout soubresaut du marché.
Ces croyances populaires ont été durement mises à l’épreuve
depuis les cinq dernières années. Les gestionnaires, tout comme
les responsables des régimes de retraite, ont pris conscience des implications
à long terme de l’investissement dans des titres de participation.
L’effet des mouvements boursiers positifs peut être très
bénéfique tel que nous l’avons constaté entre 1994
et 1999, mais le risque est aussi très présent comme le démontrent
les années 2000.
De plus, l’effet de diversification entre les titres à revenu
fixe et les titres de participation est presque nul en temps de crise étant
donné que la corrélation entre ces deux types d’actifs devient
hautement positive face à des événements extraordinaires
négatifs. C’est comme si le plancher s’effondrait sous vos
pieds sans que vous puissiez rien faire. Vous êtes prisonnier dans la
chute des prix et contraint par le manque de liquidité.
C’est ce que l’on appelle un effet bêta trop grand sur le
portefeuille de gestion dans un environnement de marché baissier ou en
période de crise. Les gestionnaires, tout comme les responsables des
caisses de retraite, connaissent trop bien cet effet. Ils l’ont connu
brièvement en 1987, en 1998 et plus substantiellement depuis 2000.
Une attention particulière sur la gestion
de risques
Le retour à la réalité depuis 2000 est tel que les investisseurs
institutionnels ne peuvent plus se permettre de simplement poursuivre la chasse
aux rendements les plus importants; ils doivent aussi en connaître les
risques et les conséquences.
Aujourd’hui, les investisseurs institutionnels, qui sont beaucoup plus
structurés, comprennent mieux les enjeux à court et à long
termes, et ils construisent leur portefeuille de façon plus sophistiquée.
Ils ont accès à des modèles et des outils d’optimisation
quantitative, de gestion de risque et d’allocation dynamique. Dans les
faits, les investisseurs institutionnels comprennent mieux la différence
entre le risque de marché(bêta)et le risque de gestion active
(alpha).
À cet effet, on note que les grandes caisses de retraite telles la Caisse
de dépôt et placement du Québec, OMERS et TEACHERS se sont
dotées d’outils pouvant extraire l’alpha(stratégies
neutres aux volatilités du marché)afin de diminuer l’effet
bêta(stratégies directionnelles)de leur portefeuille.
Les outils porteurs d’alpha favorisés par ces caisses sont certes
la famille des placements alternatifs tels les fonds de couverture, qui représente
entre 20 % et 35 % de la composition des grandes caisses mentionnées
précédemment.L’idée à la base de l’intégration
de produits alternatifs au portefeuille traditionnel est de créer un
fonds beaucoup plus diversifié composé d’éléments
directionnels(par exemple, titres de participation et titres à revenu
fixe)et d’éléments neutres(par exemple, fonds de couverture).
Les caisses qui emploient ces stratégies cherchent à optimiser
leurs rendements en se prévalant d’un fonds capable de capturer
les rendements en marché haussier tout en se protégeant contre
la venue de marchés baissiers ou d’événements extraordinaires.
Ainsi, le fonds est structuré afin de faire face aux micro-environnements
d’accalmie tout comme aux grandes perturbations.
Que nous réserve l’avenir ?
Depuis les dernières décennies, les responsables des régimes
de retraite ont géré leurs portefeuilles de façon évolutive
afin de faire face aux changements de l’environnement économique
et financier. Chaque époque représente des étapes importantes
dans l’évolution des idées de gestion, dans la quête
de nouveaux savoirs, dans l’amélioration de la qualité des
investissements des régimes de retraite et, par le fait même, l’amélioration
de la qualité de vie de ses membres.
Dans un avenir rapproché, il n’est pas inconcevable que les marchés
financiers que nous connaissons continuent leur évolution telle qu’on
la connaît depuis mars 2000. Il est clair que l’enjeu pour les caisses
de retraite passera par la diversification en donnant plus d’importance
aux rendements absolus. De plus, il y a fort à parier que les rendements
relatifs à un indice de référence deviendront de moins
en moins importants.
Ainsi, l’apport des placements alternatifs deviendra crucial sur le plan
de la diversification pour les régimes de retraite soucieux de remplir
leurs obligations. Nous sommes à une autre étape de la vie des
marchés financiers et les caisses de retraite évoluent vers une
utilisation plus grande des outils d’investissement offerts par la grande
famille des placements alternatifs.
BERTRAND GOUDREAULT est vice-président, Groupe Financier Norshield à
Montréal