Face à la hausse fulgurante des coûts des régimes d’assurance collective et aux disparités grandissantes entre les régimes privés et public d’assurance médicaments, un seul constat s’impose : le système hybride québécois est un échec.

C’est ce qu’on voulut démontrer les différents conférenciers qui ont pris la parole la semaine dernière à Laval lors du Colloque sur les régimes privés et public d’assurance médicaments de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ). La centrale syndicale mène une vaste campagne faisant la promotion d’un régime public et universel d’assurance médicaments.

« Les régimes privés coûtent 65 % plus cher qu’il y a huit ans, et le prix des médicaments va continuer d’augmenter plus rapidement que l’inflation », a lancé Yanick Comeau, actuaire chez Services actuariels SAI. Dans certains régimes, la prime familiale mensuelle payée par les employés peut atteindre 450 $. C’est une dépense colossale! »

Dans le cas des employés à faible revenu ou travaillant à temps partiel, la prime d’assurance peut même représenter jusqu’à 15 % du salaire. « On voit de plus en plus de travailleurs à faible revenu démissionner parce que la prime est démesurée par rapport au salaire », déplore-t-il.

En plus de devoir composer avec des retenues salariales importantes, ces travailleurs ont souvent du mal à payer les franchises et coassurances prévues par leur régime. Faute de moyens, ils ne remplissent pas toujours leurs ordonnances.

Soigner une hémorragie avec un plaster

Au sein des régimes d’assurance collective, le volet assurance maladie est à l’origine d’environ 70 % des coûts. Et de cette proportion, de 70 à 90 % des coûts proviennent de la consommation de médicaments sur ordonnance. Les médicaments spécialisés très onéreux ne sont pas étrangers à cette tendance. En 2016, neuf médicaments affichaient un prix de 200 000 $ ou plus par an au Canada. Il s’agit ni plus ni moins que d’une rente à vie pour les sociétés pharmaceutiques, estime Yanick Comeau.

« Aujourd’hui, les régimes d’assurance collective représentent 6 à 12 % de la masse salariale des entreprises. On commence à se rapprocher dangereusement des coûts des régimes de retraite. On ne doit pas perdre de vue que si la part de la rémunération globale dédiée aux assurances augmente, les hausses salariales risquent de diminuer », poursuit-il.

Résultat, les couvertures rétrécissent, les primes augmentent, et certains employeurs décident carrément de mettre la hache dans leur régime. « Le problème, c’est que les promoteurs ne peuvent pas faire grand-chose. Oui, ils peuvent mettre en place des mesures pour gérer les coûts, comme la substitution générique ou les listes gérées, mais c’est un peu comme mettre un plaster sur une hémorragie. Tant que la facture au point de vente va être démesurée, le coût des assurance va l’être lui aussi. »

À ce chapitre, l’actuaire déplore que la loi 92, qui oblige dorénavant les pharmaciens à remettre des factures détaillées à leurs clients, n’ait pas vraiment eu d’effets sur les honoraires facturés aux assurés des régimes privés. « Les honoraires au privé sont au moins deux fois plus élevés qu’au public. On voit parfois passer des réclamations où le pharmacien a chargé 240 $ d’honoraires pour une facture mensuelle de 1300 $. C’est très exagéré », peste-t-il.

De plus, les assurés du régime public n’ont pas à payer la taxe sur la prime de 3,4 % et la taxe de vente de 9 % chargés aux assurés des régimes privés. Le régime public réalise aussi des économies d’échelle grâce à son plus grand pouvoir de négociation. « Au total, les coûts sont au minimum 35 % plus élevés pour les régimes privés. Les dés sont pipés », résume Yanick Comeau.

L’actuaire est d’avis que le modèle d’approvisionnement et de distribution des médicaments au pays dois être revu de A à Z. « Si on continue avec le statu quo, on devra bientôt prendre des décisions très difficiles. On doit repenser le système. »

Le système actuel est une anomalie

Pour Marc-André Gagnon, professeur adjoint à la School of Public Policy and Administration de l’Université Carleton, il ne fait aucun doute que le système hybride public-privé actuellement en place est inefficace et positionne le Québec parmi les cancres de l’Organisme de coopération et de développement économique (OCDE).

« Le système actuel est une anomalie, il n’est tout simplement pas fonctionnel », affirme-t-il, en ne mâchant pas ses mots.

Il soutient qu’à l’époque, la création du régime hybride au Québec représentait une première étape vers une régime entièrement public et universel. La solution qui devait être temporaire s’est cependant transformé en système permanent, avec tous ses défauts.

« On a un grave problème d’iniquité dans l’accès aux médicaments au Canada, poursuit Marc-André Gagnon. Les primes et la couverture varient grandement selon les régimes. Le système est fragmenté. »

Selon le chercheur, le système canadien d’assurance médicaments est basé sur des franchises et des coassurances très élevées, ce qui fait en sorte que la non-adhésion aux traitements par les patients pour des raisons financières atteint 10 %. « Parmi les pays de l’OCDE, il s’agit du pire résultat après les États-Unis », s’exclame-t-il.

Le Canada fait piètre figure

Le coût médian des régimes d’assurance médicaments des pays de l’OCDE sont 60 % plus bas qu’au Canada, et 80 % plus bas qu’au Québec. « Et le pire, c’est que l’accès aux médicaments est quand même inférieur chez nous. Le système actuel profite aux pharmaciens et aux sociétés pharmaceutiques, qui s’en mettent plein les poches », lance-t-il.

Par exemple, un Allemand paiera deux fois moins cher une ordonnance de 500 comprimés de 20 milligrammes d’un générique du Lipitor qu’un Canadien. « Notre système est fragmenté, on a donc une moins grande capacité à négocier de rabais », fait-il remarquer.

En revanche, les rabais confidentiels entre les assureurs et les sociétés pharmaceutiques sont légion. Mais malheureusement pour les promoteurs de régimes et les assurés, ils n’ont pour seul effet que de faire gonfler les prix encore plus, juge le chercheur. « Les rabais confidentiels incitent les assureurs à lister davantage de médicaments onéreux. La réalité, c’est qu’on gaspille une tonne d’argent dans des médicaments qui ne valent pas grand-chose. Couvrir tout à n’importe quel prix incite les pharmaceutiques à commercialiser des molécules presque identiques à celles déjà disponibles sur le marché, mais en les vendant beaucoup plus cher. »

Il explique par exemple que parmi les 109 nouveaux médicaments autorisés au pays en 2011, 69 % apportaient une amélioration minime à la condition des patients, et 25 % une amélioration modeste. Seulement 5 % représentaient une amélioration importante, et 1 % constituait une découverte.

« Avant de faire peur aux gens en soutenant qu’un régime public et universel réduirait l’accès aux nouveaux médicaments, il faudrait peut-être déterminer quelles innovations valent la peine qu’on paient. »

Marc-André Gagnon affirme que l’abandon du système hybride actuel au profit d’un régime public unique permettrait d’éliminer la fragmentation, d’améliorer l’équité et l’accès aux médicaments, de mettre fin aux ententes confidentielles et de générer des économies d’échelle grâce aux achats groupés.

« Le directeur parlementaire du budget estime qu’un régime national d’assurance médicaments permettrait de réaliser des économies de 20 % par année. Cela dit, on doit aussi développer des outils institutionnels pour encourager une consommation plus rationnelle des médicaments et des habitudes de prescriptions plus responsables de la part des médecins », juge le professeur.

D’ici une réforme majeure, il propose à tout le moins de cesser d’obliger les employés ayant accès à une assurance privée d’y adhérer, leur laissant ainsi le choix de se tourner vers le régime public. « La question fondamentale est de savoir si on veut maintenir un système axé sur le gaspillage. »