Chaque jour, 500 000 Canadiens s’absentent du travail en raison d’une forme de maladie mentale. Il s’agit de la principale cause d’invalidité en milieu de travail. Elle représente 30 % des réclamations et coûte à l’économie canadienne 51 milliards de dollars par année en perte de productivité. Les employeurs ne sont plus à convaincre de l’importance d’améliorer la santé psychologique des employés. Comment, maintenant, passer de cette prise de conscience à l’élaboration et à la mise en application d’une stratégie pertinente ? « De la réflexion à l’action » était le thème 2012 du colloque annuel sur la santé mentale qui se tenait à Montréal, le 6 novembre dernier. Des experts de différents milieux ont partagé leur expérience et donné des outils pratiques pour améliorer la santé mentale en milieu de travail.

Être à l’écoute

« J’essaie de réhumaniser les milieux de travail de façon très simple », mentionne Stéphane Grenier, un ancien combattant des Forces canadiennes qui propose désormais des conférences sur la santé mentale au travail. En racontant comment les Forces canadiennes ont géré ses problèmes de santé mentale, à son retour de plusieurs missions dont une de neuf mois au Rwanda, M. Grenier explique combien le soutien social a fait défaut dans son cas, et combien il est primordial dans tous les milieux de travail. « Nous avons oublié comment être humain dans bien des entreprises, dans bien des milieux, et même dans bien des familles, dit-il. Il est irraisonnable de penser que, dans le trafic entre Saint-Jérôme et Montréal, les gens peuvent mettre de côté leurs problèmes personnels. Le manque de soutien social est un accélérant vers la maladie ! »

Selon lui, un moyen simple de remédier à ce manque de soutien est de mettre en place un programme de pair aidant dans les entreprises. « Ce n’est pas de l’amitié, mais ce ne sont pas des soins cliniques non plus, explique M. Grenier. C’est plutôt ce qui se passe entre les deux. Le pair aidant est un employé de l’entreprise qui offrira du soutien. Les gens qui sont passés à travers une dure épreuve, qui se sont rétablis et qui sont revenus au travail feront d’excellents pairs aidants et seront une force multiplicatrice pour l’entreprise. »

Établir une culture favorisant la santé mentale

Pour le Dr Jacques Garant, psychiatre et médecin-conseil pour différents assureurs, il est essentiel de mettre en place une culture favorisant la santé mentale dans les entreprises. « Il ne s’agit pas de changer la culture d’entreprise établie depuis des années, mais de l’enrichir de composantes permettant la compréhension de la santé mentale et le soutien approprié », explique-t-il. De plus, la mise en place d’un tel programme favorise le recrutement et la rétention d’employés, dit-il. « Il faut donc persuader les dirigeants qu’il y a des raisons d’affaires de passer à l’action, c’est-à-dire qu’il y aura un impact sur la productivité et l’absentéisme. »

L’entreprise peut avoir un rôle à jouer avant, pendant et après l’épisode de la maladie. « D’ailleurs, selon l’indice de mieux-être des Canadiens de la Sun Life, 80 % des gens pensent que leur employeur devrait et pourrait jouer un rôle pour favoriser la santé mentale », indique le Dr Garant. La culture favorisant la santé mentale doit donc comprendre de la prévention primaire (avant la maladie), secondaire (pendant la maladie) et tertiaire (après la maladie). « En prévention primaire, il faut mettre en place des conditions de travail qui vont aider les gens à gérer leur stress et qui vont faire en sorte qu’il y ait moins de risques qu’ils aient des problèmes de santé mentale, explique le Dr Garant. On peut favoriser le travail à la maison, par exemple. »

Bien sûr, il faut que l’entreprise soit dans une période de calme relatif pour démarrer un programme de prévention. « S’il vient d’y avoir une cure de minceur, ce n’est pas le moment d’imposer des changements ! », précise le Dr Garant.

Publication d’une stratégie et d’une norme

Le 8 mai 2012, la Commission de la santé mentale du Canada publiait la toute première stratégie en matière de santé mentale, inspirée de l’expérience, des connaissances et des conseils de milliers de personnes de toutes les régions du pays. La commission y va de 109 recommandations réparties selon 27 priorités. Cette stratégie fournit une feuille de route utile aux décideurs et aux fournisseurs de services, afin d’améliorer l’accès de tous les travailleurs à des soutiens et des services adéquats en matière de santé mentale. « Il ne faut pas seulement traiter la santé mentale; il faut également la promouvoir, indique Howard Chodos, conseiller spécial pour la Stratégie. La promotion de la santé mentale doit s’effectuer au quotidien, dans les lieux et places où les gens travaillent, vivent ou s’amusent. »

La Commission de la santé mentale du Canada s’apprête aussi à publier une norme relative à la santé et la sécurité psychologiques en milieu de travail, afin de mieux outiller les employeurs. « Cette norme est un guide offert aux employeurs pour qu’ils puissent mettre en place des mesures de soutien en milieu de travail », explique Claudine Ducharme, responsable des services-conseils en santé et assurance collective chez Morneau Shepell. Implantée sur une base volontaire, cette norme permettra de favoriser un milieu de travail sain et sécuritaire et de prévenir les préjudices. « La norme n’est pas un règlement, ni une loi, précise Mme Ducharme. Les employeurs peuvent décider de l’utiliser en totalité ou en partie. »

L’engagement de la haute direction est l’un des principes directeurs de cette norme, toute comme la participation de tous et le maintien de relations respectueuses. « Les gestionnaires, les employés et les représentants des employés ont une responsabilité partagée, explique Mme Ducharme. On s’attend à ce que les gens acceptent qu’il y ait des changements et qu’ils soient respectueux des opinions des autres. » La sensibilisation et la promotion de la santé psychologique sont aussi des éléments importants de cette norme. « Tout ce qui entoure la stigmatisation est une barrière importante », ajoute Mme Ducharme.

Cette norme a été conçue afin de pouvoir s’appliquer à tous les milieux de travail, qu’il s’agisse de petites, moyennes ou grandes entreprises. Elle comprend cinq éléments, soit l’engagement, le leadership, la participation à tous les niveaux, la confidentialité et la planification. Elle compte aussi quatre exigences, dont l’élimination des dangers. « Il faut définir quels sont les facteurs de risque, qu’ils soient liés aux employés ou à l’environnement de travail. Dans une banque, par exemple, le vol à main armée est un facteur de risque. On ne peut pas l’éliminer mais on peut offrir des systèmes d’alarme ou des formations aux employés. » Parmi les quatre exigences, on trouve aussi l’éducation, la sensibilisation et la communication. « On s’attend à ce qu’il y ait un effort supplémentaire mis sur cet aspect. Bien sûr, les gestionnaires ne doivent pas penser qu’ils vont implanter la norme en six mois. Il faut se donner du temps pour que les changements apportés aient un effet durable », conclut Mme Ducharme.

Une entreprise avant-gardiste

Bell Canada n’a pas attendu la publication d’une norme pour agir. En septembre 2010, l’entreprise a lancé un fonds de 50 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir l’accès aux soins en santé mentale. Afin de prêcher par l’exemple, une telle initiative a nécessité la mise en place d’un plan d’action au sein même de ses bureaux. « Désormais, nous sommes beaucoup mieux équipés pour faire face aux problèmes de santé mentale, même si les cas difficiles existeront toujours », se réjouit Lucie Dutil, vice-présidente aux ressources humaines chez Bell Canada.

Les outils développés par l’entreprise de communication sont nombreux, allant d’un site Web dédié aux employés à la formation des gestionnaires. « Chaque semaine, les employés reçoivent des communications sur la santé mentale et nous organisons des déjeuners-causeries, des conférences et des ateliers, indique Mme Dutil. Nous avons mis en place un Programme d’aide aux employés et la famille (PAEF) et le nombre d’appels a augmenté de 35 % depuis 2011. Le message est passé et les employés utilisent beaucoup mieux cet outil ! » Bell Canada a également revu le processus de retour au travail des employés. « Chaque personne est suivie par un gestionnaire de cas qui a des connaissances en santé mentale. De plus, nous nous assurons de planifier le retour au travail et de maintenir une communication constante avec l’employé, ajoute Mme Dutil. Ces initiatives nous ont permis de réduire la durée de l’absentéisme et de réduire les rechutes. »

Outiller les gestionnaires

Chez Bell Canada, comme ailleurs, on reconnaît que pour agir en santé mentale dans les milieux de travail il est essentiel d’informer, d’équiper et de conscientiser les gestionnaires. « Il faut aider les gestionnaires à voir qu’ils ont un impact sur leurs employés, insiste Mme Dutil. Chez Bell, nous avons publié des guides pour qu’ils reconnaissent les signes précurseurs d’un problème de santé mentale, pour qu’ils engagent la conversation avec l’employé et pour qu’ils obtiennent du soutien pour lui. Nous sentons une plus grande ouverture d’esprit; les gestionnaires sont plus engagés. »

Parler de santé mentale aux gestionnaires permet de déstigmatiser le problème, ajoute Marie-Thérèse Dugré, psychologue et présidente de Solareh. « S’ils sont bien outillés pour observer les employés au jour le jour, les gestionnaires peuvent diminuer l’émergence de problèmes de santé mentale », dit-elle. Pour ce faire, il faut leur apprendre à observer les comportements et les aptitudes de leurs employés pour mieux détecter les signes avant-coureurs. « Tout changement significatif dans le comportement verbal ou non verbal, dans l’attitude ou dans le rendement d’un employé mérite qu’on s’y attarde, indique Mme Dugré. Si ces problèmes persistent durant deux semaines, le gestionnaire a la responsabilité d’agir. Il doit comprendre que la pire option est de ne pas agir. »

Tous les intervenants s’entendent pour dire que la clé du succès d’un programme de prévention de la maladie mentale en entreprise, c’est la volonté des dirigeants. « Si on veut changer quelque chose dans l’entreprise, il faut commencer par la tête, insiste le Dr Garant. Il faut que cela vienne d’en haut. Il faut que les dirigeants soient convaincus. L’étape de sensibilisation des dirigeants est donc essentielle. » Pour illustrer l’esprit d’équipe qu’il est souhaitable d’instaurer pour améliorer la santé des employés, Mme Dugré donne l’exemple des outardes qui voyagent toujours en groupe. « Lorsqu’une outarde ne peut plus continuer, elle ne s’arrête jamais seule, mais accompagnée de deux autres outardes. Et c’est à trois qu’elles vont repartir. C’est ce que je nous souhaite ! »

Les présentations du colloque sur la santé mentale peuvent être téléchargées à partir du site Web avantages.ca/santementale2012.