L’investissement responsable ne cesse de gagner en popularité. À la fin 2011, il représentait un actif sur cinq géré au pays et la tendance est à la hausse. On sait que de nombreux grands régimes de retraite ont déjà établi des stratégies de placements basées sur les critères environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance (ESG). Ces caisses se trouvent d’ailleurs parmi les principaux acteurs en investissement responsable (IR). Mais qu’en est-il des plus petites caisses qui ne disposent pas des mêmes ressources en matière de placements ? Quelles mesures peuvent-elles adopter pour emprunter cette voie ?

« Un grand nombre de personnes partagent les préoccupations ESG, constate Rosalie Vendette, conseillère principale, Investissement socialement responsable au Mouvement Desjardins. Un outil qui offre une stratégie d’investissement responsable correspond donc à la fois à leurs besoins financiers et à un intérêt pour le développement durable et la responsabilité sociale. » Du côté des régimes de retraite, l’intérêt s’avère peut-être encore plus évident, car on contribuerait de façon active à une amélioration de la qualité des pratiques globales du marché. « La crédibilité d’un régime vis-à-vis de ses membres comprend aussi le besoin de porter attention au fait que l’entreprise, dans laquelle sont investis les actifs du régime, n’ait pas d’effet néfaste sur sa capacité de réaliser des rendements solides à long terme, affirme Daniel Simard, directeur général de Bâtirente. Nous, les régimes, serons encore là dans 20, 40 ans et plus. »

Depuis 2005, Bâtirente s’est doté d’une politique de placements qui englobe une stratégie d’investissement responsable, que l’organisation préfère nommer la gestion des risques « extra-financières ». « Nous estimons que la saine gestion des risques et des responsabilités fiduciaires d’une caisse de retraite comprend l’examen des entreprises non seulement dans leur dimension financière, sinon aussi la extra-financière, et ce, dans la mesure ou celle-ci serait un précurseur du rendement d’une société », ajoute M. Simard.

Mythes déboulonnés

L’angle de la gestion des risques marque un changement quant aux attitudes à l’égard de l’investissement responsable. « Certains investisseurs le font pour des raisons morales, d’autres pour une meilleure gestion des risques et il y a aussi des hybrides qui le font pour les deux raisons, observe Olivier Gamache, président-directeur général du Groupe Investissement Responsable. Ceux qui le font pour des raisons morales sont ceux qui ont démarré le mouvement et c’est pourquoi la perception des gens peut demeurer subjective quant au fait qu’il s’agit d’une pratique morale ou éthique, qui consiste à faire des exclusions. Or, ce motif et cette stratégie ne représentent qu’une infime partie de ce qu’est l’investissement responsable aujourd’hui. Il est davantage question d’engager le dialogue avec des entreprises, afin de les amener à adopter les meilleures pratiques possible et à mieux mitiger les risques. »

Même son de cloche de la part de Daniel Simard. « Il ne s’agit pas d’interdire certains placements, mais plutôt d’exprimer aux gestionnaires de portefeuille le souhait que ces derniers portent attention à la façon dont les compagnies gèrent les risques ESG, dit-il. Les gestionnaires prennent des décisions fondées sur l’analyse; il est donc question d’ajouter des critères aux critères traditionnels de la construction du portefeuille.

L’autre préjugé que certains se font de l’IR est qu’en se penchant sur des critères d’ESG, on tournerait le dos aux rendements. Or, de nombreuses études ont pu démontrer que ce n’est manifestement pas le cas et que, dans le cadre d’une stratégie d’investissement responsable, les rendements peuvent égaler voire dépasser ceux des modèles plus traditionnels.

Rosalie Vendette note qu’il demeure une perception chez les promoteurs de régimes de retraite, selon laquelle une préoccupation pour l’environnement n’est pas fidèle à une bonne conception de la responsabilité fiduciaire. « Mais, en fait, c’est le contraire, dit-elle. Plusieurs recherches et avis juridiques indiquent que le fait de se soucier d’un plus grand éventail de risques montre que le promoteur est plus prudent. »

Et le petit régime de retraite ?

L’intérêt des grands régimes ne fait plus aucun doute. Certains, comme ceux de l’Université de Montréal et de l’Université du Québec, de même que la Caisse de dépôt et placement, sont même allés jusqu’à signer les Principes pour l’Investissement Responsable (PRI), dans le cadre de l’initiative PRI de l’ancien secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. Mais le promoteur d’un plus petit régime ne devrait pas se sentir exclu de cette vague. « Pour beaucoup de régimes, le problème n’est pas nécessairement de ressources, mais plutôt de comprendre la discussion, dit Mme Vendette. Il reste des défis quant aux connaissances nécessaires. » Daniel Simard ajoute qu’il est important que siègent sur le comité de retraite des membres qui sont familiers avec les concepts. Le besoin d’éduquer les membres pour prendre des décisions s’applique néanmoins à toute stratégie de placement. « Il est intéressant de se joindre à des groupes, comme celui des signataires québécois des PRI – Réseau PRI Québec – afin d’entrer en contact avec d’autres joueurs qui ont déjà fait un certain bout de chemin en matière d’investissement responsable, pour en apprendre d’eux », dit-il. Aussi, l’on pourrait éventuellement se mettre en équipe pour faire du dialogue auprès des entreprises et profiter de la mise en commun de ressources.

Peut-être une première étape s’avèrerait l’une des plus faciles : exprimer sa volonté dans les politiques de placement, intégrer ce désir dans les demandes de soumission et, surtout, en discuter avec son gestionnaire de portefeuille. « C’est à la portée de tout le monde, affirme M. Simard. Rien n’interdit de demander à son gestionnaire d’incorporer des critères ESG à ses analyses puis d’expliquer comment il travaille avec des entreprises pour les améliorer. » Olivier Gamache observe que certains gestionnaires seraient peut-être tentés de refiler une partie des coûts au régime. « Il faut néanmoins savoir qu’il est possible de faire quelque chose de bien en y consacrant à peine deux à trois points de base, dit-il. Ceci représente très peu d’investissement pour améliorer la gestion des risques et la qualité des marchés dans leur ensemble. »

L’investissement responsable semble en train de devenir plus qu’une bonne idée et transforme, en quelque sorte, la façon même de voir les placements. Comme le résume Rosalie Vendette : « Les facteurs ESG représentent des risques pour l’entreprise. Celle qui les gère bien serait mieux organisée dans son ensemble, réagirait mieux aux enjeux auxquels elle serait confrontée et, à long terme, créerait de la valeur. » Pour une caisse de retraite, qu’elle soit grande ou petite, le fait que cette pratique corresponde à sa propre réalité à long terme indique que c’est peut-être le moment d’ajouter des critères additionnels à sa politique de placements pour la rendre encore plus « responsable ».