L’année 2020 n’aura pas été la plus foisonnante en actualités pour les régimes de retraite. En pleine pandémie, les enjeux d’assurance collective et de santé des employés ont largement pris le pas sur les questions de sécurité financière à long terme.

Du moins, c’était le cas jusqu’à ce que le gouvernement du Québec dépose en octobre son projet de loi pour autoriser les employeurs à offrir un régime à prestations cibles (PC) à leurs employés. Ce n’est quand même pas tous les jours qu’un « nouveau » type de régime de retraite est annoncé !

Pierre-Luc Trudel, rédacteur en chef, Avantages

D’accord, les régimes PC n’ont rien de nouveau, mais pratiquement personne n’y a accès à l’heure actuelle. Le déploiement imminent de ces régimes à plus grande échelle constitue une bouffée d’air frais dans un univers de la retraite encore fortement polarisé entre prestations déterminées (PD) et cotisations déterminées (CD). Au- delà des considérations techniques sur la conception des régimes PC, ce que propose en réalité le ministre des Finances Eric Girard, c’est la possibilité pour les employeurs et les participants de s’entendre sur une solution de compromis.

Un compromis entre deux visions diamétralement opposées du rôle que doivent jouer les employeurs dans la retraite des travailleurs. D’un côté, les régimes PD, qui sont probablement les plus performants sur papier, mais qui, confrontés à l’évolution des marchés financiers et de la démographie, n’ont pas tous résisté à l’usure du temps. De l’autre, les régimes CD, qui, malgré leur progrès constant, n’ont toujours pas su démontrer de façon convaincante qu’ils étaient en mesure d’assurer la sécurité financière des retraités à grande échelle.

Dans les régimes PC, la plupart des risques sont assumés par les participants, comme dans les régimes CD. En revanche, la promesse d’une rente à vie, même si le montant n’est pas garanti, semble faire de ces régimes un compromis acceptable pour les employés.

Les employeurs, à défaut de prendre des risques financiers beaucoup plus élevés que dans un régime CD (la cotisation patronale est fixe), devront pour leur part accepter de s’engager dans une structure de gouvernance plus complexe. Considérant que la sécurité financière à long terme de leurs employés s’en verrait certainement améliorée, le jeu semble en valoir la chandelle.

La vague des compromis atteindra également le terrain syndical. En ce qui concerne les prestations cibles, les deux plus grandes centrales syndicales du Québec semblent plus divisées que jamais. Alors que la CSN se montre favorable à l’arrivée des régimes PC, il en est tout autrement de la FTQ, qui a qualifié le projet de loi de « non- sens ». Mais à y regarder de plus près, les deux positions ne sont peut- être pas si irréconciliables. Autant la FTQ que la CSN insistent sur le fait que la défense des régimes PD demeure leur priorité. Dans le cas où le maintien de tels régimes est impossible, la FTQ privilégie toutefois le régime de retraite par financement salarial (RRFS), alors que la CSN se tournera plus volontiers vers les régimes PC. Différent dans sa mécanique, le RRFS demeure néanmoins très similaire au régime PC pour le participant moyen.

La question se posera d’ailleurs dans de nombreux groupes : prestations cibles ou RRFS ? Encore là, la réponse dépendra de quels compromis sont prêts à faire les participants. Alors que le RRFS offre une plus grande stabilité des prestations aux retraités, le régime PC accorde une valeur plus importante à l’équité intergénérationnelle. Espérons seulement que cette décision sera prise sur la base des besoins des employeurs et des employés, et non seulement en fonction de l’allégeance syndicale.

L’arrivée des régimes PC précipitera- t-elle encore davantage la chute des régimes PD ? Cela demeure une possibilité, mais le déclin des régimes PD ne date pas d’hier. Les employeurs qui offrent encore aujourd’hui un tel régime à l’ensemble de leurs employés y sont probablement profondément attachés, et ce n’est pas l’arrivée des prestations cibles qui risque d’y changer quoi que ce soit.

De la même façon, il est difficile d’imaginer que les promoteurs de régimes CD vont se précipiter vers les régimes PC, tout de même plus complexes à administrer. À plus long terme, toutefois, cette possibilité n’est peut- être pas si farfelue, à l’heure où la pression pour offrir de meilleurs régimes de retraite risque de s’accentuer.

D’ailleurs, il s’agit peut- être là de l’ultime compromis que le gouvernement propose aux employeurs avec les régimes PC. Si le déclin des régimes PD se poursuit au rythme actuel et que le taux moyen de remplacement du revenu offert par les régimes CD ne s’améliore pas grandement, l’État n’aura d’autre choix que d’augmenter la couverture des régimes publics pour éviter une crise de la retraite. Entre une hausse de la cotisation obligatoire au RRQ et la possibilité de modeler un régime PC à la réalité de leur organisation, le choix que feront les employeurs soulève peu de doutes.


• Ce texte a été publié dans l’édition de Novembre-décembre 2020 du magazine d’Avantages.
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