À  l’automne 2011, le mouvement ­Occupy ­Wall ­Street a mobilisé des milliers de manifestants à travers le monde. L’histoire n’aura cependant pas retenu ­grand-chose de leur combat contre ce qu’ils considéraient comme les dérives du système financier mondial. Incapable d’ébranler les colonnes du temple, le mouvement s’est rapidement éteint.

Mais voilà qu’en ce début d’année 2021, des milliers de petits investisseurs rassemblés sur des forums de discussion en ligne ont réussi là où ­Occupy ­Wall ­Street avait échoué en faisant trembler de puissants fonds de couverture, ne ­serait-ce que pendant quelques jours.

Bien sûr, beaucoup des petits investisseurs qui se sont rués sur les titres de ­GameStop, ­AMC ou encore ­BlackBerry étaient bien plus attirés par l’appât du gain facile que par la volonté de faire mordre la poussière aux fonds de couverture carburant aux ventes à découvert. ­Ceux-là regrettent déjà leur décision, d’ailleurs.

Car la victoire des petits investisseurs aura été de courte durée. Après avoir atteint un sommet à 347 $US le 27 janvier, l’action de ­GameStop a dégringolé aussi rapidement qu’elle était grimpée quelques jours auparavant.

N’en reste pas moins que cet événement de marché aussi soudain qu’inattendu devrait être source de réflexion chez les grands acteurs des marchés financiers, et cela inclut bien évidemment les régimes de retraite.

Maintenant que les petits investisseurs ont compris qu’ils avaient l’avantage du nombre, et que leurs actions pouvaient avoir une certaine incidence sur la direction prise par les marchés financiers, d’autres initiatives du genre, ­peut-être plus organisées et nobles ­celles-là, pourraient voir le jour.

Avec les millions, voire les milliards de dollars d’actif qu’ils détiennent, les régimes de retraite sont une cible potentielle. Des caisses de retraite pourraient notamment être victimes de campagnes de dénigrement sur les réseaux sociaux en raison de leurs investissements dans des entreprises controversées.

L’Office d’investissement du régime de pensions du ­Canada (OIRPC) a par exemple été dans l’eau chaude en 2019 quand des médias ont rapporté que le plus grand régime de retraite au pays détenait des actions de deux exploitants de prisons américaines impliqués dans la détention de milliers de migrants ­latino-américains à la frontière mexicaine. Ces camps ont fait la manchette à cause de leur surpeuplement et leurs conditions de détention sordides.

L’OIRPC aurait certainement fait face à un risque réputationnel majeur si cette nouvelle ne s’était pas cantonnée à la presse financière et avait été partagée des dizaines de milliers de fois sur les médias sociaux et lue par des millions de bénéficiaires du ­RPC.

La pression exercée par les participants de régimes a d’ailleurs déjà amené des gestionnaires de caisses de retraite à modifier leur politique de placement. En 2018, les ­Fonds ­FMOQ, qui offrent des solutions de placements aux médecins omnipraticiens du ­Québec, ont ainsi retiré leurs investissements dans des fabricants d’armes à feu et de tabac en réponse à la pression de leurs membres.

L’année dernière, des professeurs d’université de partout au pays ont réclamé de leurs régimes de retraite qu’ils se retirent complètement du secteur des énergies fossiles. À l’Université ­McGill, le groupe étudiant ­Divest ­McGill milite en ce sens depuis 2012. L’université n’a toujours pas plié à leurs demandes.

Avec la popularité croissante des placements ­ESG et la forte volonté des jeunes employés de travailler pour un employeur en phase avec leurs valeurs, gageons que les régimes de retraite seront de plus en plus questionnés sur leur politique de placement au cours des prochaines années. D’autant plus que la saga ­GameStop a démontré que les actions de milliers de petits investisseurs pouvaient faire bouger les marchés. Pourquoi pas les régimes de retraite ?

Bien entendu, l’idée n’est pas d’acquiescer à toutes les revendications des employés. Pour protéger leur actif sous gestion autant que leur réputation, les régimes devront néanmoins faire preuve de transparence quant à leur politique de placement et la composition de leurs portefeuilles.

Ils gagneraient aussi à se préparer à justifier leurs décisions auprès de participants mécontents. Les promoteurs ne pourront plus seulement se contenter d’affirmer que le désinvestissent dans un secteur va à l’encontre de l’intérêt du régime, ils devront défendre leur position de façon convaincante.

Les régimes plus ­avant-gardistes pourraient même envisager un processus de consultation officiel auprès de leurs participants concernant les orientations en matière de placement. Ouvrir le dialogue n’est certainement pas incompatible avec leur responsabilité fiduciaire.

À l’heure où l’information circule plus vite que jamais, ce ne sont plus seulement les risques financiers que les régimes de retraite se doivent de couvrir.


• Ce texte a été publié dans l’édition de mars 2021 du magazine Avantages.
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