APRÈS AVOIR OBTENU UN RENDEMENT de 27,5 % en 2003, les actions des
marchés émergents ont progressé de 16,4 % en 2004, dominant
ainsi la performance de l’indice MSCI Monde, dont le gain a été
de 6,4 %. En fait, depuis quinze ans, les titres des marchés émergents
ont surpassé les actions non nord-américaines selon l’indice
MSCI EAEO(Europe, Australasie et Extrême Orient)de plus de 4% par an.

Cette performance, conjuguée à la vigueur de la croissance économique
du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine(BRIC), a amené
les investisseurs institutionnels à reconsidérer l’opportunité
d’investir sur les marchés en voie de développement. Ceux-ci
ne représentent environ que 5 % de la capitalisation boursière
mondiale, mesurée par l’indice MSCI All-Country World. Toutefois,
l’exposition à cette classe d’actif détenue par l’ensemble
des investisseurs institutionnels nordaméricains est inférieure
à leur pondération boursière.

En dépit des inquiétudes voulant que la récente croissance
des marchés émergents ne soit qu’un phénomène
cyclique, les investisseurs devraient réserver une allocation structurelle
à cette classe d’actif.

Comme l’a souligné William Goetzmann, un spécialiste de
l’Université de Yale, bon nombre de marchés émergents
sont des marchés « ré-émergents ». Plusieurs
croient actuellement que les placements sur les marchés émergents
datent de la chute du mur de Berlin, en 1989. Mais il y avait une bourse en
Russie au début des années 1900, et plusieurs marchés de
l’actuel indice MSCI ont aussi connu des périodes de perturbation,
dont les deux conflits mondiaux au 20e siècle et l’expansionnisme
soviétique.

Fort de la connaissance de ces fluctuations, les investisseurs du 21e siècle
auraient tout intérêt à ignorer l’opinion d’Henry
Ford pour qui l’histoire n’avait aucun intérêt.

Il y a trois bonnes raisons d’investir sur les marchés émergents:

  • la diversification,
  • l’amélioration des rendements,
  • l’élargissement des possibilités de placement.

Diversifier son portefeuille
La corrélation entre les indices MSCI Marchés émergents
et MSCI Monde est de 0,83 pour les cinq dernières années, mais
de 0,68 pour les quinze dernières. En fait, les corrélations augmentent,
car les marchés émergents éliminent peu à peu les
contrôles 20 JUIN 2005 des mouvements de capitaux et s’intègrent
dans l’économie mondiale. Mais il demeure que l’ajout de
titres de marchés émergents contribue à l’efficience
du portefeuille. À titre de comparaison, soulignons que peu d’investisseurs
rejettent l’idée d’inclure des titres de petites et moyennes
capitalisations dans leur portefeuille, même si la corrélation
de ces derniers avec les titres de grandes capitalisations se situe généralement
aux environs de 0,9.

Améliorer ses rendements
L’amélioration des rendements constitue la deuxième raison
d’investir sur les marchés émergents. Les rendements d’actions
mondiales ont tendance à revenir à la moyenne. Ainsi, depuis la
création de l’indice MSCI Monde, sur une période de 32 ans,
la différence de rendement entre les actions américaines et les
actions non-américaines ne dépasse pas 30 points de base annuels.
Compte tenu des forts taux de croissance économique dans les marchés
émergents, le potentiel de croissance rapide des bénéfices
et des rendements boursiers est supérieur à la moyenne.

Comme bien d’autres facteurs influent sur les rendements, il faut raffiner
le modèle qui assimile la croissance élevée aux bénéfices
élevés. Cependant, pour les besoins de leur répartition
stratégique, de nombreux promoteurs de régime établissent
en principe une prime de rendement à long terme de 1 % ou de 2 % pour
les actions des marchés émergents par rapport à celles
des marchés développés. Cette estimation n’est pas
déraisonnable si l’on considère que les marchés émergents
abritent des populations jeunes et qu’ils affichent d’énormes
besoins en infrastructure, ainsi qu’une demande intérieure vigoureuse.

Élargir ses possibilités de placement

De nombreuses entreprises des pays en voie de développement possèdent
un avantage absolu, que ce soit des matières premières bon marché
ou de faibles coûts de main-d’oeuvre. Compte tenu de la diffusion
rapide des technologies qui favorisent la productivité, elles réussissent
de plus en plus à hausser le rendement des capitaux propres. Ainsi, l’investisseur
peut choisir parmi un plus grand nombre d’opportunités d’investissement.
L’indice MSCI Marchés émergents comprend environ 730 sociétés,
dont une centaine ont une exposition et une visibilité mondiales.

La compagnie coréenne Samsung Electronics est le chef de file mondial
des semi-conducteurs. D’autre part, Teva Pharmaceuticals, une société
israélienne, est un important fabricant de médicaments. Par ailleurs,
le plus grand producteur mondial de nickel, Norlisk, est russe. On trouve dans
les entreprises des marchés émergents toute la gamme des titres,
allant des titres pétroliers et miniers jusqu’aux titres de la
nouvelle économie qui comprennent des fabricants de jeux en ligne et
des sociétés de téléphonie sans fil.

Le risque des placements sur les marchés émergents est, bien
sûr, de nature politique, comme en témoigne la campagne actuelle
du gouvernement russe en vue de « renationaliser » Yukos(le cours
de l’action locale est passé de 15,92 $US à 0,63 $US). Si
le risque, l’incertitude et l’ignorance sont des états qui
caractérisent le monde, force est de reconnaître que nous aurons
parfois affaire avec un monde méconnaissable. Y a-t-il d’autres
oligarques sur la liste des victimes de Poutine?

N’oublions pas toutefois que depuis 1999, le marché russe a eu
un rendement de 36 % par an, ce qui en fait l’un du meilleur placement
en actions du monde. La volatilité des marchés émergents
doit être considérée dans le contexte d’un portefeuille.

L’émergence du BRIC, particulièrement de la Chine qui cause
un choc favorable à l’offre et à la demande mondiale, est
un phénomène structurel. Le marché boursier chinois se
classe au huitième rang mondial(bien que la taille son univers de placement
ou le nombre de titres dans lequel investir, soit nettement moins important).
Les contrôles de mouvements de capitaux seront éliminés
petit à petit, et le yuan ainsi que d’autres monnaies asiatiques
vont vraisemblablement s’apprécier.

Depuis la crise asiatique de 1998, les économies en développement
ont déployé d’énormes efforts pour affermir leurs
institutions, leur information financière, leur gouvernance et leurs
politiques macroéconomiques. En Asie, l’accumulation de réserves
de change est impressionnante. Environ 40 % des réserves mondiales se
trouvent en Asie hors Japon. Par ailleurs, nous comprenons mieux la «
contagion » financière, les mouvements de masse et la dynamique
des taux de change, bien qu’il reste du chemin à parcourir. L’adoption
de cours flottants dans plusieurs pays et de meilleures politiques budgétaires
ont réduit la probabilité d’une crise financière
comme celle des années 1990.

Il y aura des crises financières au 21e siècle et elles toucheront
les marchés émergents. La multiplication des fonds de couverture,
la réduction prononcée des écarts des taux obligataires
dans les marchés émergents(actuellement d’environ 3,6%
par rapport aux bons et obligations du Trésor américain)et la
réapparition des pupitres de négociation pour compte propre sur
Wall Street témoignent d’un faible degré d’aversion
au risque. Dans le contexte haussier des taux d’intérêt,
les surprises sont souvent désagréables. Enfin, le traitement
d’une opération unilatérale, un achat ou une vente, génère
en moyenne un coût de transaction de 75 points de base et la variation
quotidienne moyenne d’un marché individuel est d’environ
4 %.

Devant ces considérations tactiques et stratégiques, que doit
faire l’investisseur mondial? Et quelle est la meilleure façon
de structurer l’exposition aux marchés émergents du portefeuille?

Compte tenu de tous ces facteurs, il y aurait lieu de consacrer une portion,
disons 4%, de son actif investi en actions aux marchés émergents.
Les fluctuations de l’activité économique mondiale et de
l’acceptabilité du risque feraient plutôt pencher vers une
exposition tactique comprise entre 2 % et 4 %.

Les investisseurs devraient enfin se rappeler que l’anticipation des
marchés n’est pas si facile qu’on le croit, et qu’en
Asie, bon nombre d’élèves du secondaire apprennent maintenant
le chinois plutôt que l’anglais.

GEORGE R. HOGUET, CFA, FRM, est directeur de SSgA et stratège des placements
sur les marchés émergents.

PATRICE DENIS est directeur au développement des affaires, Conseillers
en gestion globale State Street.