Il est fascinant de constater à quel point les promoteurs de régimes d’assurance collective et l’État font face aux mêmes défis dans la gestion de la santé, malgré leurs rôles fort différents en la matière : pression considérable sur les budgets, hausse de la prévalence des maladies chroniques, attentes croissantes de la population…

Lors d’un colloque organisé l’automne dernier par l’Association pour la santé publique du ­Québec (ASPQ), le ministre de la ­Santé, ­Christian ­Dubé, a souligné, en substance, que le réseau public offrait toujours plus de soins et de services à la population, mais que cela ne suffisait pas à combler la demande croissante.

Parallèlement, dans la dernière édition du ­Sondage ­Benefits ­Canada sur les soins de santé, 40 % des promoteurs canadiens de régimes de soins de santé ont eux aussi affirmé que l’utilisation de leur régime avait augmenté au cours de la dernière année, rendant l’offre d’un tel régime plus difficile que jamais d’un point de vue économique. Et malgré ce recours croissant aux services de santé, les maladies chroniques poursuivent leur croissance chez les travailleurs.

Un peu plus tard lors du même colloque, la commissaire à la santé et au ­bien-être du ­Québec, Johanne Castonguay, a affirmé que le système était « trop axé sur la quantité de soins et services, et pas assez sur les résultats ». Elle prône une gestion centrée sur la valeur, sur la qualité avant la quantité. Une vision qui semble aller de soi, mais qui n’a pas été celle privilégiée par le système public de santé, ni probablement par bon nombre de promoteurs de régimes d’avantages sociaux.

Le vieillissement de la population est certes principalement responsable de la hausse astronomique des coûts liés aux soins de santé, mais ­Johanne ­Castonguay pointe également du doigt les attentes croissantes de la population, de plus en plus informée et exigeante.

Les employeurs sont aussi aux prises avec ces attentes grandissantes de leurs travailleurs. En réponse à ces doléances, 34 % d’entre eux ont ajouté au moins une nouvelle prestation ou amélioré les niveaux de couverture au cours de la dernière année. On ne peut pas être contre la vertu, mais cette multiplication des services offerts ne s’inscrit pas forcément dans cette gestion axée sur la qualité prônée par la commissaire à la santé et au ­bien-être. En ajoutant des couvertures à la pièce, sans stratégie intégrée, les promoteurs augmentent leurs coûts sans forcément améliorer de façon notable la santé et le ­bien-être de leurs participants.

Pour ­Johanne ­Castonguay, le constat est clair : « ­On ne peut plus continuer d’augmenter le budget, on doit penser autrement. » ­Pour penser autrement, les employeurs doivent d’abord définir le rôle qu’ils veulent jouer, et qu’ils devraient jouer, en santé.

Les plus puristes défenseurs du système public diront que le rôle des entreprises est avant tout de financer ce système par le biais de transferts fiscaux. Dans un rapport publié l’an passé, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques affirme que le ­Fonds des services de santé, actuellement financé par une taxe sur la masse salariale, devrait plutôt l’être à l’aide d’une contribution basée sur les profits réalisés, ce qui impliquerait des coûts plus élevés pour les grandes entreprises. Selon les calculs de l’organisme, cela permettrait d’engranger dix milliards de dollars supplémentaires annuellement.

C’est une vision qui se défend, mais on peut craindre que ces sommes supplémentaires que devront verser les entreprises proviennent en partie d’une baisse de la couverture des soins offerts dans leurs avantages sociaux. Or, ces soins répondent à des besoins particuliers des travailleurs et comblent certaines lacunes du système public, notamment en matière de santé mentale et d’accès aux soins de première ligne. On peut comprendre les employeurs de préférer allouer leur budget à l’offre de soins plus adaptés à leurs travailleurs actifs que de payer une taxe supplémentaire au profit du système public, qui, contexte démographique oblige, sera en grande partie consacrée aux soins des aînés.

De toute façon, la question est de savoir si le fait d’injecter 10 G$ supplémentaires dans le système changera réellement quelque chose. Selon des données de la ­Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de ­Sherbrooke, le ­Québec dépense 13,4 % de son ­PIB dans les soins de santé. Un seul pays industrialisé dépense davantage : les États-Unis, qui n’ont pas de système de santé public universel. L’argent ­est-il vraiment le problème ?

Comme l’ont souligné les différents intervenants lors du colloque de l’ASPQ, la vraie solution réside ultimement dans le virage vers la prévention des maladies. Un virage pour lequel les employeurs pourront certainement apporter une importante contribution.


• Ce texte a été publié dans l’édition d’avril-mai 2025 du magazine Avantages.
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