COMME SON NOM L’INDIQUE, l’investissement responsable est un amalgame
savant entre préoccupations sociales et performances financières
utilisé dans le cadre de l’investissement. Contrairement à
la croyance populaire, les investisseurs qui optent pour ce genre de placement
ne consentent pas à sacrifier une partie du rendement pour défendre
leurs préoccupations sociales. La plupart d’entre eux souhaitent
seulement respecter leurs valeurs tout en obtenant de bonnes performances.

Le gestionnaire de portefeuille a donc un double mandat; il est chargé
de générer des rendements plus que satisfaisants tout en respectant
de nombreuses contraintes découlant d’une certaine conception de
l’éthique.

Dans une certaine mesure, les fonds socialement responsables sont à
l’image des fonds d’investissement traditionnels; ils sont soumis
aux mêmes contraintes de marché et répondent aux mêmes
règles de base. Le portefeuille est construit en suivant une démarche
d’investissement disciplinée, en plus de contenir des classes d’actif
clairement précisées. Avant d’être achetés,
les titres passent à travers un processus rigoureux d’analyse qui
permet d’évaluer leur intérêt d’un point de
vue financier.

Les fonds de valeur sociale se distinguent cependant des fonds d’investissement
traditionnels par le fait qu’ils ajoutent une autre série de paramètres
lors de la sélection des titres. En plus des critères d’investissement
usuels, ils doivent composer avec des critères d’exclusion automatique
et des critères qualitatifs.

Le but des critères d’exclusion automatique est de limiter l’univers
de placement du gestionnaire de portefeuille. Par exemple, celui-ci ne pourra
pas investir dans des secteurs controversés comme l’armement, le
tabac, l’alcool, l’énergie nucléaire, la pornographie
ou les jeux de hasard. Plusieurs fonds excluent aussi les entreprises menant
des activités au profit de certains régimes où les droits
de la personne sont sévèrement réprimés, comme c’est
le cas en Birmanie par exemple.

Les critères qualitatifs, quant à eux, tiennent compte simultanément
d’un ensemble de préoccupations sociales, au regard de l’éthique.
Ces critères portent habituellement sur les relations et les conditions
de travail, l’équité dans l’emploi, les pratiques
environnementales, les relations avec la communauté, les dons de charité
et la bonne régie d’entreprise.

L’approche des « meilleurs de secteur
»

Comme les critères d’investissement peuvent être nombreux,
le gestionnaire de portefeuille doit tenter de satisfaire le mieux possible
l’ensemble des paramètres qui encadrent son processus de décision.
Par exemple, en analysant tous les aspects d’une compagnie, il pourrait
décider d’acheter les actions d’une entreprise controversée
sur le plan environnemental, mais qui montre des signes d’amélioration,
en plus d’avoir plusieurs autres points forts.

En fait, les gestionnaires de fonds socialement responsables utilisent de plus
en plus l’approche des «meilleurs de secteur», qui consiste
à privilégier les entreprises qui se comportent mieux que leurs
pairs sur le plan social. Cette approche offre une meilleure marge de manoeuvre
au gestionnaire.

Grâce aux outils électroniques modernes, il est aujourd’hui
facile de construire des portefeuilles sur mesure, qui respectent un certain
nombre de paramètres. Les gestionnaires font aussi appel à de
l’expertise externe, ce qui permet d’offrir un produit de qualité
à moindre coût. Les ressources externes sont nombreuses et ont
une approche très pointue. Certaines firmes, par exemple, se spécialisent
dans l’analyse des propositions des actionnaires et la formulation de
recommandations sur le vote. D’autres offrent un service de recherche
sur la valeur sociale des compagnies ou la régie d’entreprise.

Pour assurer que le comportement social d’un fonds soit satisfaisant,
le gestionnaire peut le comparer à un indice de référence
social, tout comme il le fait pour son rendement en le comparant à un
indice boursier.

Le premier indice boursier de valeur sociale a été créé
aux États-Unis en 1990. Depuis, les agences de notation ont multiplié
les initiatives. Dans certains cas, l’indice de valeur sociale dérive
d’un indice boursier courant(ex. S&P/TSX). L’objectif du gestionnaire
de portefeuille est alors de surclasser l’indice de référence
à la fois par l’aspect social et par les rendements.

Le droit de vote
Une caractéristique importante qui distingue un certain nombre de fonds
socialement responsables est l’utilisation des droits de vote des actionnaires.
Essentiellement, ces fonds tentent d’influencer les entreprises dans le
sens d’une plus grande responsabilité sociale en utilisant leur
droit de vote lors de l’assemblée des actionnaires.

De plus, comme l’actionnaire d’une entreprise peut présenter
une proposition à l’assemblée annuelle, certains fonds en
profitent pour apporter des suggestions qui, même si elles ne remportent
pas la majorité des voix, sensibiliseront la direction de l’entreprise
à des facteurs qui pourraient améliorer leurs pratiques.

Les institutions religieuses ont été les pionnières de
ce militantisme. Depuis quelques années, plusieurs sociétés
de gestion et de caisses de retraite ont emboîté le pas et utilisent
leur énorme pouvoir financier pour favoriser un meilleur comportement
social. Ces institutions votent en faveur de propositions sociales, proposent
des résolutions et peuvent même dénoncer publiquement les
mauvaises pratiques des compagnies.

Bref, en deux décennies, des sociétés de gestion ont réussi
ce tour de force qui consiste à proposer une série de véhicules
de placement alliant rendement et éthique des affaires. Ces produits
variés et sophistiqués répondent à des préoccupations
profondes manifestées par les investisseurs. Ils sont des solutions clés
en main pouvant facilement être introduites dans les politiques de placement
des caisses de retraite.

À savoir
Au 31 décembre 2004, l’investissement social canadien se chiffrait
à 65,5 milliards de dollars. Il s’agit d’une croissance de
27 % en deux ans.

  • En ce qui concerne le rendement, l’investissement responsable a surclassé
    le marché boursier de janvier 2000 jusqu’à aujourd’hui
    (Jantzi Research).
  • 75 % des gestionnaires de fonds d’investissement traditionnels pensent
    que des critères sociaux et environnementaux seront intégrés
    dans le processus d’investissement au cours des dix prochaines années
    (Mercer Investment Consulting).
  • 57 % des investisseurs institutionnels affirment se baser sur la qualité
    de la régie d’entreprise pour décider d’accroître ou de
    diminuer leur participation dans une société(Samson Bélair/Deloitte
    & Touche).
  • Jusqu’à 41 % des investisseurs, selon leur pays d’origine,
    se disent disposés à payer une prime pour une bonne régie
    d’entreprise(Samson Bélair/Deloitte & Touche).
  • Une progression de 10 à 12 % de l’évaluation boursière
    peut être réalisée par les sociétés qui
    passent d’une gouvernance médiocre à une gouvernance exemplaire
    (Samson Bélair/Deloitte & Touche).

BENOIT BRILLON, CFA, est gestionnaire du Fonds d’actions canadiennes
de valeur sociale au bureau de Gestion de portefeuille Natcan à Montréal.