RICHARD BÉLIVEAU: Nous vivons dans une nouvelle
réalité économique. Nous ne pouvons plus nous attendre
à des rendements réels aussi élevés que durant les
années 1990. Dans un tel contexte, qu’allons-nous faire des régimes
de retraite?
MICHEL JALBERT: Les régimes de retraite à prestations
déterminées ont longtemps constitué un outil important
de recrutement et de rétention des ressources humaines pour les entreprises.
Étant donné leur situation financière plus précaire,
cette période est peut-être révolue. Le temps est venu de
repositionner les régimes de retraite.
RICHARD BÉLIVEAU: D’ici quelques années,
nous prévoyons une pénurie de la main-d’oeuvre qualifiée.
Les prochaines décisions concernant le possible transfert de risques
des régimes de retraite PD vers des régimes CD pourraient avoir
un impact majeur sur la main-d’oeuvre des entreprises.
MICHEL JALBERT: Les régimes à cotisation déterminée
présentent certaines caractéristiques non négligeables.
Par exemple, les participants assument pleinement le risque relié à
l’investissement. On peut s’interroger si ces derniers ont les outils,
la connaissance ou la possibilité de bénéficier des économies
d’échelle qui leur permettraient d’accumuler des sommes suffisantes
à la retraite. Il est possible que les participants doivent demeurer
sur le marché du travail plus longtemps. Le mouvement migratoire enclenché
vers les régimes à cotisations déterminées pourrait
créer un problème social important à moyenne échéance,
en augmentant le
fardeau que devra porter « l’État providence ».
SERGE LAPIERRE: Je suis d’accord. Un régime de retraite
CD ou PD, c’est la même chose essentiellement, sauf que les régimes
PD offrent une promesse précise qui doit être financée.
Cette promesse peut être financée sans risque à la limite,
mais personne n’est prêt à assumer ce coût assez élevé.
Les normes actuarielles permettent de sous-estimer ce coût en anticipant
des gains futurs, ce qui engendre des problèmes à long terme,
si ces gains ne se matérialisent pas.
RICHARD BÉLIVEAU: Les caisses de retraite
aiment se réfugier dans la « norme ». Il s’agit pour elles
d’une forme de protection.
PIERRE PARENT: Dans les périodes difficiles, il n’y
a pas de normes. Le concept de politique de placement modèle est derrière
nous. Avec le temps, il faudra assurément considérer le poids
des retraités, qui prendra de plus en plus d’importance.
SERGE LAPIERRE: La politique de placement a un impact majeur
sur le financement des caisses de retraite. Certains régimes préfèrent
augmenter le risque de manière à maintenir le niveau de cotisation
plus faible, sans voir l’impact à long terme. Ils devront bientôt
faire un compromis. La politique de placement idéale est celle avec laquelle
nous sommes à l’aise même lorsque de mauvais résultats surviennent.
PIERRE PARENT: Peu importe qui administre le régime
de retraite, il faut mesurer sa tolérance au risque et sa capacité
de financer le régime durant une période difficile.
PIERRE DROLET: Les caisses de retraite regardent davantage
le risque associé au désappariement entre l’actif et le passif
du régime. Chez Domtar, nous faisons un suivi mensuel de notre situation
financière des régimes de façon approximative. Cette mesure
mensuelle nous permet de mieux percevoir le risque, qu’il soit mesuré
en ratio de solvabilité ou en dollars.
RENTE = PROMESSE
RICHARD BÉLIVEAU: Bien des régimes de retraite
ont été mis sur pied il y a 40 ans. Depuis, certaines entreprises
ont vu leur réalité d’affaires complètement changer. Une
entreprise peut-elle changer les promesses faites aux employés pour mieux
faire face à sa nouvelle réalité?
JACQUES FONTAINE: Il est difficile de changer les promesses
faites aux employés. Dans certains secteurs, c’est impossible. Les comités
de retraite et les règles de gouvernance prennent de plus en plus d’importance.
Le partage d’information entre tous les intervenants facilite la prise de décisions
éclairées et cela fait toute la différence.
SERGE LAPIERRE: C’est une bonne approche. À long terme,
il est plus facile d’atteindre ses objectifs quand tout le monde travaille dans
la même direction. Par contre, il est parfois difficile d’obtenir un consensus
sur les buts visés par les différents intervenants du régime.
MICHEL JALBERT: Concernant la gestion des actifs, nous observons
un écart entre les petites et grandes caisses. Les plus petites caisses
ont plus tendance à suivre la norme. Certaines envisagent d’adhérer
à d’autres classes d’actifs, mais peu d’entre elles agissent concrètement.
Tout changement stratégique dans sa politique
de placement devient un changement tactique au moment de prendre la décision.
Cela bloque souvent le processus.
RICHARD BÉLIVEAU: L’immunisation, par exemple,
se veut un exercice de gestion du risque. En investissant dans d’autres produits
financiers, cela peut réduire la volatilité. Il est difficile
de réduire le risque tout en tentant d’obtenir un haut rendement
en même temps.
SERGE LAPIERRE: Il est important de regarder l’ensemble des
facteurs de risques et non seulement les taux. En effet, la fluctuation des
taux d’intérêt ou des actions, l’inflation, etc., sont des facteurs
de risque importants à considérer. Dans un régime de retraite,
le risque est plus difficile à cerner, puisqu’il y a des relations complexes
entre l’actif et le passif, ainsi qu’entre les facteurs de risque.
JACQUES FONTAINE: La maturité du régime est
un autre facteur à considérer. Dans notre cas, 30 % des employés
vont prendre leur retraite d’ici cinq ans. Nous aurons donc besoin de liquidités.
Il faut en tenir compte dans notre politique de placement.
PIERRE PARENT: Personne ne peut se permettre de ne pas tenir
compte du risque. Les caisses de retraite doivent avoir une vision plus globale.
Les changements de politique de placement peuvent se faire de façon progressive.
Il n’est pas nécessaire de tout changer d’un coup pour réduire
le risque. Des ajustements peuvent être apportés graduellement,
mais toujours en ayant une vision à long terme.
JACQUES FONTAINE: La politique de placement et les objectifs
doivent être bien définis dès le départ. Une fois
approuvée, la politique peut être modifiée dans le but de
s’assurer que les hypothèses émises tiennent bien la route. Autrement,
nous ne pouvons pas changer la politique du tout au tout pour suivre les tendances
du marché.
MICHEL JALBERT: En général, les politiques de
placement sont trop statiques et sont basées sur des statistiques historiques
de rendement, de volatilité et de corrélation. Il est prouvé
que ces dernières ne sont pas stables dans le temps. Nous avons besoin
de politiques plus dynamiques qui peuvent mieux s’adapter aux
grandes tendances de marché qui évoluent rapidement. Présentement,
peu de politiques prévoient des placements dans les pays émergents,
les obligations internationales ou les placements privés, par exemple.
Il faut intégrer ces produits pour avoir des politiques de placement
plus contemporaines.
SERGE LAPIERRE: Je suis d’accord. Plusieurs croient que la
solution consiste seulement à inclure des catégories d’actifs
qui diversifient leur portefeuille, alors que ce qui a réellement un
impact sur la situation financière du régime c’est de diversifier
le surplus, c’est-à-dire l’actif moins le passif. Afin d’atteindre cet
objectif, nous devons aussi inclure des catégories d’actifs ayant une
forte corrélation avec le passif. Il faut donc avoir une vision globale
et se demander si la volatilité de notre surplus est adéquate.
Il est alors plus facile d’établir une stratégie de gestion de
risques, qui expose le portefeuille aux risques payants et élimine ceux
qui n’en valent pas la peine.
QUE FAIRE AVEC SA POLITIQUE DE PLACEMENT?
RICHARD BÉLIVEAU: Tout le monde privilégie
le même genre de politique de placement. Pourtant, la politique devrait
tenir compte de la situation financière spécifique à chacun,
non?
MICHEL JALBERT: En fait, nous devrions avoir trois portefeuilles
avec des objectifs différents. Un premier portefeuille pour couvrir les
engagements reliés aux travailleurs actifs, un autre pour les retraités
et un dernier pour le surplus. Pour les travailleurs actifs, l’accent peut-être
mis sur le rendement en tenant compte de l’horizon plus éloigné
des engagements, alors que pour les retraités, une approche d’appariement
semble plus appropriée. Pour ce qui est du surplus, l’emphase devrait
être la protection de capital.
PIERRE PARENT: À partir du moment où on place
le risque en premier, ça change tout. Trop d’organisations privilégient
exclusivement le rendement sans se soucier de leur tolérance réelle
au risque. Si l’objectif est de réduire la volatilité, cela devrait
être le point d’évaluation de la politique de placement.
MICHEL JALBERT: Historiquement, tous essaient d’ajouter de
la valeur au portefeuille, même si l’objectif est de mieux gérer
le risque. D’autre part, les pays émergents ont pris une place prépondérante
dans la croissance mondiale. Il faut donc exploiter davantage ces marchés.
Toutefois, peu de caisses ont intégré dans leur politique de placement
des investissements dans ces pays.
REVOIR LA CAPITALISATION DES RÉGIMES
RICHARD BÉLIVEAU: Croyez-vous que des allègements
devraient être apportés concernant les exigences de capitalisation?
MICHEL JALBERT: Une refonte est peut-être inévitable,
mais elle doit se faire dans les deux sens. Il est possible de donner un allègement
aux caisses, mais à l’inverse, il faut aussi les forcer à conserver
une réserve de fluctuation afin d’éviter que ces sommes ne soient
dépensées sans tenir compte de leur nature intrinsèque
et des conséquences futures.
RICHARD BÉLIVEAU: Aux États-Unis, on se
dirige vers sur un modèle où les exigences de capitalisation seront
reliées à la cote de crédit des entreprises. Ce n’est pas
encore le cas au Canada, mais que pensez-vous du lien entre la situation financière
d’une entreprise et sa caisse de retraite?
PIERRE DROLET: Les employeurs veulent garantir une sécurité
aux participants de la caisse, mais ils aimeraient aussi profiter d’une certaine
flexibilité. Avec l’Associaion canadienne des gestionnaires de
fonds de retraite(PIAC), nous avons proposé, il y a quelques années,
de maintenir le financement des déficits de solvabilité sur un
horizon à court terme pour apporter une sécurité aux employés.
Au lieu de les financer entièrement avec des contributions en liquidités,
une partie de cette sécurité pourrait être offerte par des
lettres de crédit de l’employeur qui seraient révocables à
mesure que le surplus s’améliore. Cette formule procure une certaine
flexibilité aux employeurs, tout en garantissant une sécurité
aux employés. Il y a évidemment un coût relié au
fait que la lettre de crédit ne génère pas de rendement
pour la caisse de retraite. C’est à l’employeur de juger s’il désire
s’en prévaloir.
PIERRE PARENT: S’il existe des règles de financement,
c’est avant tout pour la sécurité des prestations. Il peut certes
y avoir différents aménagements, mais jamais cela ne doit être
fait au détriment des participants. Le financement des régimes
de retraite ne doit pas être associé à la cote de crédit
des entreprises. Ce sont deux choses indépendantes.
RICHARD BÉLIVEAU: Tous semblent d’accord sur le
fait qu’il faut mettre plus d’argent dans les régimes de retraite, mais
cela veut aussi dire moins d’argent pour investir ailleurs pour les employeurs.
Comment vont-ils réagir face à cette problématique?
MICHEL JALBERT: Globalement, le niveau d’endettement des
entreprises nord-américaines s’est beaucoup amélioré au
cours des dernières années, ce qui va leur donner une chance de
se reprendre. Par ailleurs, nous traversons une grande période d’infidélité
entre employés et employeurs. Il ne serait pas surprenant de voir un
renversement de la situation dans un avenir rapproché. À ce moment-là,
les régimes PD deviendront très intéressants pour garder
les employés.
PIERRE DROLET: Dans 50 ans, ne va-t-on pas dire que les régimes
à prestations déterminées n’ont été qu’une
« erreur de parcours » dans les programmes de rémunération?
Les entreprises se dirigent de plus en plus vers un régime CD parce que
les régimes PD possèdent des règles trop complexes à
gérer. De nouvelles lignes directrices dans la gestion des régimes
d’accumulation de capital entraînent de nouvelles contraintes de gestion
pour le promoteur de régime. C’est à se demander si un jour les
employés ne recevront pas simplement un chèque et ne géreront
pas eux-mêmes leurs épargnes. Je suis loin d’être convaincu
qu’ils en sortiraient gagnants.
PIERRE PARENT: Il y a des gains à gérer un
régime de retraite sur une base collective plutôt qu’individuelle.
PIERRE DROLET: Les employés doivent toutefois percevoir
les gains inhérents à avoir une caisse de retraite, sinon ils
pourraient être tentés de gérer eux-mêmes le montant
de leur rente.
MICHEL JALBERT: Selon une récente étude américaine,
les gestionnaires institutionnels actifs ont obtenu un rendement tout juste
en dessous de l’indice, alors que les épargnants, qui ont investi dans
les fonds mutuels, ont obtenu la moitié moins de rendement. Ils ont été
plus conservateurs, ont trop tenté de suivre les tendances ou ont dû
assumer des frais de gestion plus élevés.
SERGE LAPIERRE: Les méthodes de financement utilisées
nous ont laissé croire que les coûts étaient moindres. Si
les hypothèses actuarielles ne se concrétisent pas, ou s’il y
a plus de volatilité que prévu, les régimes de retraite
ne seront pas capables de tenir certaines promesses.
JACQUES FONTAINE: Ce n’est pas une erreur d’être passé
d’un régime à prestations déterminées à un
régime à cotisation déterminée. Tout dépend
des objectifs visés.
MICHEL JALBERT: Le modèle des régimes à
prestations déterminées n’est pas vilain, mais il faudrait partager
le risque équitablement entre l’employeur et les employés.
PIERRE DROLET: Partager le risque entre l’employeur
et les employés, je n’en suis pas certain. Il faut surtout comprendre
qui assume le risque et le rendre le plus symétrique possible.
SERGE LAPIERRE: Selon moi, les coûts que nous payons
actuellement représentent en moyenne 75 % de ce que nous devrions réellement
payer pour nous assurer du plein financement des régimes à long
terme. Il y a donc 25 % qu’il faudra combler par du rendement.
MICHEL JALBERT: Les régimes hybrides se veulent peut-être
la solution, mais je ne vois pas qui va enclencher cette tendance. À
part les participants, les autres intervenants(gouvernements et employeurs)
n’ont pas beaucoup de raisons de le faire.
PIERRE PARENT: Pourquoi pas les entreprises? Elles ont fait
des promesses de rente aux employés. Les actionnaires devront peut-être
accepter un peu moins de rendement dans les entreprises dans lesquelles ils
ont investi.
JACQUES FONTAINE: À la STM, l’employeur et l’employé
paient des cotisations fixes. Ensuite, tout dépend du rendement. Toutefois,
les anticipations de rendement doivent être réalistes. Sinon, nous
risquons de nous retrouver avec de mauvaises surprises et nous n’atteindrons
pas les objectifs fixés. C’est à ce moment-là qu’il faut
revenir en arrière et revoir son financement.
PRÉVOIR DES RENDEMENTS RÉALISTES
RICHARD BÉLIVEAU: Il est temps d’être réaliste
dans nos anticipations de rendement. Si c’est 6 %, ce n’est pas 7,5 %! Faisons
un modèle pour l’avenir basé sur des paramètres financiers
réalistes et regardons les coûts. Nos régimes de retraite
ne sont peut-être pas assez financés?
SERGE LAPIERRE: Plusieurs aiment continuer de croire aux
rendements élevés. Cela leur permet de réduire les coûts
aujourd’hui et de déplacer les problèmes de financement dans l’avenir.
JACQUES FONTAINE: Il me semble que les gens imaginent trop
de scénarios catastrophes. Il ne faut pas croire non plus à des
rendements trop bas. À la STM, lors des dernières négociations,
aucune amélioration n’a été octroyée, autant aux
travailleurs qu’aux retraités et ce, en dépit du surplus de la
caisse, qui est réservé pour les engagements futurs envers les
participants.
SERGE LAPIERRE: L’important est de connaître le vrai
coût. Je ne dis pas qu’il faille payer ce coût ou que nous devrions
augmenter les cotisations, mais il faut au moins savoir quelle est la situation
réelle pour ensuite prendre une décision éclairée.
RICHARD BÉLIVEAU: À la STM, rien n’a été
accordé aux travailleurs et aux retraités en dépit du surplus.
Il s’agit d’une action concrète malgré la bonne situation financière
du régime de retraite. Serait-il possible que les participants du régime
profitent d’une réduction des cotisations ou encore d’une amélioration
de leurs prestations?
JACQUES FONTAINE: Nous regardons toutes les options possibles.
Les participants connaissent bien la situation du régime et nous les
tenons informés régulièrement. Ils comprennent les décisions
prises et voient leurs intérêts à long terme. Il importe
d’établir un plan précis et de rester prudent.
DES SOLUTIONS POUR L’AVENIR
RICHARD BÉLIVEAU: En terminant, existe-t-il des
solutions pour l’avenir?
MICHEL JALBERT: J’aimerais que les promoteurs de régime,
les consultants et les gestionnaires travaillent plus en harmonie, particulièrement
en ce qui concerne les politiques de placement et la création de nouveaux
produits.
SERGE LAPIERRE: La solution passe principalement par la prise
de conscience que nous gérons un actif et un passif. Il faut assumer
les conséquences de ses choix, autant au niveau de la politique de placement
que du financement. Tous ces éléments doivent permettre d’atteindre
les objectifs du régime. Pour ce faire, toute stratégie d’investissement
doit être guidée par le passif que nous sommes en train de financer.
PIERRE DROLET: À la base, il faut mesurer adéquatement
le risque de désappariement entre l’actif et le passif, tout comme nous
le faisons lorsque nous mesurons la performance par rapport à un portefeuille-cible
ou à un indice de référence.
PIERRE PARENT: Je partage le même avis. Les caisses
de retraite doivent voir à plus long terme en ce qui concerne leur politique
de placement. Il y aura d’autres mauvaises années dans le futur. Il faut
donc mettre en place des modèles d’affaires beaucoup plus robustes. Avec
les régimes qui deviennent de plus en plus matures, l’avenir est aux
obligations, peu importe les anticipations des taux d’intérêt à
court terme.
JACQUES FONTAINE: Comme administrateur, nous devons revenir
au pourquoi des caisses de retraite et faire le nécessaire pour assurer
une prestation à nos retraités. Le lien actif-passif et la gestion
des risques sont donc deux aspects très importants. Il faut favoriser
une vision à long terme pour rencontrer les objectifs fixés.