Les caisses de retraite du monde entier ont profondément chamboulé leurs portefeuilles au cours de la dernière décennie, et le contexte économique et géopolitique actuelle ne risque pas de freiner cette tendance.

Pour construire un portefeuille performant à long terme, il faut anticiper le pire. C’est le message qu’a lancé Éric Girard, premier vice-président, trésorerie corporative à la Banque Nationale, lundi dans le cadre de la Conférence de Montréal. « Si le S&P 500 devait chuter de 25 %, comment votre portefeuille réagirait-il? Pour qu’un test de tension (stress test) soit utile, il doit faire peur », affirme-t-il.

Bien utilisés, les tests de tension permettent de définir l’appétit d’un régime pour le risque et de déterminer le montant qu’il peut « se permettre de perdre ». « Un portefeuille doit être construit de façon à survivre à une crise, peu importe qu’elle soit causée par un niveau d’endettement élevé des ménages ou un conflit entre les États-Unis et la Corée du Nord », souligne-t-il, en insistant du même coup sur la difficulté de prévoir les grands risques géopolitiques et les effets qu’ils auront sur les placements. « C’est beaucoup plus facile de construire un portefeuille pour qu’il résiste à une contre-performance générale du marché que de faire des prévisions dans l’optique de se protéger contre un enjeu spécifique. »

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Pour Éric Girard, un portefeuille bien construit respecte certaines règles, dont la réduction de la volatilité pour maximiser les rendements à long terme, des frais bas et une bonne diversification de façon à s’exposer à des primes de risque variées. Il conseille aussi vivement aux investisseurs de se méfier des benchmarks, « qui ne sont pas toujours neutres, ni représentatifs ».

Son constat général? « On a besoin de plus d’obligations pour atteindre nos objectifs, pas moins. » Un régime de retraite qui vise à obtenir un rendement à long terme de 6 % pour remplir les obligations liées à son passif peut par exemple « aller chercher 3 % avec les obligations à long terme et un autre 3 % grâce à la prime de risque du marché boursier », estime-t-il. Et c’est sans parler des investissements réalisés sur le marché privé. « Obtenir un rendement de 6 % à long terme, c’est un défi, mais c’est loin d’être irréaliste. »

Éric Girard soutient par ailleurs que d’utiliser l’effet de levier pour acheter davantage d’obligations permet de réduire le risque du portefeuille. « Utiliser un levier pour acheter des obligations, c’est totalement différent que pour se procurer des actifs risqués comme les actions », précise-t-il.

Rendements moins élevés

« Le rendement des actions américaines ne sera pas aussi élevé au cours des cinq ou dix prochaines années », a de son côté indiqué Lisa Emsbo-Mattingly, directrice de la recherche, répartition mondiale d’actifs à Fidelity Investments. « Nous avons atteint un sommet dans la croissance et l’évaluation des actions, celles-ci vont finir par perdre de la vitesse. »

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D’autre menaces potentielles pèsent également sur les marchés boursiers, dont la montée du protectionnisme à l’échelle mondiale. « La mondialisation a eu pour effet d’uniformiser le comportement des marchés. La popularité grandissante du protectionnisme pourrait modifier cet état de fait », souligne Mme Emsbo-Mattingly.

L’économiste s’inquiète aussi du fait que le tiers du marché boursier américain est aujourd’hui géré de façon passive, et que l’utilisation de l’effet de levier a fait croître la dette beaucoup plus rapidement que le PIB au cours des dernières années. « On a créé du levier, pas de l’investissement dans la productivité et la croissance future », analyse-t-elle.

Diminuer le risque

En 2007, les régimes de retraite du Royaume-Uni investissaient en moyenne 61 % de leur actif total en actions. Dix ans plus tard, cette proportion a chuté pour s’établir à 29 %. « On a assisté à une diminution graduelle du risque dans les régimes de retraite partout dans le monde », a expliqué Phil Edwards, directeur de la recherche stratégique globale chez Mercer.

La courbe est inversée pour les placements alternatifs (particulièrement les actifs réels tels que l’immobilier et l’infrastructure), dont la répartition est passée de 3 à 22 % au cours de la même période.

Le recours aux alternatifs devient de plus en plus généralisé, soutient M. Edwards. « Plus de la moitié des investisseurs institutionnels britanniques se disent très confortables avec les actifs réels. » Il ajoute que l’appétit est aussi grandissant pour les titres à revenu fixe orientés croissance, notamment les dettes privées.

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