Le manque de progrès en matière d’objectifs climatiques entraîne un fossé entre ce qui est scientifiquement nécessaire pour atteindre la carboneutralité et ce qui est politiquement réalisable. En l’absence de changements politiques, l’effet combiné du changement climatique et de la perte de biodiversité menace nos écosystèmes financiers et la valeur des portefeuilles de régimes de retraite à long terme.

Comment mitiger ces risques sans nuire aux rendements des portefeuilles ? L’analyse des plus récentes conclusions en matière de recherche sur la décarbonation des portefeuilles nous invite à penser que plusieurs leviers sont à notre portée.

L’éternel débat sur le devoir fiduciaire des gestionnaires de portefeuille a été exacerbé par la performance généralement décevante des fonds ESG en 2022. Évidemment, une ­sous-performance à court terme due à la cyclicité des marchés ne devrait pas remettre en question la nécessité de gérer les risques climatiques et leur incidence sur la performance. Maintenir le cap sur la réconciliation des objectifs climatiques et des objectifs de placement est un levier ambitieux, mais essentiel.

Encore ­faut-il traduire cette ambition en une répartition du capital qui intègre la gestion du risque climatique. Les cibles de zéro émission nette d’ici 2040 ou 2050 sont devenues monnaie courante chez plusieurs émetteurs et gestionnaires d’actifs. Sans cibles intermédiaires pour jalonner le parcours des gestionnaires dans cette transition, elles s’annoncent difficiles à atteindre.

Plusieurs leviers sont possibles pour modérer le risque climatique : de la gestion des émissions de ­GES financées à l’engagement actionnarial, en passant par l’ajout de placements « verts » et l’exclusion des industries dont il est impossible d’améliorer le bilan carbone. Ces approches s’équivalent pour autant qu’elles soient pertinentes pour la stratégie, encadrées par un processus et qu’elles s’appuient sur des données fiables mesurables. Tous les leviers ne sont pas égaux, surtout dans un contexte où le spectre de l’écoblanchiment plane toujours.

Une approche exhaustive et cohérente permet à la fois de réduire le risque de ­sous-performance relative à court terme, de se prémunir contre les conséquences de la transition énergétique et de saisir les occasions qu’elle engendrera.

Au cours des dernières années, ­Desjardins et le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) ont collaboré dans le cadre de deux études visant à évaluer les répercussions liées à l’adoption d’objectifs de réduction d’empreinte carbone sur les caractéristiques risque rendement des portefeuilles. Ces recherches visaient à évaluer la possibilité d’atteindre des cibles de réduction d’émissions sans compromettre la performance financière des portefeuilles d’actions et d’obligations de sociétés. La plus récente étude a mené à deux conclusions importantes :

1) Il est possible de gérer la complexité de l’horizon à long terme des cibles zéro émission nette en établissant des cibles intermédiaires alignées sur la science.
L’étude du ­CIRANO a révélé qu’il est faisable d’atteindre une réduction notable de l’empreinte carbone selon des cibles intermédiaires d’ici 2025 et 2030 sans nuire aux caractéristiques ­risque-rendement du portefeuille. La distribution des émissions de GES des émetteurs permet de gérer les émissions financées du portefeuille sans trop contraindre le gestionnaire dans sa construction de portefeuille. En évitant ou ­sous-pondérant les pires joueurs, il peut réduire considérablement les émissions financées du portefeuille et s’aligner sur les objectifs de l’Accord de ­Paris.

2) Au-delà de 2030, les cibles zéro émission nette deviennent une responsabilité partagée entre les gestionnaires et les émetteurs.
La recherche portant sur cet horizon a nécessité une méthode de simulation séquentielle, puisqu’il était impossible d’établir individuellement le parcours climatique de milliers d’émetteurs. Deux paramètres ont été simulés : les ambitions de réduction des émetteurs et la probabilité d’atteindre ces cibles. Des parcours (succès/échec) ont été tracés et répétés des milliers de fois pour évaluer le pourcentage de simulations pour lesquelles il était possible d’atteindre les cibles de décarbonation d’un portefeuille sans nuire à son rendement. Les simulations ont rapidement révélé que la contribution des émetteurs par le biais de cibles ambitieuses était nécessaire, confirmant l’importance des activités d’engagement actionnarial pour amener les entreprises à fixer des objectifs ambitieux, fondés sur la science.

En résumé, une décarbonation de portefeuille réussie dépend de l’adoption concertée d’ambitions fortes à long terme et passe par des cibles intermédiaires. Et le dialogue avec les émetteurs doit continuer de faire partie des leviers utilisés par les gestionnaires de portefeuille pour espérer atteindre les cibles zéro émission nette à long terme, tout en maintenant les mêmes paramètres de risque et de performance.


• Ce texte a été publié dans l’édition de septembre 2023 du magazine Avantages.
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