PARMI LES DÉFIS auxquels les entreprises d’aujourd’hui font
face, l’harmonisation de la rémunération d’un dirigeant,
de son rendement personnel et des résultats de la société
en est un de taille et pour cause! Le marché de l’emploi et le
milieu des affaires sont en constante évolution, les règles comptables
et fiscales évoluent sans cesse et de nouveaux outils de rémunération
voient le jour chaque année. Ce n’est donc pas un hasard si bon
nombre d’entreprises cherchent toujours LA formule magique au plan de
la rémunération de leurs dirigeants.

Précisons d’abord que déterminer le niveau de rémunération
approprié, ce n’est pas que fixer la valeur monétaire d’un
contrat d’emploi. On doit pouvoir établir cette rémunération
en tenant compte à la fois du rendement de l’individu et des résultats
de la société pour éviter que ces éléments
ne se contredisent.

De façon plus concrète, on est souvent estomaqué par la
rémunération versée aux professionnels sportifs, mais soudainement
moins critique de leur rémunération lorsque la performance est
au rendez-vous! Les niveaux de rémunération actuels des dirigeants
d’entreprises méritent aussi d’être passés au
peigne fin. En effet, il a été démontré qu’au Canada
en 2005, 40% des administrateurs considèrent la rémunération
des dirigeants trop élevée alors que ce pourcentage atteint 65%
chez les investisseurs institutionnels.

Évidemment, il n’y a pas de fumée sans feu et le malaise
qui entoure la question de la rémunération des dirigeants s’explique
largement par le fait que certains dirigeants n’arrivent pas à
accroître la valeur pour les actionnaires, mais se voient tout de même
récompensés généreusement. Certaines de ces contradictions
évidentes entre rendement et rémunération ont provoqué,
à juste titre, la colère des investisseurs, de la presse financière
et du public en général. On a même parlé d’une
certaine forme de rémunération à l’échec selon
laquelle un PDG se tire avantageusement d’une piètre performance
et d’un congédiement par de généreuses indemnités
de départ, évidemment négociées à l’embauche.

Alors qu’en est-il réellement? Nos études montrent que
les sociétés canadiennes adoptent de plus en plus la philosophie
de la rémunération au rendement et qu’elles réussissent
davantage à aligner la rémunération de leur PDG sur les
résultats de la société. Cependant, même si la tendance
semble bien amorcée, certains mythes entourant la rémunération
des dirigeants persistent, dont les suivants:

MYTHE Nº 1
Il n’existe pas de lien entre la rémunération et le rendement

NOS RECHERCHES1 RÉVÈLENT qu’il existe un lien clair entre
la rémunération des PDG et le rendement des sociétés.
Dans une étude menée auprès de 219 sociétés
cotées à l’indice S&P/TSX, nous avons comparé
l’augmentation de la rémunération totale en espèces
offerte au PDG et le rendement total aux actionnaires. Il s’avère que
les sociétés dont le PDG a vu sa rémunération totale
en espèces augmenter au-delà de la hausse médiane ont offert
un rendement total aux actionnaires médian de 19,4%. En comparaison,
les PDG dont lahausse de la rémunération totale en espèces
a été inférieure à la médiane ont procuré
un rendement total aux actionnaires médian de près de la moitié
moins élevé(8,6%)ainsi que des rendements des capitaux propres,
des rendements de l’actif et des bénéfices par action moindres.

De plus, les PDG des sociétés les plus performantes(75e percentile)
ont touché 31% de plus que l’année précédente,
une augmentation de la rémunération réelle totale presque
quatre fois plus importante que celle des PDG moins performants(25e percentile).
Les PDG au meilleur rendement ont également obtenu des gains sur 12mois
de 32% sur la valeur de leurs options d’achat d’actions susceptibles
d’être levées. Autre fait à noter, tous les éléments
de rémunération offerts aux PDG des sociétés moins
performantes ont connu une baisse ou sont demeurés inchangés au
cours de la même période.

La perception qu’il n’existe aucun lien entre la rémunération
et le rendement vient en partie du fait qu’on a tendance à évaluer
le rendement d’une société uniquement en fonction de l’accroissement
de la valeur aux actionnaires. Bien que ceci demeure une mesure importante,
ce n’est pas une mesure complète.

MYTHE Nº 2
On octroie trop d’options d’achat d’actions

BIEN QUE LA VALEUR des octrois accordés aux dirigeants au titre des
régimes d’intéressement à long terme soit demeurée
sensiblement la même en 2004 qu’en 2003, les formes d’actionnariat
ont passablement changé au cours de la même période(par
ex., unités d’achat d’actions restreintes, actions liées
au rendement, etc.). L’incertitude économique et la réaction
à la pression exercée par les actionnaires pour contrôler
la dilution potentielle de l’actionnariat peuvent expliquer que le volume des
options d’achat d’actions octroyées aux dirigeants ait diminué
de 33% au cours des dernières années.

Toutefois, les options d’achat d’actions demeurent une mesure incitative
populaire et avantageuse d’un point de vue fiscal pour la presque totalité
des entreprises canadiennes. Elles permettent également l’établissement
d’un lien très évident à long terme entre la rémunération
des dirigeants et le rendement lorsqu’utilisées correctement.

La perception qu’on octroie trop d’options d’achat d’actions
est souvent amplifiée par ce qui se passe aux États-Unis en matière
de rémunération sous forme d’actionnariat. En fait, l’utilisation
d’options d’achat d’actions est nettement moins répandue
au Canada que chez nos voisins du sud. La dilution éventuelle totale
(nombre total d’options d’achat d’actions en circulation,
octroyées ou pouvant être octroyées dans le futur, divisé
par le nombre total d’actions en circulation)au Canada en 2004 était
de 7%, comparativement à 15% aux États-Unis. Quant au taux d’absorption
annuel(options d’achat d’actions octroyées au cours de la
dernière année divisé par le nombre total d’actions
en circulation), il était de 0,7% au Canada, alors que le taux moyen
était de 1,7% aux États-Unis.

MYTHE Nº 3
Avant l’introduction des nouvelles normes comptables, les options d’achat
d’actions étaient «gratuites »

LA PLUPART DES DIRIGEANTS et administrateurs comprennent bien le coût
économique des options. Avant l’introduction des nouvelles normes
comptables, l’absence de charge comptable favorisait cependant les options
d’achat d’actions au détriment d’autres moyens souvent
mieux adaptés à l’entreprise lorsque venait le temps de
choisir un outil d’intéressement à long terme.

Nos observations récentes, tant au Canada qu’aux États-Unis,
démontrent toutefois que les marchés boursiers n’ont que
très peu réagi à la suite de l’introduction des nouvelles
normes comptables et ce, malgré l’impact clair sur le bénéfice
par action des sociétés émettrices d’options. L’hécatombe
appréhendée n’a ainsi jamais eu lieu. Nous pouvons donc
conclure que les investisseurs et les analystes incluaient déjà
les données sur les options dans leurs calculs de la valeur des entreprises;
cette information qui apparaît maintenant dans l’état des
résultats se retrouvait auparavant, sous une autre forme, ailleurs dans
les états financiers ou dans les circulaires d’information.

En outre, depuis l’introduction des nouvelles règles comptables,
les dirigeants et les Conseils d’administration sont maintenant plus disposés
à considérer un éventail de régimes d’intéressement
à long terme, souvent mieux adaptés à la réalité
de leur entreprise et à son évolution.

PERSPECTIVE
À la lumière de ses observations, nous demeurons optimistes par
rapport au lien entre rémunération et rendement. Les prochaines
années seront marquées par une évolution en matière
de rémunération des dirigeants, notamment par:

  • la prolongation des périodes d’acquisition des régimes
    d’intéressement à long terme et l’inclusion de conditions
    de rendement dans les critères d’acquisition;
  • l’augmentation des exigences de détention d’actions;
  • la réduction des indemnités de départ garanties et
    de leur durée d’application;
  • l’émergence de régimes supplémentaires de retraite
    liés au rendement;
  • des obligations de divulgation de la rémunération plus complètes.

Voilà donc le véritable défi pour les Conseils d’administration
: s’assurer que la rémunération des dirigeants soit clairement
liée au rendement de l’individu et de l’entreprise dans son
ensemble. Négocier des clauses de rendement lors de l’embauche
d’un PDGvedette peut être un défi de taille, mais le conseil
a le devoir d’évaluer tant la rémunération cible
que l’ensemble des situations qui pourraient survenir dans l’entreprise.
Qu’il s’agisse de fusions, d’acquisitions ou d’autres revirements
importants, on doit prévoir ces éventualités et s’assurer
que le potentiel de rémunération du dirigeant soit harmonisé
au rendement résultant. Si l’on néglige ces aspects, il
y a fort à parier que l’avenir pourrait donner lieu à de
bien mauvaises surprises.

STÉPHANE LEBEAU est chef du Groupe capital humain, Est du Canada, pour
Watson Wyatt Canada.

CHRISTIAN LANIEL est conseiller principal, Rémunération des dirigeants,
pour Watson Wyatt Canada.