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À quel âge faut-il prendre sa retraite? En voilà une question épineuse. On aborde souvent, ces derniers temps, la situation financière des régimes de retraite, le manque à gagner sur le plan de l’épargne personnelle et une espérance de vie encore et toujours à la hausse. Bien des raisons qui portent à croire que des Québécois devraient songer à prendre leur retraite plus tard qu’ils ne le font actuellement. Or, est-ce dans l’intérêt de tous les travailleurs ? Et celui des entreprises ? Quelles sont les considérations importantes en matière de main d’œuvre et de régimes de retraite qui permettront d’adopter une bonne stratégie de gestion des ressources humaines ?

Un sondage réalisé par Question Retraite, qui a été publié en octobre dernier, démontre que de plus en plus de Québécois prennent ou prévoient prendre leur retraite plus tardivement. Aujourd’hui, ce ne sont que 41 % des travailleurs qui espèrent débuter leur retraite avant d’atteindre l’âge de 65 ans; ils étaient 62 % lors d’un sondage comparable mené en 2003. En même temps, la proportion de personnes qui profitent d’une retraite anticipée a baissé de 33 % à 17 % au cours des dernières années. Or, même si le report de l’âge de la retraite semble déjà être une tendance bien implantée au Québec, il risque de gagner en importance au cours des prochaines années. « Les enjeux démographiques vont être plus prononcés et vont survenir plus rapidement au Québec qu’au Canada, affirme Richard Bourget, associé Retraite et épargne chez Normandin Beaudry. Dès 2013, et pour les prochaines décennies, la population âgée de 15 à 64 ans ira décroissant, alors que dans les autres provinces et aux États-Unis elle continuera de croître. C’est donc un enjeu majeur pour l’économie québécoise. »

0 ans, 65 ans, 67 ans ?

Lorsqu’on parle de reporter l’âge de la retraite, estime M. Bourget, il convient de faire la distinction entre l’âge « normal » et l’âge « effectif » de la prise de retraite. « Présentement, les Québécois prennent leur retraite vers l’âge de 60 ans en moyenne. Est-ce que le fait de repousser l’âge “normal” de 65 à 67 ans aura pour effet de convaincre ces personnes de prendre leur retraite plus tard ? se demande-t-il. Il faut trouver le moyen de persuader les gens de reporter leur retraite et de continuer à contribuer activement à l’économie et au financement de nos systèmes sociaux. »

L’âge de la retraite dépendra donc de chaque industrie, compagnie et employé. Il y a certes des personnes qui ne peuvent envisager de la reporter. « Dans certains domaines, l’âge de retraite s’établit selon le fait que, rendu à cet âge-là, l’employé éprouve plus de difficulté à réaliser ses tâches, par exemple en ce qui a trait à la sécurité publique. Dans le cas d’un travail plus physique, il peut s’avérer plus difficile de reporter l’âge de la retraite, constate Patrick Lefebvre, conseiller principal à PBI Conseillers en actuariat. C’est peut-être plus évident de reporter celle des cols blancs. »

Motivation des employés

Cependant, s’il apparaît concevable de garder ses employés actifs plus longtemps, il importe de se demander si cela demeure dans l’intérêt de l’entreprise. « Pour certaines industries, il y a des pénuries de main-d’œuvre qui existent ou sont à prévoir. Donc, plus longtemps peut travailler l’employé, mieux se porte l’entreprise », déclare Charles Lemieux, conseiller principal chez Towers Watson. Or, ajoute-t-il, il faut aborder cette question de la perspective de l’employé et de celle de l’entreprise. « Le report de la retraite peut causer des problèmes quant à l’engagement des employés s’il se fait pour des raisons de contraintes économiques et non d’un intérêt pour le travail, dit M. Lemieux. Mais certains travailleurs plus âgés aiment leur travail, sont une référence dans l’entreprise et apportent beaucoup aux jeunes. »

Richard Bourget rappelle que le Québec entre dans une phase où les personnes qui quittent le marché du travail sont plus nombreuses que celles qui entrent, ce qui créera des enjeux de gestion organisationnelle. « Nous ne pourrons plus nous permettre de “gaspiller” des ressources humaines en fin de carrière. On va perdre beaucoup de gestionnaires, mais les gens qui les remplaceront sont aussi expérimentés et il faudra les remplacer à leur tour, dit-il. Une transformation importante dans le marché du travail s’amorce et l’une des solutions consistera à garder ses effectifs plus longtemps au travail. »

Combien ça coûtera ?

De toute évidence, le fait de garder l’employé en poste plus longtemps risque d’entraîner des coûts, notamment sur le plan de l’assurance collective (voir article sur l’assurance collective). « En général, c’est bon de faire une analyse de rémunération globale pour comparer le coût d’un nouvel employé comparativement à un ancien, dit Patrick Lefebvre. Peut-être le premier se montre-t-il plus productif, mais combien rapporte-t-il ? Si la personne plus âgée rapporte davantage, peut-être voudra-t-on la garder. Par contre, celle-ci peut aussi coûter plus cher du point de vue des régimes de retraite et d’assurance collective. »

De façon générale, même s’il faut que l’entreprise cotise plus longtemps, une retraite plus tardive aura un effet positif sur le financement du régime de retraite. « Quand on évalue les coûts d’un régime quelconque, on présume d’un âge de prise de retraite, explique M. Bourget. Si les employés partent plus tard, on fait des gains d’expérience. Ces gains enlèvent de la pression sur les coûts de financement et renforcent le financement des prestations déjà acquises. » Charles Lemieux ajoute que les promoteurs de régimes ont donc intérêt à suivre de près le comportement de retraite des employés, afin d’établir les coûts des prestations. « Est-ce que les employés prennent leur retraite plus tôt ou plus tard que prévu ? demande-t-il. Si oui, il y a lieu de faire des études et d’ajuster des hypothèses de financement pour ainsi payer un coût juste en fonction du moment prévu du départ à la retraite. »

Même son de cloche chez M. Lefebvre. « On pourrait assister à un phénomène intéressant si la date de retraite est repoussée pour l’ensemble des participants au régime. Par contre, il devient difficile de déterminer, sur une courte période, si la tendance s’avère permanente ou temporaire, prévient-il. On pourrait donc prévoir un délai avant de repousser l’âge prévu de retraite dans l’évaluation actuarielle d’un régime de retraite. » En effet, il y a déjà des entreprises qui, de concert avec leurs employés, ont revu les prestations pour les services futurs, notamment de retraite anticipée, ce qui, avec le temps, amènera les gens à prendre leur retraite plus tard.

RRQ, SV…

Un autre facteur sur lequel il vaudrait la peine de réfléchir relève des régimes gouvernementaux, dont le Régime de rentes du Québec et la pension de Sécurité de la vieillesse (SV). On constate, en effet, que les différents paliers de gouvernement prennent des mesures qui servent à encourager le citoyen à repousser son départ du monde du travail. Les entreprises devront sensiblement y réagir. « Présentement, les régimes de retraite ou d’avantages sociaux sont faits en fonction d’une retraite à 65 ans, dit M. Lemieux. On voit que les gouvernements ajustent les prestations payables – comme la SV qui passe à 67 ans. Une coordination entre les régimes de retraite et les autres avantages sociaux s’imposera. »

Quant à la Régie des rentes, on réduit les prestations pour retraite anticipée et, à l’inverse, on les bonifie pour ceux qui prennent leur retraite après 65 ans. « L’effet réel sur l’employé dépendra des revenus, dit M. Lefebvre. Les personnes à revenus élevés seront moins touchées par ces modifications. » Il apparaît certain que certaines personnes, dont il s’agit de la source principale de revenus, auront de la difficulté à retarder le début du versement des prestations des régimes gouvernementaux. Or, en règle générale, il est maintenant plus payant d’attendre, affirme M. Bourget. « Les conseillers en services financiers disent depuis longtemps qu’il faut recevoir sa rente le plus tôt possible – mais, à mon avis, il faut changer les paradigmes car ce n’est plus vrai, dit-il. Est-ce que cela veut dire qu’il faut prendre sa retraite plus tard ? Aux travailleurs de décider. »

En effet, la décision relève peut-être plus souvent du travailleur que de l’entreprise. La façon de travailler – et de vivre – aujourd’hui risque de contribuer au besoin de prendre sa retraite plus tard, compte tenu des fonds que l’employé arrive à épargner. « Les personnes tendent à rester moins longtemps dans une compagnie. Même dans le cas de travailleurs plus stables, qui gardent leur emploi longtemps, on commence un peu plus tard qu’avant, explique M. Lefebvre. Si on commence à cotiser cinq ans plus tard en gardant le même âge de retraite, cela veut dire cinq ans de moins de rente. »

Qu’à cela ne tienne, l’enjeu pour les entreprises québécoises est de taille. Richard Bourget constate que, outre la question de la population active en décroissance, il subsiste le fait que le Régime des rentes coûte plus cher que le Régime de pensions du Canada (RPC), et ce, pour deux raisons principales : les salaires plus bas qu’ailleurs au pays et le fait que les Québécois tendent à partir plus tôt. « Nous sommes, par conséquent, désavantagés par rapport au reste du Canada, ajoute-t-il. Juste de vouloir maintenir les mêmes bénéfices que les autres provinces nous coûtera plus cher et aura un impact sur la compétitivité des entreprises québécoises. Il faut donc y réfléchir avant que les baby-boomers ne soient tous rendus à la retraite. » Retarder l’âge de la retraite semble représenter une bonne piste de solution.