Massillon, déjà, l’avait dit: « Rien ne demeure, tout
change. » N’empêche. Il y a ceux qui parviennent à anticiper.
Plutôt rares. Et ceux qui doivent corriger le tir. Plus nombreux. Certains
emploient des mots durs, se reprochent de ne pas avoir su aller au-devant, de
ne pas être à la hauteur; d’autres parlent de renversement de la
vapeur, de revers.
Bref, depuis la fin des années 1990, les caisses de retraite n’ont pas
été épargnées: débandade boursière
en 2001, appréciation du dollar canadien, contreperformance des marchés
boursiers étrangers et baisse des taux d’intérêt, qui ont
eu un effet désastreux sur l’actualisation du passif. Ces changements
ont eu pour effet de créer un déséquilibre entre les placements,
moins performants, et les engagements, de plus en plus lourds à porter.
L’équilibre actuariel s’est détérioré jusqu’à
créer un déficit dans plusieurs cas.
Comme la première préoccupation des caisses de retraite est de
pourvoir au paiement des rentes promises au terme du régime, celles-ci
doivent statuer sur la pertinence des investissements en fonction de cet objectif,
c’est-à-dire considérer non seulement l’actif, mais aussi le passif.
Ce simple exercice, ainsi que l’abolition de la limite en contenu étranger
survenue en 2005 ont provoqué une importante révolution dans le
domaine des obligations, car rapidement une solution s’est imposée :
faire les choses différemment. Et déjà, des tendances se
dessinent.
Utilisation d’indices de référence
spécifiques
Par le passé, les mandats accordés aux gestionnaires de portefeuille
étaient pour la plupart liés à l’indice phare du marché
obligataire canadien, l’indice obligataire universel Scotia Capitaux. Peu à
peu, les experts ont réalisé que cette méthode n’était
pas parfaite. Par exemple, entre décembre 1995 et 2005, le poids des
obligations du gouvernement du Canada dans l’indice obligataire universel Scotia
Capitaux a chuté de 19,3 points de pourcentage, à la suite de
la réduction de la dette publique fédérale(voir tableau
plus loin). Cela a eu pour effet d’accroître l’importance des autres émetteurs,
principalement les sociétés. Résultat, une simple gestion
passive, reproduisant fidèlement la composition de l’indice de référence
a augmenté le risque de crédit, sans que les investisseurs n’aient
demandé quoi que ce soit. Ceux-ci souhaitent-ils ce changement? Ce n’est
pas certain. Au contraire, certains mandats de gestion en obligations excluent
maintenant les obligations corporatives.
Même constat du côté de la durée modifiée
(forme modifiée de l’échéance permettant de mesurer la
sensibilité du prix d’une obligation aux mouvements des taux d’intérêt)
moyenne de l’indice qui a augmenté de 5,1 à 6,5 années
au cours de la dernière décennie. Ce changement plaît à
de nombreuses caisses de retraite puisqu’il allonge l’échéance
moyenne de l’actif et procure ainsi un meilleur appariement avec le passif.
Plusieurs caisses choisissent d’ailleurs de reproduire la portion à long
terme de l’indice de référence afin d’allonger la durée
de l’actif. Cependant, ceux qui, dans un environnement de taux historiquement
bas, veulent préserver le capital optent plutôt pour un indice
de référence de court terme.
Place des obligations dans la répartition
d’actif
En plus de générer des revenus réguliers, facilitant la
gestion des sorties de fonds, les placements en obligations représentent
l’élément stable, la portion moins volatile d’une structure d’actif.
Même si leur rendement est parfois inférieur à celui des
autres classes d’actif, leur stabilité en fait une composante fondamentale
du portefeuille.
Pourtant, dans les années 1990, fortes de leur surplus actuariels, les
caisses de retraite ont délaissé les placements à revenu
fixe au profit des autres catégories d’actif, principalement les actions
canadiennes et internationales. De 55% en 1990, le pourcentage des actifs obligataires
a chuté à 33% en 1999 et s’est stabilisé autour de ce niveau
par la suite, selon des données obtenues auprès de l’Association
canadienne des gestionnaires de fonds de retraite.
Ces dernières années, les caisses de retraite ont toutefois
clairement manifesté leur volonté de diminuer les risques encourus
et la volatilité de la charge de retraite, ce qui laisse présager
que cette tendance baissière s’inversera possiblement. De plus, une remontée
des taux de long terme encouragera certainement une plus grande utilisation
des obligations.
Recherche
de rendement
Depuis une décennie, la gestion obligataire passive est à la mode,
mais à la suite de la détérioration de la situation actuarielle,
la gestion active gagne des adeptes. En effet, bien que l’appariement des éléments
d’actif et de passif pousse à la prudence, les gestionnaires de régimes
semblent prêts à donner plus de place à la gestion obligataire
active. Des stratégies de valeur ajoutée(alpha)reposant sur
une gestion de la durée, de la courbe des rendements, des secteurs ou
des écarts de crédit gagnent en popularité. Également,
les gestionnaires de portefeuille utilisent davantage les produits dérivés,
mais de façon contrôlée, pour créer de la valeur
ajoutée.
Attrait des obligations étrangères
Auparavant ignorées dans l’ensemble par les investisseurs, les obligations
internationales sont maintenant en vogue. Cet engouement résulte de la
combinaison de plusieurs facteurs. Premièrement, durant les années
1990, l’investissement international se faisait surtout à travers les
marchés boursiers, et ce phénomène s’expliquait par les
meilleurs rendements de ces marchés en comparaison du marché canadien
(voir graphique ci-bas). La performance des marchés d’actions internationales
était d’ailleurs bonifiée pendant cette période par la
dépréciation chronique du dollar canadien. À l’inverse,
le marché obligataire canadien était un marché «à
rendement élevé», une conséquence de la détérioration
des finances publiques. Alors pourquoi investir dans les obligations étrangères
si le marché canadien produit des rendements plus que satisfaisants?
L’assainissement des finances publiques a amené le marché obligataire
canadien à offrir des rendements comparables, voire légèrement
plus faibles, à ceux des marchés étrangers. Il n’existe
donc plus d’avantages comparatifs systématiques favorisant les obligations
canadiennes. Et puis l’abolition en 2005 de la règle limitant le contenu
étranger des caisses de retraite a créé de nouvelles opportunités
pour ces investisseurs. Résultat, les marchés obligataires internationaux
sont maintenant évalués en fonction de leur potentiel de rendement
additionnel et de leur effet de diversification de portefeuille. À ce
titre, il est reconnu que l’ajout d’obligations des gouvernements étrangers
à la portion obligataire canadienne améliore la relation endement/risque
d’un portefeuille, les titres à revenu fixe canadiens ne représentant
qu’un maigre 2% de l’encours obligataire mondial.
Le hic, c’est que les obligations étrangères exposent les caisses
de retraite au risque de change alors que leur passif est en dollars canadiens.
Il est cependant possible de couvrir presque complètement ce risque,
ou encore de laisser une certaine latitude au gestionnaire obligataire de couvrir
entièrement le placement ou non. En effet, ce dernier est relativement
bien placé pour gérer ces positions puisque l’analyse qu’il fait
des politiques monétaires des différents pays l’amène à
se pencher de près sur les fluctuations futures des devises.
Autre nouveauté, depuis la modification de la loi sur le contenu étranger,
plusieurs sociétés étrangères se sont prévalues
des conditions de financement avantageuses au Canada. Grâce à cette
prolifération, les investisseurs peuvent sélectionner de nouveaux
émetteurs, dont la qualité de crédit est aussi bonne, voire
meilleure, que celle d’émetteurs canadiens comparables, avec des primes
de risque intéressantes.
Le nouvel environnement de marché a provoqué une vaste transformation
de la répartition de l’actif, des modes de comparaison et des mandats
de gestion. Heureusement, les gestionnaires de portefeuille les plus ingénieux
ont pavé la voie en proposant des solutions. Au stade actuel, les caisses
de retraite n’ont plus qu’à choisir diligemment un gestionnaire et lui
donner les moyens de saisir toutes les opportunités.
YVAN FONTAINE est premier vice-président, Placements, chez Addenda Capital
à Montréal.