Au cours des dernières années, l’éducation auprès des investisseurs individuels a considérablement progressée. Un facteur clé de cette progression découle d’une diminution importante de la proportion de la population active couverte par un régime de retraite à prestations déterminées au Canada. De 1992 à 2003, la couverture des régimes à prestations déterminées(RPD)a chuté, passant de 44 % à 34 % de la population active. Au cours de la même période, le nombre de RPD a diminué de 14 %. Cette grande responsabilité a mené les individus à développer certaines connaissances en investissement, nécessaires à l’établissement de leur portefeuille.
Lorsqu’il est question de régime de retraite, du point de vue des individus, le concept clé est l’allocation de l’actif. Plusieurs modèles suggèrent une approche plus conservatrice à mesure que l’individu approche de la retraite et au cours de cette dernière. Des études récentes indiquent cependant le besoin d’avoir une approche plus agressive, c’est-à-dire d’augmenter la pondération en actions dans les portefeuilles. Jusqu’à présent, aucune étude approfondie n’a été réalisée sur le sujet en utilisant des données du marché canadien.
À la recherche de l’allocation optimale d’actif
En 2002, Dimson et al. a calculé la prime de risque à partir de rendements réels moyens. Ces derniers documentent une prime de risque de 4,6 % sur le marché canadien pour la période 1900-2002. Notre étude vise à évaluer la prime de risque sur la période 1950-2003 étant donné la difficulté d’obtenir les données antérieures.
Le contexte théorique de notre étude sur l’allocation optimale de l’actif s’inspire de la recherche de Milevsky et al.(1994). La recherche s’est penchée sur le développement d’un modèle théorique intégrant les probabilités de survie des individus à la décision de l’allocation de l’actif.
Dans notre cas, nous désirons trouver, par optimisation, pour un individu d’âge n, un ratio de richesse sur consommation annuelle R/C et une probabilité de survie conditionnelle à son âge P, le rendement annuel minimum que l’individu doit réaliser s’il veut survivre à son argent. En termes réels(hors inflation), nous pouvons simplifier l’optimisation visant à trouver le rendement nécessaire i sous la forme suivante:
Sans s’éloigner du contexte général, l’individu doit répartir son actif de façon à minimiser les probabilités de tomber sous le seuil du rendement minimum requis i. Deux classes d’actif se trouvent à sa disposition, soit un actif sans risque, représenté par les bons du Trésor canadiens, ainsi qu’un actif risqué, représenté par un portefeuille diversifié d’actions canadiennes(Indice CFMRC-v). Compte tenu de ces deux classes d’actif, nous devons trouver une solution qui nous permettra de minimiser les chances d’obtenir un rendement inférieur à i, en identifiant la pondération optimale en bons du Trésor.
Milevsky et ses collègues imputent un rendement moyen des actions de 8 % et de 2 % pour les bons du Trésor, pour une prime de risque de 6 %. L’écart type des rendements annuels est de 17,5 % et 3,5 %, respectivement. Nous utilisons ces données dans la présente étude et nous les comparons avec les résultats obtenus à la suite d’une modification de la prime de risque.
La validité de ce modèle théorique
Nous désirons déterminer si l’application de ce modèle aurait permis, en fonction des données historiques, de minimiser la probabilité qu’un individu ne survive pas à son argent. Cette étude se base sur des simulations historiques en fonction de l’allocation de l’actif suggérée par le modèle basé sur l’espérance de vie et vise à comparer la probabilité empirique(PE)à la probabilité théorique(PT)découlant du modèle, que l’individu ne survive pas à son argent. En comparant ces probabilités, nous sommes en mesure d’évaluer si le modèle théorique prédit de manière réaliste l’allocation optimale de l’actif.
Pour ce faire, nous avons utilisé les données mensuelles du TSX CFMRC de la période 1950 à 2003. Il s’agit d’un indice d’actions canadiennes pondéré en fonction de la capitalisation boursière(CFMRC-v)et d’un indice de bons du Trésor canadiens. L’indice d’actions de cette source comprend le rendement en dividende des titres composant l’indice, ce qui représente le rendement total réalisé par un investisseur. La table de mortalité UP-94@2015 de l’Institut Canadien des Actuaires est utilisée pour déterminer P.
Les résultats
D’abord, nos calculs prouvent une prime de risque annuelle(RP)de l’ordre de 4 %, et ce, en soustrayant le rendement des bons du Trésor au rendement de l’indice CFMRC-v. Nos résultats se trouvent légèrement inférieurs à ceux documentés par Dimson, principalement à cause de la plus courte période d’évaluation. Nous avons donc tenu compte de ces résultats dans notre recherche de l’allocation optimale de l’actif.
Le tableau 1 nous montre, qu’en général, les individus devraient augmenter leur pondération en actions dans leur portefeuille. Cela est d’autant plus vrai pour les femmes étant donné leur plus longue espérance de vie. Cela leur demande de survivre plus longtemps avec la même richesse initiale. Cette conclusion est contraire aux habitudes d’investissement du grand public puisque la plupart des femmes sont plus exposées au risque que les hommes. Nous remarquons également qu’il est suggéré d’investir tout son avoir en actions, peu importe le sexe, lorsque l’on est âgé de 60 ans et moins, et ce, pour tous les ratios de richesse sur consommation.
Ce constat pourrait avoir des répercussions importantes sur l’industrie de la planification financière car la majorité des professionnels suggèrent aux gens le contraire, soit d’adopter une allocation de l’actif très conservatrice lors de la retraite. Ces résultats sont plutôt intuitifs puisque même si l’individu est retraité, son horizon de placement peut dépasser 20 ans, ce qui est suffisant pour justifier un investissement important en actions. Nous pouvons définir les zones ombragées du tableau 1 comme étant les frontières d’investissement mixte, où les pondérations en actions et en bons du Trésor sont supérieures à zéro.
Le concept de prime de risque
Que se passe-t-il au modèle d’allocation de l’actif basé sur l’espérance de vie si la prime de risque implicite diminue de 6% à un niveau plus réaliste de 4%, comme le démontre notre étude de la prime de risque du marché canadien? La diminution de la prime de risque implique une augmentation de la pondération en bons du Trésor,(toute chose étant égale par ailleurs). L’écart type implicite des rendements des actions et des bons du Trésor est de 17,5 % et 3,5 %, respectivement. Comme la prime de risque a diminué de 2 %, les actions offrent maintenant moins de rendement pour le même niveau de risque. L’individu diminuera sa pondération en actions pour éviter d’exposer son portefeuille à une trop grande volatilité. Bref, un léger changement s’impose, mais le modèle continue tout de même de proposer une forte pondération en actions. Les zones ombragées demeurent au même endroit.
Le tableau 3 présente la différence entre la probabilité théorique et la probabilité empirique qu’un individu ne survive pas à son argent ainsi que le résultat du test statistique. Nous avons ombragé la zone représentant les caractéristiques de la frontière d’investissement mixte pour faire le parallèle avec l’allocation optimale de l’actif, telle que présentée dans les tableaux 1 et 2. Les cases encadrées représentent une différence considérée négligeable entre les probabilités théoriques et empiriques au point de vue statistique. Les deux cas où la différence est statistiquement négligeable se situent à l’intérieur de la frontière d’investissement mixte. Plus on s’éloigne de la frontière, plus la différence entre les probabilités théoriques et empiriques est grande et significative.
Pour les individus moins âgés ayant un ratio R/C faible, la probabilité théorique surestime fortement la probabilité que l’individu survive à son argent, toujours en fonction des rendements historiques. La tendance s’inverse lorsque l’on traverse la frontière d’investissement mixte, soit pour des ratios R/C élevés et chez les individus plus âgés. En moyenne, les individus présentant ces caractéristiques(R/C élevé, plus âgé)auraient réussi à survivre plus longtemps à leur argent que la probabilité théorique l’avait prédit, si l’on se base sur les rendements historiques.
À la lumière des résultats présentés, nous suggérons une allocation de l’actif plus fortement pondérée en actions que ce qui est couramment conseillé en pratique. Les tableaux d’allocation optimale de l’actif sont très évocateurs: dans la majorité des cas, une forte pondération en actions est requise pour l’atteinte des objectifs. De plus, comme les retraités voient leur espérance de vie s’étirer, ils devront réaliser un rendement sur l’actif supérieur pour combler le manque à gagner. Dans ce cas, un investissement dans le marché boursier sous forme indicielle constituerait une belle opportunité d’augmenter le rendement de leur portefeuille tout en limitant la volatilité de celui-ci. Enfin, nous suggérons fortement aux investisseurs de tenir compte de l’espérance de vie dans leurs décisions d’investissement.
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Cette recherche a été rendue possible grâce à la collaboration du directeur de la recherche, M. René Delsanne de l’Université du Québec, et au programme de bourse universitaire de l’Institut canadien de la retraite et des avantages sociaux(ICRA). Vous pouvez consulter l’étude complète de M.Semaan sur le site web de l’ICRA au www.cpbi-icra.ca