LE 10 MARS DERNIER, dans Association provinciale des retraités d’Hydro-Québec
c. Hydro-Québec(1), la Cour d’appel du Québec a précisé
la portée de l’arrêt Singer(2)sur les droits des parties dans
l’excédent d’actif d’une caisse de retraite en cours de régime.

Le jugement Singer avait suscité certaines interrogations concernant
l’étendue du droit des participants dans un éventuel excédent
d’actif et le droit de l’employeur, lorsque le régime de retraite le
permet, de prendre des congés de cotisations. La Cour d’appel y avait
conclu que les dispositions du régime concerné faisaient en sorte
qu’à sa terminaison, tout excédent d’actif revenait aux participants
actifs et aux retraités et qu’en conséquence, l’employeur ne pouvait
se l’approprier.

Quant aux congés de cotisations que la compagnie s’était autorisés,
les dispositions du régime n’y donnaient pas accès. Toutefois,
le jugement laissait subsister certaines zones grises quant à savoir
si de tels congés pouvaient être pris simplement lorsque ces dispositions
le permettaient, sans égard à la nature du régime de retraite
ou aux droits acquis des employés dans un éventuel surplus.

Le jugement
Dans Hydro-Québec, l’Association de retraités de la société
d’État prétendait que parce que ses membres avaient un droit éventuel
à l’excédent d’actif du régime de retraite lors de sa terminaison,
ce droit leur appartenait tout autant qu’aux participants actifs. Conséquemment,
le fiduciaire de la caisse de retraite ne pouvait ni en utiliser l’excédent
à son bénéfice, ni permettre que les employés actifs
n’en profitent, à moins de s’assurer que les retraités puissent
en bénéficier équitablement, et d’obtenir leur consentement
à tout amendement du régime qui aurait pour effet d’affecter leurs
droits.

Dans son jugement, la Cour d’appel a conclu que:

  • les modifications au régime de retraite ne requièrent pas
    l’assentiment des retraités;
  • les droits acquis des retraités doivent néanmoins être
    préservés;
  • les retraités ne pouvaient prétendre à une bonification
    de leur rente;
  • l’obligation fiduciaire d’Hydro- Québec ne doit pas être confondue
    avec ses droits d’employeur; et que
  • lorsque le régime de retraite le permet, l’employeur peut s’attribuer
    un congé de contribution.

Revenons sur certains de ces points.

Le consentement et les droits acquis
Selon la Cour d’appel, le consentement d’un retraité n’est pas requis
pour pouvoir entériner une modification du régime qui affecte
d’autres personnes que lui. Toutefois, à l’instar de la Cour suprême
du Canada dans Dayco, la Cour rappelle que malgré tout, de tels amendements
ne sont pas admissibles s’ils affectent les droits acquis, tel le droit de recevoir
une rente de retraite.

Bien qu’elle reconnaisse l’existence du droit des retraités à
l’excédent d’actif au moment de la terminaison du régime, la Cour
souligne que ce droit est conditionnel, puisqu’il dépend de la réalisation
de quatre événements futurs : la terminaison du régime,
l’existence d’un excédent une fois les crédits de rente garantis
ou provisionnés, le droit à un crédit de rente au moment
de la terminaison, et une entente(ou à défaut, une sentence arbitrale)
gouvernant le partage de l’excédent.

Le maintien des bénéfices
S’appuyant sur l’arrêt Dayco(3), la Cour retient qu’au moment de la retraite,
les droits d’un participant syndiqué se cristallisent et que les avantages
prévus au régime continuent de s’appliquer jusqu’à son
décès et même après, s’il avantage ses survivants.

Pour les retraités syndiqués, la Cour conclut qu’en vertu des
règles de droit du travail actuelles, les avantages découlant
du contrat de travail applicables à lui, dont ceux payables à
la retraite, peuvent être bonifiés par des ententes entre l’exemployeur
et le syndicat représentant l’unité où il oeuvrait, mais
non par des ententes entre l’ex-employeur et lui(individuellement ou regroupé
avec d’autres dans une association mandatée à cette fin).

Pour les retraités non syndiqués, la Cour fut d’avis que les
bénéfices de retraite prévus au contrat individuel de travail
de l’employé continuent de s’appliquer une fois qu’il a pris sa retraite.
Or, en vertu du Code civil du Québec, un retraité qui n’était
pas syndiqué ne peut réclamer après sa retraite un avantage
additionnel à ceux qui étaient prévus à son contrat
individuel de travail, ni prétendre avoir droit à une bonification
de sa rente.

L’obligation fiduciaire de l’employeur
La Cour d’appel s’est demandé si Hydro- Québec, à titre
de fiduciaire du régime, se devait de refuser des amendements du régime
qui affecteraient son excédent, à moins que ces amendements ne
confèrent aux retraités des avantages comparables à ceux
obtenus par les participants actifs ou par Hydro-Québec elle-même,
en qualité d’employeur.

La Cour a reconnu qu’Hydro-Québec, comme employeur, n’avait pas d’obligation
de s’assurer que de tels amendements soient équitables, ni de bonifier
des prestations de retraite payables aux retraités. Lorsqu’en qualité
d’employeur, la société a négocié les amendements
au régime de retraite avec les syndicats concernés, elle n’avait
pas à se comporter comme fiduciaire des retraités. Elle aurait
l’obligation, en qualité de fiduciaire, de ne pas donner suite à
des amendements qui auraient porté atteinte aux droits acquis des retraités.
Si c’eût été le cas, l’employeur aurait alors contrevenu
à ses devoirs aux termes du Code civil du Québec et de la Loi
sur les régimes complémentaires de retraite(4).

Les éléments à retenir
L’arrêt Hydro-Québec précise l’application de certains principes
issus des jugements de la Cour suprême du Canada dans les causes de Dayco
ainsi que d’Air Products.(5)Il faut ainsi retenir que:

  • sauf stipulation contraire au régime, l’accord des retraités
    n’est pas requis pour modifier un régime de retraite si leurs droits
    acquis ne sont pas affectés;
  • il faut distinguer entre le droit à l’excédent d’actif d’un
    régime de retraite qui est en cours d’existence, et le droit à
    l’excédent lors de sa terminaison;
  • sujet aux dispositions du régime. L’employeur a droit à des
    congés de cotisations sans égard à la propriété
    de l’excédent à la terminaison du régime;
  • le fiduciaire d’une caisse de retraite doit s’abstenir d’entériner
    des modifications de régime, si elles sont susceptibles de porter atteinte
    aux droits acquis des participants actifs ou des retraités;
  • lorsqu’un employeur est fiduciaire de la caisse de retraite, ses droits
    et obligations doivent s’apprécier en fonction de la qualité
    (employeur ou fiduciaire)dans laquelle il agit selon le cas.

ME GUY LEMAY(à droite)est associé chez Lavery, De Billy à
Montréal. Il pratique le droit du travail et des régimes de retraite.

1 C.A.M. 500-09-012724-027
2 TSCO of Canada Ltd., anciennement connue sous le nom de la Compagnie Singer
du Canada Ltée vs Robert Chateauneuf & als [1995] R.J.Q. 637
3 Dayco(Canada)Ltd. c. T.C.A..- Canada, [1993]
2 R.C.S. 230(Cour suprême du Canada)
4 L.R.Q. c. R-15.1
5 Schmidt c. Air Products Canada Ltd. [1994] 2 R.C.S. 611