La combinaison d’un marché du travail très concurrentiel et d’un coût de la vie toujours en hausse convaincra probablement plus d’entreprises à augmenter les salaires de leurs employés cette année, estiment des experts.
« Les gains salariaux pourraient encore s’accélérer », croit l’économiste Claire Fan, de la Banque Royale, compte tenu de l’environnement de travail actuel.
« La demande élevée pour les travailleurs se heurte fermement à une offre limitée et les entreprises devront faire ce qu’elles peuvent pour être compétitives dans un environnement extrêmement concurrentiel. Et cela inclut l’augmentation des salaires », explique-t-elle.
Le dernier rapport sur l’emploi au Canada a révélé que les gains salariaux pour les travailleurs permanents avaient atteint 4,5 % en mai. En tenant compte de la flambée des prix à la consommation, ces gains ne représentent pas grand-chose, mais cela s’écarte de la stagnation des salaires que le Canada a connue.
Les grandes banques canadiennes font partie des entreprises qui ont annoncé des augmentations de la rémunération de leurs employés au cours des derniers mois. La Banque CIBC est l’une des dernières à l’avoir fait.
Comme ses rivales, la CIBC se prépare à augmenter son salaire de base de 3,0 % en juillet. Cette hausse cible les travailleurs des six premiers niveaux de la banque, principalement ceux qui interagissent régulièrement avec les clients en personne ou par l’entremise de la technologie.
La banque fait également passer son salaire minimum de 17 $ à 20 $ le mois prochain. « Ce sont (ces personnes) qui ressentent le plus l’impact de l’inflation », a observé le chef de la direction de la CIBC, Victor Dodig, lors d’une entrevue.
En plus de l’augmentation de 3 $ du salaire minimum, la CIBC prévoit de porter ce montant à 25 $ d’ici 2025. M. Dodig affirme que la banque « prévoit de s’en tenir à cet objectif ».
Et il ne croit pas que les augmentations de salaire auront un quelconque effet négatif sur le résultat net de la CIBC.
Étant donné que les bénéfices des entreprises ont augmenté de 29 milliards $ au premier trimestre de cette année, Mme Fan pense que plusieurs d’entre elles peuvent absorber les augmentations de salaire.
« Les entreprises devraient disposer d’une certaine marge de manœuvre pour résister à des salaires plus élevés dans le contexte où la demande des consommateurs est extrêmement élevée en ce moment, qui devrait continuer à soutenir la production des entreprises, au moins jusqu’à la fin de l’année », souligne-t-elle.
Le rôle de la Banque du Canada
Stephanie Ross, directrice des études sur le travail à l’Université McMaster, croit que les augmentations salariales sont « inévitables » dans le climat actuel.
« Les employeurs vont devoir assumer plus de risques qu’ils ne l’ont fait s’ils veulent faire face à toutes les interruptions de services et de chaînes d’approvisionnement que nous avons constatées, explique-t-elle. C’est franchement un grand changement par rapport aux 40 dernières années, où les stratégies de croissance économique de nombreux pays et entreprises reposaient sur les faibles salaires et la précarité de l’emploi. »
Elle prévient cependant qu’il y aura des effets négatifs importants sur les travailleurs, comme des mises à pied, si la Banque du Canada ralentit trop l’économie avec ses hausses de taux d’intérêt.
Les augmentations de salaire sont l’une des variables que la banque centrale surveillera lorsqu’elle décidera de la taille de ses augmentations de taux d’intérêt, notamment le mois prochain.
La Banque du Canada a augmenté son taux d’intérêt directeur d’un demi-point de pourcentage à deux reprises au cours des derniers mois, le portant à 1,5 % en juin, dans le but de maîtriser la forte inflation, qui se situait à 6,8 % en avril, sur une base annuelle.
Alors que la Réserve fédérale américaine a relevé son taux d’intérêt directeur de trois quarts de point de pourcentage mercredi dernier, certains économistes ont le sentiment que la banque centrale du Canada pourrait emboîter le pas en juillet, tandis que d’autres s’attendent à une nouvelle hausse d’un demi-point.
Si l’inflation parvient à se rapprocher de la cible de 2 % de la Banque du Canada, c’est vers ce niveau que Mme Fan s’attend à ce que la croissance des salaires finisse par tendre.
« La Banque du Canada, à l’instar de la Fed américaine, a estimé que l’environnement économique actuel était en proie à une demande excédentaire, et cela vaut également pour les conditions du marché du travail », juge Mme Fan.
« Une politique monétaire plus stricte aidera à absorber cette demande excédentaire et à rétablir un certain équilibre sur les marchés du travail, de sorte que l’offre de travailleurs aura le temps de se rattraper, et la croissance des salaires pourra alors être normalisée à des niveaux proches de la fourchette cible (de la banque centrale). »