Plus du tiers des 100 patrons les mieux rémunérés au pays en 2019 dirigeaient une entreprise qui s’est tournée vers la Subvention salariale d’urgence du Canada (SSUC) l’an dernier, selon un rapport du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA), qui exhorte Ottawa à modifier les critères de ce programme d’aide.

Au total, le document publié lundi par le groupe de réflexion recense 36 sociétés cotées en Bourse qui ont bénéficié, directement ou par l’entremise d’une filiale, du programme d’aide fédéral qui, à un certain moment, couvrait jusqu’à 75 % du salaire d’un employé. On y retrouve les noms de compagnies comme Air Canada, BCE, Bombardier et TC Transcontinental, qui ont toutes leur siège social au Québec.

«C’est presqu’une certitude que l’on verra des entreprises, qui, d’un côté, verseront d’énormes montants à leurs dirigeants en primes, tout en ayant reçu, de l’autre, ces subventions du gouvernement», a affirmé l’auteur du rapport et économiste principal du CCPA, David Macdonald, au cours d’un entretien téléphonique.

Le portrait brossé par l’organisme survient au moment où une majorité d’entreprises s’apprêtent à dévoiler, au cours des prochaines semaines, les données entourant la rémunération, qui inclue des éléments comme le salaire de base, les options sur des actions et les primes, de leurs hauts dirigeants pour la dernière année, marquée par la crise sanitaire.

D’après le rapport, Ottawa devrait s’inspirer de pays comme les Pays-Bas et l’Espagne, où, dans le cadre de programmes similaires, les compagnies ne sont pas admissibles à une aide si elles versent des primes à leurs dirigeants ou des dividendes à leurs actionnaires.

«Le programme de la subvention salariale a été modifié presque chaque mois depuis sa création, a dit M. Macdonald. On le change un peu pour l’améliorer. Il sera en vigueur jusqu’à l’été. C’est quelque chose que l’on peut immédiatement changer.»

Ottawa a fait valoir que les sommes obtenues par l’entremise de la SUCC devaient uniquement servir à couvrir une partie du salaire des employés d’une entreprise. Le programme ne comprend toutefois aucun encadrement en ce qui a trait aux approches des entreprises en matière de rémunération des hauts dirigeants et de dividende.

En réponse à une demande d’information visant à savoir si le gouvernement Trudeau comptait resserrer les critères d’admissibilité de la SUCC, Katherine Cuplinskas, l’attachée de presse de la ministre des Finances Chrystia Freeland, a répondu, dans un courriel, que des sanctions étaient prévues pour les compagnies qui ne respectaient pas les règles.

«La subvention salariale d’urgence du Canada est conçue pour protéger les emplois», a-t-elle écrit, en soulignant que le programme avait aidé «quatre millions de Canadiens».

Un fossé important

Dans ses autres constats, le CCPA note que si la rémunération des principaux dirigeants d’entreprises du pays a été en baisse en 2019 comparativement à 2018, elle représente toujours plus de 200 fois le salaire moyen des travailleurs.

Ainsi, la paye totale des 100 patrons les mieux payés a été de 10,8 M$ en moyenne, comparativement à un record de 11,8 M$ en 2018. Pendant ce temps, le revenu individuel moyen au Canada pour 2019 a été de 53 482 $, en hausse comparativement aux 52 061 $ de 2018.

Le ratio moyen des 100 premiers chefs d’entreprises par rapport au revenu individuel moyen a été de 202 pour un en 2019, contre 227 pour un en 2018.

Le rapport indique que cela signifie qu’à 11 h 17, le premier jour de travail de l’année, le dirigeant moyen parmi les 100 les mieux payés avait gagné autant d’argent que le travailleur canadien moyen en gagnerait toute l’année.

M. Macdonald s’attend à observer une progression des émoluments de la moitié des dirigeants du classement pour l’année 2020, notamment grâce à la reprise des marchés boursiers après la dégringolade du printemps.

«La pandémie n’a pas été mauvaise pour tout le monde», a-t-il dit.

En 2019, le salaire de base ne représentait que 12 % de la rémunération globale des 100 patrons les mieux payés, alors que le reste provenait des primes annuelles, des attributions sur des actions ainsi que des options sur des titres.