Les problèmes de santé mentale figurent parmi les trois principaux facteurs de demandes de prestations d’invalidité de courte durée (ICD) et d’invalidité de longue durée (ILD) au Canada1. De nombreux experts insistent sur la nécessité d’offrir des stratégies de retour au travail progressif et des mesures d’accommodement; d’abord pour aider les employés à réintégrer avec succès leur milieu de travail après une absence pour un problème de santé mentale, et ensuite pour réduire le risque de rechute. La mise en place de telles mesures passe toutefois par une meilleure compréhension de la santé mentale de la part des gestionnaires, et par le développement d’outils pour les soutenir. Le Colloque 2013 sur la santé mentale, organisé le 6 novembre dernier par la revue Avantages, a permis de découvrir ces différentes stratégies en milieu de travail et comment les implanter avec succès.

La dépression en milieu de travail

Selon le Conference Board du Canada, 16 % des femmes et 11 % des hommes souffriront d’une dépression majeure au cours de leur vie, et les six problèmes de santé mentale les plus courants coûtent 20,7 milliards de dollars par an à l’économie canadienne. « Ce coût devrait atteindre 29,1 milliards d’ici 2030 », annonce Louise Chénier, associée de recherche au Conference Board. Un sondage réalisé par l’organisme entre février et mars 2013 auprès de 2004 employés de l’ensemble du Canada a révélé que 66 % d’entre eux ont eu au moins une difficulté (concentration, mémoire, prise de décisions ou exécution de tâches) dans certaines activités professionnelles au retour d’un congé pour dépression. « La présence persistante d’une difficulté cognitive peut mener à une rechute de la dépression, souligne Mme Chénier. La première mesure à prendre par les gestionnaires est donc d’offrir des accommodements. » Proposer un horaire flexible, offrir des congés pour les rendez-vous médicaux, réduire les distractions dans le milieu de travail, fournir des aide-mémoires, permettre à l’employé de prendre une pause ou d’utiliser des techniques de relaxation sont parmi les mesures que les employeurs peuvent proposer. « Certaines entreprises autorisent même la présence d’un animal d’assistance », indique Mme Chénier. Elle insiste aussi sur la nécessité de développer un environnement où le processus de gestion du rendement sera sensible, positif et constructif. Il importe donc d’offrir du soutien à l’employé lors du retour au travail et de l’aider à se sentir valorisé et à se considérer membre à part entière de l’équipe.

Par ailleurs, l’aide proposée par l’employeur va de pair avec une bonne compréhension des diagnostics. « L’employeur doit s’assurer que l’entreprise comprend la situation des employés, souligne Marie-Claude Ivens, directrice du développement des affaires à Cira Services médicaux. Cette compréhension consiste à définir ce que l’employé peut faire et non ce qu’il ne peut pas faire. » Il faut également revisiter fréquemment les diagnostics, insiste Mme Ivens. « Souvent, le problème de santé mentale apparaît alors que la personne est traitée pour un problème physique, mentionne-t-elle. Il est important de rester proche de la personne pour savoir si sa condition change. On sait, par exemple, que 25 % des personnes atteintes d’un cancer souffrent de dépression. »

Le TDAH au travail

Outre la dépression, le Trouble de déficit d’attention avec hyperactivité (TDAH), mieux connu chez l’enfant, figure parmi les problèmes de santé mentale dont le diagnostic commence à être plus connu chez l’adulte, annonce Dre Valérie Tourjman, chef médical du programme des troubles anxieux et de l’humeur à l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal. « Contrairement à la dépression, le TDAH ne s’acquiert pas à l’âge adulte », souligne-t-elle. Ce trouble se manifeste durant l’enfance et persiste à l’âge adulte dans les deux tiers des cas. « La maladie aura des impacts sur la performance et sur la personnalité », ajoute Dre Tourjman. Une étude révèle d’ailleurs que deux personnes atteintes de TDAH sur trois ont changé d’emploi au cours des cinq dernières années. De plus, ces personnes présentent souvent une autre affection comme la dépression (63 % des personnes atteintes de TDAH), l’anxiété (58 %), la toxicomanie ou l’alcoolisme (22 %) ou un trouble bipolaire (16 %). Lors d’un récent sondage, 51 % des répondants ont indiqué s’être absentés du travail ou de l’école en raison du TDAH.

Le diagnostic de TDAH chez l’adulte peut être long (2,9 années en moyenne) et la médication demeure la pierre angulaire du traitement. « Plusieurs études démontrent que le coût global du TDAH diminue lorsque la personne est traitée, notamment parce qu’elle s’absente moins, mentionne Dre Tourjman. Le TDAH représente une condition qui se traite bien et la réponse aux traitements est l’une des meilleures en médecine ! »

Des mécanismes d’adaptation et certains aménagements sont également nécessaires au travail puisqu’une personne atteinte de TDAH doit redoubler d’effort pour fonctionner de façon optimale. « Les milieux de travail qui sont ouverts pour que les employés puissent travailler en équipe sont les pires pour ces personnes, précise Dre Tourjman. Il faut leur assigner un milieu de travail moins distrayant, réduire le bruit, limiter la nécessité de participer à de longues réunions et leur permettre des pauses pour des marches. »

Améliorer la littératie en santé mentale des gestionnaires

« Les problèmes de santé mentale représentent 30 % des réclamations en invalidité au Canada. Il est donc important d’équiper les gestionnaires pour qu’ils soient en mesure de faire face à ces problèmes, indique Michèle Parent, vice-présidente adjointe Région de l’Est, Invalidité groupe, Garanties collectives à la Financière Sun Life. Malheureusement, 45 % des gestionnaires ne disposent d’aucune formation portant sur la santé mentale du personnel. »

Alors qu’elle étudiait à la maîtrise à l’Université Saint Mary’s, Jennifer K. Dimoff a développé le programme de formation Mental Health Awareness Training (MHAT) qui vise à améliorer les connaissances, les attitudes et les compétences des gestionnaires en matière de santé mentale. Son efficacité s’est avérée dans plusieurs environnements de travail. « Il a permis une réduction de 25 % des coûts liés à l’invalidité due à des troubles de santé mentale », mentionne Michèle Parent.

Le programme développé par Jennifer K. Dimoff consiste en une formation de trois heures destinée aux gestionnaires. « Un guide pratique leur est fourni pour qu’ils sachent quels accommodements offrir à leurs employés et comment établir des objectifs clairs à leur retour au travail », indique Michèle Parent.

Obtenir de l’aide sur les médias sociaux

L’utilisation de plus en plus importante des téléphones intelligents a entraîné une hausse impressionnante du nombre d’applications mobiles offertes, notamment en santé. « Celles-ci ont doublé en 2013 par rapport à l’année précédente », constate Jacques Sauvageau, vice-président, Efficacité organisationnelle et directeur général, Québec à Homewood Santé. Depuis peu, ces outils offrent un support dans les domaines de la santé mentale et de la toxicomanie. Selon M. Sauvageau, aucune application mobile n’est disponible actuellement en français pour aider les toxicomanes, mais le site web ToxQuébec (www.toxquebec.com) offre un forum réunissant des professionnels et des personnes préoccupées par leur consommation.

En santé mentale, parmi les applications mobiles qui seront bientôt offertes au Québec, trois ont retenu l’attention du spécialiste. RéadApps, développée par l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, aidera les travailleurs à retourner au travail après un congé maladie. « Cet outil est conçu pour permettre à la personne de mieux prendre en charge son horaire, sa médication, son alimentation, etc. », indique Jacques Sauvageau. Une autre application dont le nom provisoire est ISMART, développée par l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, vise à permettre à l’utilisateur de mieux gérer son stress au quotidien. Enfin, Psy Assistance, conçu par le Dr Réal Labelle, chercheur à l’Hôpital Rivière-des-Prairies et au Institut universitaire en santé mentale de Montréal, est une application en cours de validation qui informe, outille et protège le patient suicidaire en dehors du bureau de son thérapeute. « Il y a encore beaucoup de travail à faire pour intégrer l’utilisation proactive des médias sociaux et des applications dans la prévention, les traitements et l’aide à la personne, admet M.Sauvageau. Nous devons chercher à mieux utiliser nos espaces virtuels pour améliorer la qualité de vie des personnes, des professionnels et des organisations. »

Les présentations de l’événement peuvent être téléchargées à partir du site de l’événement en cliquant ici.

1Towers Watson, « Les investissements dans la santé des employés génèrent une plus grande productivité », le 21 novembre 2012.