Malgré les nombreux faits jouant contre elle, la gestion active n’est pas moribonde. Ce qui ne l’empêche pas d’être sous la pression de constamment réaffirmer sa légitimité dans cet environnement de faibles frais de gestion.

2017 serait-elle l’année de la gestion active? C’est du moins l’une des conclusions d’un sondage mondial de Natixis Global Asset Management publié en décembre dernier. Dans l’étude précédente, en 2015, les répondants prévoyaient investir 43 % des actifs de façon passive. Or, 73 % des 500 investisseurs institutionnels participant au dernier sondage estiment que le contexte actuel favorise la gestion active, tandis que 78 % seraient prêts à payer une prime pour la possibilité d’un rendement supérieur.

Un engouement qui surprend Roland Lescure. Le premier vice-président et chef des placements à la Caisse de dépôt et placement du Québec est loin d’y voir une gestion active retrouvant ses lettres de noblesse. « Peut-être qu’une plus grande discrimination [en faveur de la gestion active] commence à se faire après sept années de croissance dans les marchés boursiers, mais il n’en demeure pas moins que les faits jouent contre elle. » Il reprend ces données du Financial Times voulant que plus de 90 % des gestionnaires réussissent moins bien que l’indice S&P 500.

Le Mouvement d’éducation et de défense des actionnaires (MÉDAC) a calculé, l’an dernier, que les fonds d’investissement parvenaient difficilement à faire mieux que leur indice de référence – pire, à justifier leurs frais de gestion – tant pour les actions canadiennes, américaines et internationales que pour les fonds de revenu fixe et les dividendes. La gestion active tirait cependant très bien son épingle du jeu dans le segment des actions à petite capitalisation.

Bill McNabb, président du conseil et chef de la direction de Vanguard, rappelait, en janvier dernier sur le site web de l’institution, qu’au cours de la période de 10 ans terminée le 31 décembre 2015 82 % des fonds d’actions et 81 % des fonds d’obligations américains faisant l’objet d’une gestion active ont été soit devancés par leurs indices de référence, soit fermés.

Le dirigeant du gestionnaire de fonds d’investissement et de fonds négociés en Bourse écrivait : « Les coûts élevés, qui limitent la capacité du gestionnaire à offrir à ses clients des rendements supérieurs à ceux de l’indice de référence, constituent la principale raison pour laquelle les fonds gérés activement ont accusé un retard. À l’échelle du secteur, au 31 décembre 2015, le ratio des frais moyens de l’ensemble des fonds d’actions américains gérés activement était de 1,14 %, tandis qu’il s’établissait à 0,76 % pour les fonds d’actions indiciels. L’avantage en matière de frais est encore plus important en ce qui a trait aux obligations; le ratio moyen des frais pour les fonds d’obligations américains gérés activement était de 0,93 %, par rapport à 0,43 % pour les fonds d’obligations indiciels.»

Bill McNabb d’insister : « La gestion active à coûts élevés a sombré […] Elle n’a jamais été une stratégie gagnante pour les investisseurs. En revanche, les fonds gérés activement à faibles coûts peuvent jouer un rôle important auprès des investisseurs qui cherchent à surpasser le marché.» À ses yeux, « les stratégies actives traditionnelles ont encore leur place si elles sont diversifiées, assorties de faibles coûts, appliquées de façon extrêmement rigoureuse et mises en œuvre par des gestionnaires de talent axés sur le long terme ».

« Courtermisme »

« Avec le courtermisme des investisseurs et des clients, il est très difficile de générer du rendement. Ça devient de la loterie et un jeu de fléchettes », relance Roland Lescure. Cela dit, « je crois fondamentalement à la gestion active », une gestion active qui va transcender « le bruit du court terme du marché. Notre credo : la meilleure façon de battre les indices, c’est de les oublier.»

À la Caisse de dépôt, « on donne dans la gestion absolue avec, pour vecteur, le facteur « qualité ». On ne fait pas le jeu de la sur- ou sous-pondération et cela a payé.» La Caisse pourrait pencher légèrement cette année vers le type valeur, qui se veut plus sensible au prix des éléments d’actif et à la présence d’une valeur sous-jacente. Quant à l’indiciel, « on s’en sert de manière ponctuelle, comme un poste de liquidités, notamment lorsque nous rééquilibrons nos portefeuilles », précise Roland Lescure.

« Indice moins »

À Addenda Capital, on est plus catégorique. Avec la gestion passive, c’est « l’indice moins », les frais de gestion étant toujours positifs. En gestion active, c’est le potentiel d’aller chercher l’alpha, au-delà des frais, souligne-t-on au cabinet, qui fait de la gestion guidée par le passif une de ses spécialités. Question de donner un ordre de grandeur, c’est obtenir une valeur ajoutée de 10 % dans les petites capitalisations, de 5 à 10 % dans les actions canadiennes ou encore de 25 à 50 points de base dans les obligations, souligne le cabinet. « Dans les obligations, nous pouvons parfois apporter de trois à cinq fois les frais de gestion. En actions, l’alpha potentiel peut très bien être de 150 à 200 points de base, davantage dans les petites capitalisations », illustre Jean-François Pépin, premier vice-président et co-chef de l’investissement à Addenda.

Son collègue Christian Robert, vice-président, solutions d’investissement et investissement guidé par le passif, donne l’exemple d’un gestionnaire obligataire médian qui, l’an dernier, a généré 15 points de plus. « Et l’on parle ici d’une médiane. À l’exception de l’indice S&P 500, plutôt difficile à battre et dont le coût de la gestion passive est peu élevé, nous pensons qu’il est possible d’apporter de la valeur ajoutée dans toutes les catégories d’actif.» Et ce, davantage sur un horizon à long terme.

Benoît Durocher, vice-président directeur et chef stratège économique d’Addenda, ajoute qu’un indice va rarement dupliquer les paramètres du portefeuille et les particularités du passif. «La gestion active offre au gestionnaire la possibilité de se distinguer selon la pondération, le degré de risque voulu et l’horizon de temps. Et quand les marchés vont moins bien, qu’il y a correction ou forte volatilité, le jugement a de l’influence.»

Jean-Pierre Talon, membre du partenariat au cabinet Mercer, évoque également cet avantage dans un marché baissier. « Le gestionnaire actif protège mieux, il fait une perte moindre. À l’inverse, il évite les bulles. Donc il rate la dernière phase du marché haussier.» Et il insiste sur l’horizon de placement. « Malheureusement, le court terme a préséance. Avant, on regardait le rendement sur une base annuelle. Cette base est devenue trimestrielle, puis au mois, voire au quotidien. Chercher à battre l’indice chaque année est source de déception. Il faut au moins couvrir un cycle économique », dit M. Talon.

Roland Lescure acquiesce. « La gestion active génère de la valeur à long terme et améliore le rapport rendement/risque. Si le marché connaît des revers, elle peut limiter les dégâts, voire saisir les occasions qui se présentent, même si, à l’inverse, elle va probablement traîner de la patte dans un marché fortement haussier.» À la Caisse de dépôt, cette approche s’insère au sein d’un processus d’investissement rigoureux. « Nous gérons ainsi les émotions et les effets de mode. Avec ce processus, nous ne sommes pas dans une logique d’un gestionnaire seul, à l’opposé du gestionnaire vedette.»

La recette

Pour Roland Lescure, un marché non liquide est « l’alpha par excellence ». Il pense aux placements privés, aux infrastructures et à l’immobilier. « En Bourse, il n’y a pas de terrain interdit pour la gestion active, mais la valeur ajoutée est plus difficile à obtenir dans les grands marchés d’actions et d’obligations.» Sur les marchés émergents, la Caisse obtient une contribution supérieure à l’indice de référence en jouant la carte de la proximité, de la présence et de la connaissance du milieu. Comme elle le fait au Québec.

Il n’y a donc pas de pourcentage optimal de l’actif à consacrer à l’une ou l’autre des approches. « Il faut procéder par catégorie d’actif.» Jean-Pierre Talon estime aussi qu’il est difficile d’ajouter de la valeur après frais dans la catégorie des grandes capitalisations – terre fertile pour l’indiciel –, dans les obligations d’entreprise et les obligations gouvernementales, alors que les marchés émergents et de petite capitalisation s’y prêtent mieux. Le spécialiste de Mercer croit également que la contribution peut être positive sur le marché des actions canadiennes.

Mais est-ce à la portée de toutes les caisses de retraite ? « Il n’est pas facile d’investir dans le talent, dans la recherche, et le gestionnaire doit comprendre son avantage comparatif, répond Roland Lescure. Nous, à la Caisse de dépôt, avons l’avantage du temps et de la taille.» Cela étant, les régimes plus modestes ne sont pas condamnés à faire une croix sur la gestion active pour autant. « Les joueurs plus petits doivent souvent se reposer sur des gestionnaires externes ou sur un style de gestion particulier. C’est on ne peut plus pertinent, dans la mesure où l’on s’éloigne du court terme.»

Jean-Pierre Talon pose des jalons. Une caisse ayant 200 millions et plus d’actif peut envisager de se doter d’une structure de gestion spécialisée. Les plus petites vont s’en remettre à un gestionnaire, qui ne peut être bon dans tout. Et il faut consacrer du temps de gouvernance pour assurer un suivi du gestionnaire, ce qui n’en vaut pas nécessairement la peine. « On en revient toujours à la justification des frais de gestion versés », conclut-il.