L’employeur doit-il pourvoir à tous les besoins de protection de ses employés ou doit-il plutôt les aider à satisfaire leurs besoins en offrant une gamme d’options de protection?

Les choix stratégiques de l’employeur d’aujourd’hui se trouvent bien souvent quelque
part entre ces deux extrêmes. Ces choix sont de
plus en plus motivés par la volonté des entreprises
de refléter leur mission d’affaires dans la
gestion de leur capital humain et, par le fait
même, de leurs régimes d’avantages sociaux. Si
le concept n’est pas nouveau, son importance
s’est toutefois considérablement accentuée
pour tenir compte des enjeux en mouvement d’un marché global.

D’hier à aujourd’hui

Jusqu’à la fin des années 1970, les stratégies de
gestion de la main-d’oeuvre partaient d’un
principe simple: dans la majorité des cas, un
travailleur embauché allait rester à notre emploi
jusqu’à la retraite. Les régimes d’avantages
sociaux étaient alors conçus en fonction de
ce principe. Dans ce contexte, un régime
d’assurance collective traditionnel assorti
d’options d’assurance-vie permettait à tous et
chacun de trouver leur compte à un moment
donné de leur carrière. Une protection considérée
comme excédentaire à un moment donné était
simplement perçue comme de l’argent en banque
que l’employé recevrait plus tard lorsqu’un
événement de la vie le rendrait nécessaire.

Ce contrat à long terme entre l’employeur et
l’employé, fondé sur l’équité, s’est effrité
graduellement dans les 30 dernières années. Les
mots «réduction d’effectifs», «restructuration»,
«fusion», «acquisition» et «faillite» ont dominé
les manchettes et changé la donne. Même
l’industrie de l’assurance y a goûté, avec la disparition
d’institutions inébranlables, croyait-on.

Dans la nouvelle réalité, les choix stratégiques
des employeurs doivent dorénavant
s’exercer dans un espace-temps limité et incertain.
Les stratégies d’affaires sont éphémères et
les employés aussi. De son côté, l’employé
d’aujourd’hui préfère des avantages accessibles
dans l’immédiat. Le contrat à long terme n’a
donc plus la même valeur qu’auparavant.

Si on ajoute à cela la gestion des coûts des
régimes d’avantages sociaux, au coeur des préoccupations
des entreprises, on comprend la
nature délicate des choix stratégiques des organisations,
tant en matière de prévoyance pour la
retraite que durant la vie active. Comment peuvent-
elles réagir?

Prévoyance pendant la retraite : le pourvoyeur vs le facilitateur

En matière de prévoyance pendant la retraite, les régimes de
retraite à prestations déterminées(PD)sont de plus en plus
remplacés par des régimes d’épargne, comme les régimes à
cotisations déterminées(CD)pour le service futur; on voit
aussi parfois des régimes à double volet(PD et CD). De
plus, les nouveaux régimes mis en vigueur sont surtout des
régimes CD. Malgré les efforts des gouvernements pour
améliorer la situation financière précaire de nombreuses
caisses de retraite – à la suite des faibles rendements des
marchés et des litiges sur la propriété des excédents –, cette
tendance ne devrait pas ralentir.

Si ces choix ont été faits principalement pour satisfaire
des objectifs économiques – coûts directs et indirects de ces
régimes –, la nouvelle main-d’oeuvre, qui aime prendre ses
affaires en main, s’y trouve satisfaite aussi. Ici, la distinction
entre l’employeur pourvoyeur et l’employeur facilitateur
s’incarne de la façon suivante :

L’employeur pourvoyeur a instauré un régime CD,
mais a opté pour un taux fixe de cotisation de
l’employeur et de l’employé.

L’employeur facilitateur a préféré mettre en place un
régime CD à différents paliers de cotisation de
l’employé, auxquels se rattache une contrepartie variable
de l’employeur selon le palier choisi par l’employé.

Les régimes d’assurance collective pendant la retraite ont
également été scrutés à la loupe par les employeurs. Dans
plusieurs cas, ces régimes ont été réduits ou éliminés afin
d’en limiter l’impact sur les résultats de l’entreprise, puisqu’il
faut désormais reconnaître ces coûts dans les états financiers.
Le manque de visibilité de ces régimes, de même que la
fragilité des promesses en l’absence de capitalisation(comme
peuvent en témoigner les retraités de Eaton ou de toute
entreprise qui fait faillite), a atténué l’impact négatif de ces
gestes. Encore une fois, les deux types d’employeurs ont
adopté des approches distinctes :

L’employeur pourvoyeur a choisi des solutions de
transfert des coûts aux participants(coassurances,
franchises), tout en maintenant les régimes en place.

L’employeur facilitateur a mis fin à ces régimes,
mais contribue à la constitution d’un capital de retraite
servant à souscrire des produits d’assurance ou à payer
des services requis pendant la retraite.

Assurance collective en cours d’emploi : le défi de la responsabilisation

Pour ce qui est des régimes d’assurance collective des
employés en service, la préoccupation de gestion des coûts
est omniprésente depuis longtemps. On ne peut que
s’étonner du faible nombre de changements d’importance
aux régimes canadiens, comparativement à ce qui se passe
aux États-Unis où les taux annuels d’augmentation des
coûts sont semblables.

Alors que les entreprises américaines ont mis en place des
régimes flexibles avec plusieurs options de protection, les
Canadiens ont été moins ambitieux à cet égard. Cette situation
prend peut-être sa source dans les modèles distincts de société.
Lorsque l’État est pourvoyeur d’une protection étendue en
matière de soins de santé, le passage à une approche de
responsabilisation face aux choix est peut-être plus difficile.

Ce contexte d’État-providence est encore plus accentué au
Québec: le Régime québécois d’assurance parentale et le
régime général d’assurance médicaments en sont de bons
exemples. Cela explique sans doute la plus grande résistance
des employeurs — et des employés consultés au préalable —
quant à la pertinence d’un régime flexible.

D’une part, les entreprises qui ont entrepris le virage
«flex » au Québec ont pour la plupart conservé un niveau
minimum de protection par type de régime, ce qui traduit
une culture paternaliste. La conséquence, c’est l’efficacité
relative de la portion « flex», celle où le pourcentage d’augmentation
des coûts est fixé par l’employeur plutôt que lié
à la hausse des coûts des prestations du régime. D’autre part,
les employeurs hésitant entre le rôle de pourvoyeur et celui
de facilitateur prévoient souvent une option de confort dans
leur nouveau régime : l’une des options de protection est
ainsi presque identique aux protections de l’ancien régime
traditionnel, mais avec une plus grande participation financière
de l’employé. Paradoxalement, cette option a souvent
beaucoup de succès, car l’employé essaie de se retrouver en
terrain connu; toutefois, ce comportement déjoue l’objectif de
transformer les participants en «consommateurs avertis» en
matière de santé. Mais soyons positifs, il s’agit d’un premier
pas pour susciter l’autonomie des participants et les sensibiliser
à une gestion proactive de leur budget de soins de santé.

Obtenir des résultats sans toucher aux avantages sociaux

Faute de faire des changements structurels, mais soucieux de
limiter les hausses de coût avant de toucher au coeur des
avantages sociaux, les employeurs élargissent leurs champs
d’interventions en santé. Effectivement, des options
gagnantes existent :

La gestion immédiate et proactive des invalidités.
Aux États-Unis, on fait rapidement intervenir des
médecins du secteur privé choisis pour leur compétence
pertinente à la maladie. Au Canada, l’employeur et
l’employé sont en attente du lent déroulement des
interventions de l’État-providence. Est-ce que l’employeur
peut être autre chose qu’un pourvoyeur de protection
d’invalidité dans un tel contexte? Est-ce qu’il existe une
option de facilitation, et à quel prix?

Les programmes de mieux-être et de santé
organisationnelle.
Comprenant l’effet positif de la santé
des employés sur leur productivité et sur la gestion des
coûts à plus long terme, un nombre grandissant
d’employeurs ont mis sur pied des programmes de mieuxêtre;
ceux-ci s’étendent maintenant à la santé organisationnelle.
Un exemple d’évolution est la nouvelle façon de
voir le soutien à la famille. Lorsque les deux conjoints
travaillent, le paternalisme incrusté se traduit par des coûts
additionnels pour un employeur qui, sous prétexte de
valoriser la famille, accorde le même degré de protection
ou le même accès aux services au conjoint qu’à l’employé.
Un employeur facilitateur remettra plutôt à un employé
une somme d’argent équivalente à ce que coûtent les
régimes de soins de santé pour lui, sous forme de dollars
flexibles. L’employé pourra ensuite partager l’utilisation
de cette somme entre des activités de mieux-être, par
exemple, et le remboursement de frais de soins de santé.

Donc, pourvoyeur ou facilitateur ?
Les bouleversements sociaux, démographiques et culturels
expliquent que les employés ont des besoins différents et
changeants de plus en plus axés sur la satisfaction immédiate.
Le marché du travail et les objectifs financiers des employeurs
ont aussi beaucoup changé. Le contrôle des dépenses et
les résultats financiers à court terme sont omniprésents. Il
n’est donc pas surprenant de voir que les concepts de
partenariat et de responsabilisation sont de plus en plus
courants dans les relations avec les employés. Lorsqu’une telle
culture est présente, les entreprises ne devraient pas hésiter à
se diriger vers un rôle de facilitateur.