L’investissement responsable a de plus en plus la cote dans les placements des régimes PD. Quelles sont les implications pour la responsabilité fiduciaire?

Selon un récent sondage international de RBC Gestion mondiale d’actifs, une majorité écrasante d’investisseurs institutionnels estiment qu’un portefeuille axé sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) a autant, voire plus de chances de dégager un bon rendement que son équivalent traditionnel. Si l’on pourrait ainsi croire que le débat quant à la pertinence des stratégies d’investissement responsable (IR) semble clos, celles-ci ont tout de même beaucoup évolué, ce qui a eu une incidence sur la perception de la responsabilité du promoteur de régime de retraite en tant que fiduciaire.

« Ce qui a changé, c’est qu’il y a une dizaine d’années, quand on parlait d’investissement responsable, il s’agissait essentiellement d’exclure certains actifs du portefeuille, par exemple le tabac. Cela a pu causer des problèmes du point de vue de la responsabilité fiduciaire chez ces investisseurs qui n’étaient pas à l’aise avec l’exclusion d’une industrie complète », note Christine Girvan, directrice générale, Canada à MFS.

Aujourd’hui, il est souvent question de l’intégration des critères ESG, ajoute-t-elle. « Il y a eu un changement complet alors que les régimes de retraite estiment souvent que l’inclusion de ces critères dans la prise de décision fait partie intégrante du rôle de fiduciaire. »

Il y a également eu cette perception chez certains que l’investissement responsable n’était pas payant, rappelle de son côté Olivier Gamache, président-directeur général au Groupe Investissement Responsable. « Si la question du devoir fiduciaire était interprétée comme un besoin de maximiser les profits pour les participants, et qu’on estime qu’avec une stratégie IR on n’en fait pas, ça cause des réticences », ajoute-t-il. Aujourd’hui, des études sur les rendements associés aux stratégies ESG permettent aux gestionnaires de mettre l’accent sur une gestion prudente du portefeuille dans laquelle l’IR concorde avec le rôle de fiduciaire.

Le plus récent rapport de la Responsible Investment Association vient par ailleurs confirmer cet argument. Parmi les raisons citées par les gestionnaires et investisseurs pour justifier une stratégie d’IR, le fait de s’acquitter de ses responsabilités fiduciaires arrive en quatrième position, derrière la minimisation des risques et la quête de meilleurs rendements au fil du temps, ainsi que le besoin de répondre aux exigences des bénéficiaires. « Il y a cinq ans, les obligations fiduciaires auraient figuré plus bas sur la liste, suggère Christine Girvan. Je pense qu’on est arrivé à comprendre l’intégration des facteurs ESG pour déterminer s’ils sont une source de risque ou de rendement additionnel sur une longue période de temps. »

« L’abondance de données a changé la donne, car elles favorisent des conversations beaucoup plus pointues. »

Christine Girvan, MFS

E et S

Si le modèle ESG a su gagner des adeptes, force est de constater que ses trois critères n’évoluent pas au même rythme. Traditionnellement, les investisseurs ont consacré leurs efforts à comprendre la gouvernance des actifs, car le lien entre la gestion de ces derniers et leur rendement s’avère plus évident. « C’est la partie environnementale et sociale, qui a peut-être été perçue comme une pratique militante, qui était restée moins claire », constate Olivier Gamache.

Du côté de l’environnement, il n’est guère surprenant que, dans un contexte où de plus en plus de citoyens s’intéressent à leur propre impact sur la planète, l’incidence sur les changements climatiques que peut avoir un actif soit devenue une considération majeure pour les investisseurs.

En matière de critères sociaux, Karen Lockridge, conseillère principale en investissement responsable chez Mercer, explique qu’il a souvent été question de diversité et d’inclusion en matière de recrutement et de conseils d’administration.

« On met aussi de plus en plus l’accent sur les droits de l’homme, ce qui peut toucher par exemple aux droits des peuples indigènes et à l’esclavage moderne, dit-elle. La migration forcée, due à une catastrophe naturelle ou à un conflit, met un grand nombre de personnes à risque d’être victimes des réseaux de trafic d’esclaves. »

L’accès aux données a grandement facilité l’intégration des critères ESG aux stratégies. « La divulgation est un élément important, renchérit Mme Lockridge. En particulier pour l’aspect social, les investisseurs ont eu des difficultés en raison de l’absence d’indicateurs pour certains éléments. Il faut que les entreprises [dans lesquelles on investit] expliquent ce qu’elles font, pas seulement leurs chiffres mais également leur plan d’action pour s’assurer du respect des droits de l’homme, par exemple. »

Christine Girvan abonde dans le même sens. « L’abondance de données sur les facteurs ESG a changé la donne, car elles favorisent des conversations beaucoup plus pointues que par le passé, explique-t-elle. Prenons l’exemple d’un possible investissement dans une compagnie brassicole chinoise, qui a besoin de beaucoup d’eau pour faire de la bière. Aujourd’hui, il peut exister des informations quant à cette utilisation, ce qui peut amener à s’interroger [sur l’impact de l’actif] sur la rareté de l’eau dans une région donnée. »

Dans certains cas, les données demeurent un enjeu, tout comme les ressources qu’un gestionnaire est en mesure d’y consacrer. Mais on peut supposer que l’accès deviendra de plus en plus facile grâce, entre autres, à l’intelligence artificielle et aux mégadonnées, qui devraient sensiblement améliorer les rapports disponibles pour les investisseurs.

« On peut avoir de très bonnes politiques à l’interne, mais sans prendre le temps de les communiquer, on n’en tire pas pleinement profit.  »

Olivier Gamache, Groupe Investissement Responsable

Gouvernance interne

Ce qu’on fait avec ces données est bien sûr tout aussi pertinent. « Le besoin de modifier les politiques de placement constitue un élément important pour les régimes de retraite, note Christine Girvan. Celles-ci doivent refléter la volonté d’adopter ces facteurs de risque et définir ce qu’on entend par l’intégration des facteurs ESG. Cela aura une incidence sur la gestion d’actif et les politiques touchant l’exercice des droits de vote. Mais elle doit aussi offrir un cadre de référence pour l’évaluation et le suivi des gestionnaires externes. »

Un meilleur alignement de la responsabilité fiduciaire avec l’investissement responsable passe probablement par une certaine évolution du cadre législatif, note Olivier Gamache, pour réviser la définition de celle-ci avec peut-être une mention spécifique aux critères ESG. Il importe également d’inclure les participants dans ce processus, car certaines prises de position pourraient nécessiter un mandat clair. « On peut avoir de très bonnes politiques à l’interne, mais sans prendre le temps de les communiquer, on n’en tire pas pleinement profit », note-t-il.

Tout porte à croire que l’investissement responsable, spécifiquement à travers l’adoption de critères ESG, sera de plus en plus considéré comme un élément non négligeable de la responsabilité fiduciaire des caisses de retraite. Il conviendra alors de définir sa propre stratégie d’adoption.

LE VERT EST LE NOUVEAU NOIR?

• 38 % des investisseurs institutionnels dans le monde estiment qu’une stratégie ­ESG permet de générer de l’alpha.

• 60 % des investisseurs institutionnels intègrent les critères ­ESG à leurs portefeuilles de titres à revenu fixe ; 43 % à leurs placements immobiliers, 36 % aux infrastructures et 34 % aux placements non traditionnels.

• 75 % des investisseurs procédant à une présélection négative excluent les sociétés qui sont associées aux munitions en grappe et aux mines terrestres ; 66 % excluent les armes en général, 60 %, le tabac, et 42 %, les combustibles fossiles. Au ­Canada, l’exclusion des combustibles fossiles se limite à 23 % des investisseurs.

Source : ­RBC ­Gestion mondiale d’actifs


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2018 du magazine d’Avantages.
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