A près plus d’une décennie de croissance soutenue, les placements ESG ont connu leurs premiers revers ces dernières années, dans un contexte politique et économique leur étant fortement défavorable. Pourtant, il est plus important que jamais pour les investisseurs institutionnels de réitérer leur engagement envers des portefeuilles durables socialement et environnementalement.
Pendant la première moitié de 2024, les investisseurs mondiaux ont retiré 40 G$ US des fonds ESG, selon des données de Barclays. Il s’agit de la première année de flux d’investissement négatifs dans les stratégies ESG.
Durant le premier semestre de 2023, les émissions d’obligations vertes par les sociétés américaines ont également chuté de 39 % par rapport à la même période de 2022. À l’échelle mondiale, seulement 170 fonds ESG ont été lancés au premier semestre de 2024, comparativement à 325 un an plus tôt, selon Morningstar.
Plusieurs raisons expliquent ce recul : le marché qui arrive à maturité, mais aussi une contre-performance de l’ESG en 2022 et en 2023. Même les fonds ESG les mieux gérés n’ont pu faire le poids face à l’explosion des prix du pétrole et du gaz qui a suivi le déclenchement de la guerre en Ukraine. Mais plutôt que de mettre en lumière les vulnérabilités des fonds ESG peu ou pas exposés à ces actifs, cette déconvenue démontre au contraire la pertinence de ces fonds, tellement la planète est encore dépendante des énergies fossiles.
Il est aussi vrai que certains gestionnaires d’actif n’ont pas aidé leur cause en versant dans l’écoblanchiment. Le gestionnaire allemand DWS a par exemple dû payer en 2023 une amende de 19 M$ US au régulateur américain des valeurs mobilières en raison de fausses déclarations concernant ses placements ESG. Du bonbon pour les opposants à l’ESG, qui ne se gênent pas pour discréditer ces fonds, en particulier aux États-Unis.
C’est d’ailleurs ce qui est le plus inquiétant. Dans les balbutiements des stratégies ESG, les investisseurs craignaient avant tout d’obtenir des rendements à long terme inférieurs à ceux des stratégies traditionnelles. De nombreuses études ont depuis réfuté cette croyance, mais il s’agissait tout de même d’une préoccupation compréhensible et somme toute légitime.
Mais aujourd’hui, l’opposition à l’ESG prend une forme beaucoup plus idéologique de combat contre le « wokisme financier ». Lorsqu’ils ne sont pas trop occupés à restreindre le droit à l’avortement, les États américains les plus conservateurs travaillent activement à mettre des bâtons dans les roues des investisseurs et des gestionnaires voulant intégrer l’ESG à leurs portefeuilles. Des États comme la Floride, l’Arkansas et la Virginie occidentale ont carrément interdit à leurs caisses de retraite publiques de considérer les critères ESG dans leurs décisions d’investissement.
Heureusement, toutes les nouvelles ne sont pas mauvaises. Des États plus progressistes tels que New York et l’Illinois ont récemment introduit de nouvelles règles plus strictes en matière de divulgation climatique. Et même à l’échelle nationale, les acteurs du marché semblent toujours soutenir les stratégies ESG. Selon des chercheurs de l’Université Harvard, moins de 2 % des résolutions anti-ESG déposées aux assemblées générales des grandes entreprises américaines ont obtenu le soutien des actionnaires, malgré le fait que leur nombre a bondi de 66 % entre 2023 et 2024.
Au Canada, 94 % des gestionnaires d’actif affirment ne pas avoir modifié leur processus d’investissement relativement à l’ESG, malgré les pressions provenant du sud de la frontière, selon un sondage de la firme de service-conseil Millani. En revanche, ils concèdent que la politisation du sujet rend leur travail plus difficile, et 46 % jugent que l’appellation ESG n’a plus le même poids qu’auparavant, rendant son utilisation plus délicate aujourd’hui.
Les investisseurs institutionnels doivent donc absolument réitérer leur appui à l’intégration des facteurs ESG dans leurs processus d’investissement. Cette confiance renouvelée sera nécessaire pour que les stratégies ESG continuent leur progression alors que l’image de la finance durable risque d’être écorchée au cours des prochaines années en raison d’un environnement économique et géopolitique de plus en plus tendu.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, plusieurs gestionnaires de fonds ESG ont par exemple choisi de réintroduire les fabricants d’armement dans leurs portefeuilles, ce qui n’a pas manqué de scandaliser la gauche et de susciter les moqueries de la droite, comme le relate le Financial Times. La réalité est pourtant éminemment complexe. D’un côté, la fabrication d’armes ne répond certainement pas aux principes fondamentaux de l’ESG. Mais de l’autre, donne-t-on vraiment un coup de main à l’humanité en excluant de nos portefeuilles des entreprises qui fournissent aux Ukrainiens le moyen de se défendre contre l’envahisseur russe ? Ce sera ultimement aux investisseurs comme les caisses de retraite de trancher.
• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2024 du magazine Avantages.
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