Rendu public il y a maintenant deux ans, le rapport du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois (comité D’Amours) renferme une quinzaine de recommandations visant à assurer la pérennité des régimes à prestations déterminées (PD). Parmi celles-ci figure la possibilité que la caisse de retraite d’un régime soit répartie en deux comptes distincts : un pour les employés actifs et un pour les retraités. La division, une solution ?

« C’est une des recommandations les plus importantes du rapport du comité D’Amours, mais elle n’a pas encore reçu beaucoup d’attention », soutient René Beaudry, actuaire et associé chez Normandin Beaudry et membre du comité. « On cherche à réduire les risques qui entourent les régimes PD dans le but de les préserver. Cette recommandation s’inscrit dans cet objectif. »

Selon la recommandation du comité d’experts, les deux comptes seraient traités comme si chacun d’eux constituait un actif distinct, avec ses degrés de capitalisation et de solvabilité. « Dans le fond, il y a deux régimes en un. C’est comme si on en créait un nouveau », simplifie René Beaudry. En cas de terminaison du régime, les droits des participants seraient acquittés à partir de leurs comptes respectifs. « Le but serait d’offrir une option supplémentaire de gestion des risques dans le système et de l’encadrer par la loi », explique Michel St-Germain, actuaire et associé chez Mercer.

Deux comptes, deux politiques de placement
L’objectif principal de créer deux comptes distincts au sein d’un régime est de simplifier la mise en place de politiques de placements adaptés pour chacun des groupes, qui possèdent des caractéristiques bien différentes. « Les risques devraient être réduits pour les retraités, la partie la plus mature du régime, alors qu’on est prêt à accepter plus de volatilité dans la caisse des employés actifs pour obtenir un rendement plus élevé, parce qu’il n’y a pas de rentes immédiates à payer  », souligne René Beaudry. Même son de cloche chez Michel St‑Germain : « Pour les employés en service, l’horizon est beaucoup plus long. Les obligations sont moins bien définies parce qu’il y a beaucoup d’incertitudes sur le passif d’un jeune employé, alors que le passif d’un retraité est mieux connu. »

Dans la pratique, le compte des retraités serait ainsi composé majoritairement de titres à revenu fixe, alors que celui des employés actifs contiendrait une proportion plus importante d’actions. « Il faut faire attention, si les retraités sont moins à risque, est-ce que ça veut dire que les employés actifs sont plus à risque ? », met toutefois en garde M. St-Germain.

René Beaudry est peu préoccupé par cette question. Il soutient qu’au contraire, les régimes actuellement gérés selon une politique de placement unique exposent de facto, sans le réaliser, l’actif des employés en service à des risques de marché élevés. « Prenons par exemple une caisse de 100 millions de dollars d’actifs composée à 50 % d’actions et 50 % d’obligations, ce qui est plutôt la norme. Si l’actif des retraités correspond à 40 M$ et qu’il est géré exclusivement ou presque exclusivement en obligations, ça veut dire que l’actif de 60 M$ des employés en service est constitué à plus de 80 % d’actions », explique l’actuaire.

« Les gens sont habitués de voir un régime comme un tout. Alors devant un régime investi à 80 % en actions, ils ont automatiquement tendance à trouver cela beaucoup trop risqué. Mais si on crée, même virtuellement, deux politiques de placements, on réalise à quel niveau l’actif des employés en service est déjà exposé au risque », ajoute M. Beaudry. La séparation en deux comptes n’a pas pour objectif de changer nécessairement la politique de placement globale initiale, mais de permettre une évolution reliée à l’accroissement du poids des retraités.

Plutôt qu’un changement fondamental dans la structure des régimes de retraite, la possibilité de créer deux comptes distincts est donc avant tout une façon d’amener les promoteurs à mieux réaliser les risques qu’ils assument avec leurs politiques de placements, tout en en protégeant mieux les retraités, notamment lors de la terminaison d’un régime. « Ce n’est pas une invention, c’est une façon de mieux définir les choses », résume Michel St-Germain.

Une question de clarté
Même si la règlementation actuelle ne permet pas à un régime de réellement séparer les droits des employés de celui des retraités, plusieurs promoteurs répartissent l’actif de leur caisse virtuellement et adoptent des politiques de placement en conséquence. « Il n’y a rien dans la loi qui empêche un régime d’avoir deux politiques de placement distinctes, fait d’ailleurs remarquer Michel St-Germain. Certains régimes gèrent déjà leurs politiques de placement de façon séparée pour les employés actifs et les retraités, mais une modification de la loi permettrait de mieux encadrer tout ça. »

Si certaines considérations techniques restent à définir, la possibilité de diviser la caisse de retraite pourrait faciliter la vie des gestionnaires. « Ils pourraient communiquer cette stratégie comme telle aux participants et à la Régie des rentes. Les régimes qui opteraient pour cette solution devraient évidemment l’expliquer clairement aux participants, ce qui n’est pas forcément évident, en adoptant des communications très transparentes », note M. St-Germain.

Malgré sa simplicité apparente, la création d’un compte distinct pour les retraités n’est pas forcément adaptée à tous les régimes. « C’est une option peu intéressante pour les petits régimes de retraite, qui sont souvent moins matures. C’est une possibilité qui va surtout intéresser les gros régimes qui ont un passif important », affirme Michel St-Germain. D’autant plus que la création de deux comptes distincts au sein de la caisse de retraite nécessite aussi la création de deux systèmes comptables, une complexité administrative que certains petits régimes pourraient avoir du mal à gérer.

Pourquoi pas des rentes ?
L’idée de créer un compte distinct pour les retraités est intimement liée à une autre recommandation du rapport du comité D’Amours qui propose de transférer intégralement la responsabilité à l’assureur lors de l’achat de rentes en cours d’existence d’un régime.

Car même si les promoteurs sont plus nombreux qu’auparavant à envisager l’achat de rentes pour se départir du risque de longévité de leur régime, la loi actuelle ne leur permet pas de se dégager totalement de leur responsabilité fiduciaire envers les participants.

« Actuellement, les rentes sont considérées comme un placement pour les caisses de retraite au Québec. Si j’achète 100 M$ de rentes, c’est comme si j’achetais 100 M$ d’obligations ou d’actions », indique René Beaudry. C’est donc le régime de retraite qui demeure ultimement responsable des rentes payées aux retraités, par exemple dans le cas, certes peu probable, ou l’assureur ferait faillite. « Même si le risque est très faible, ça demeure une inquiétude pour les caisses de retraite », affirme M. Beaudry. « On ne peut jamais être certain que la responsabilité complète est transférée à l’assureur, ajoute Michel St-Germain. Nos clients veulent se débarrasser de cette responsabilité-là. Dans bien des régimes, le nombre de retraités dépasse le nombre d’employés actifs, mais ce n’est pas leur business de s’occuper des retraités. »

Les deux experts sont unanimes : l’achat de rentes est la seule solution pour éliminer le risque de longévité d’un régime. Malgré tout, bien des employeurs sont encore réticents à en faire l’acquisition. « C’est une décision difficile à prendre, surtout avec le cours actuel des taux d’intérêt. Il s’agit d’une transaction irrévocable. Avec les politiques de placement, on peut toujours changer d’idée, mais quand l’argent va à la compagnie d’assurances, il ne revient jamais », note Michel St‑Germain.

Selon René Beaudry, il faut voir l’achat de rentes comme une extension des politiques de placements instituées par la création d’un compte distinct pour les retraités au sein de la caisse de retraite. « Les gens se disent qu’ils ne sont pas pour vendre des actions pour acheter un produit qui donne 3 % de rendement. L’idée c’est de vendre graduellement des obligations du compte des retraités pour acheter des rentes. Tout ça, c’est un continuum. L’achat de rentes, c’est la fin de la boucle », expose-t-il.

Car si la recommandation proposant de nouvelles règles concernant les achats de rentes et celle donnant la possibilité aux gestionnaires de créer un compte distinct pour les retraités vont de pair, c’est parce qu’elles visent les mêmes objectifs, soit de mieux gérer les risques au sein des régimes PD et mieux sécuriser la rente des retraités. « Je m’attends à ce que ces deux options soient présentes dans une éventuelle révision de la loi sur les régimes de retraite, croit d’ailleurs Michel St-Germain. L’avenir va nous dire si les promoteurs vont les utiliser. » De conclure René Beaudry : « C’est peut-être plus intelligent de mettre en place ce genre de solutions pour réduire le risque à l’intérieur d’une caisse de retraite que d’assumer un risque énorme sur la totalité et en venir à fermer les régimes. »