L’orsqu’une société comme Volkswagen vante les faibles émissions de ses voitures tout en y installant des dispositifs conçus pour contourner les tests antipollution, elle n’induit pas seulement en erreur ses clients sur les produits qu’elle vend, mais elle trompe aussi ses actionnaires sur les réels efforts mis en œuvre pour améliorer ses pratiques ESG.

Le scandale de Volkswagen a été révélé au grand jour il y a déjà plus de six ans, mais la crainte pour les investisseurs d’être victimes d’écoblanchiment (greenwashing) n’a pas disparu, bien au contraire. Près de 60 % des investisseurs institutionnels à l’échelle mondiale identifient en effet l’écoblanchiment comme leur principale préoccupation en matière d’intégration des critères ESG, selon un sondage de Schroders publié en juillet dernier.

À la fin de 2020, on évaluait à 3 200 milliards de dollars l’actif géré selon des critères ­ESG au Canada, en croissance de 48 % sur deux ans. Cette popularité grandissante pour les investissements plus responsables est évidemment une excellente nouvelle, mais le revers de la médaille, c’est qu’elle exacerbe les risques d’écoblanchiment.

L’enjeu était d’ailleurs au centre des discussions lors du premier ­Sommet de la finance durable organisé par ­Finance ­Montréal en octobre. Tout le monde s’entendait pour dire que les investisseurs ont besoin de davantage de renseignements crédibles, cohérents et comparables pour être en mesure de réellement construire des portefeuilles environnementalement et socialement responsables.

Pour l’heure, il est extrêmement difficile pour les détenteurs d’actifs de départager le vrai du faux tellement il existe de fournisseurs d’évaluations ESG différents, qui utilisent leurs propres critères et standards de divulgation. Ainsi, ­Facebook se classe au premier rang des entreprises analysées quant au facteur environnemental selon ­Sustainalytics, alors qu’elle n’apparaît qu’au 96e rang dans le classement de ­MSCI, rapporte l’étude ­Divergent ­ESG ­Ratings publiée dans le ­Journal of ­Portfolio Management. Les auteurs expliquent que ­Sustainalytics compare les entreprises à de vastes indices de marché, tandis que ­MSCI les compare plutôt avec d’autres du même secteur. Bref, un ­casse-tête pour les investisseurs.

La solution semble donc résider dans des normes de divulgation standardisées à l’échelle mondiale, et l’annonce récente de la création de l’International Sustainability ­Standards ­Board (ISSB) est sans conteste l’une des plus grandes avancées jamais réalisées en la matière. Mise sur pied par l’International Financial ­Reporting Standards Foundation, instance qui élabore les normes comptables internationales depuis 2001, la nouvelle entité aura pour mission d’établir des normes mondiales régissant la divulgation par les entreprises des informations de nature ­ESG. Montréal a d’ailleurs été choisie pour accueillir les bureaux nord-américains de l’organisme, une bonne nouvelle pour l’industrie financière d’ici.

Mais l’adhésion de tous à une norme mondiale demeure incertaine, alors que la ­Securities and Exchange ­Commission semble déterminée à créer son propre cadre réglementaire pour les ­États-Unis. Considérant le poids du marché boursier américain à l’échelle mondiale, le refus de nos voisins du Sud d’adhérer à l’ISSB serait un revers majeur pour le secteur de l’investissement ­ESG. Espérons que la pression mondiale fera entendre raison aux autorités américaines.

Quoi qu’il en soit, une standardisation des normes de divulgation ­ESG pourrait paver la voie à une éventuelle obligation de divulgation pour les sociétés émettrices. L’Union européenne mène d’ailleurs des travaux à ce sujet en ce moment même. La Nouvelle-Zélande, pour sa part, mettra en œuvre en 2023 le cadre réglementaire proposé par le ­Taskforce on ­Climate-related ­Financial Disclosures, ce qui obligera les entreprises inscrites en ­Bourse à fournir des explications si elles ne rendent pas publics leurs politiques et risques en matière climatique. Le Royaume-Uni devrait en faire de même dès 2025.

Le ­Canada aurait lui aussi intérêt à emboîter le pas, surtout s’il veut se positionner comme un leader mondial de l’investissement responsable en accueillant l’un des principaux bureaux de l’ISSB. Car pour l’instant, le pays accuse plusieurs années de retard sur ­l’Europe. Le fondateur de Sustainalytics, Michael ­Jantzi, déplorait d’ailleurs lors d’un panel organisé par ­Morningstar l’automne dernier que plus de 80 % des sociétés minières canadiennes n’effectuent aucune divulgation, que ce soit sur le plan environnemental ou quant aux répercussions de leurs activités sur les droits fonciers ou les relations avec les communautés autochtones et locales.

Chez les gestionnaires d’actifs européens, qui sont tenus de dévoiler la façon dont ils intègrent les considérations ­ESG dans leurs décisions d’investissement, l’instauration d’un cadre réglementaire strict semble avoir fait ses preuves. Pas moins de 80 % des investisseurs institutionnels européens déclarent intégrer les risques climatiques à leur politique de placement, comparativement à seulement 31 % au ­Canada et 20 % aux ­États-Unis, selon un récent sondage de ­RBC ­Gestion mondiale d’actifs.

Comme quoi la coercition a parfois du bon.


• Ce texte a été publié dans l’édition de novembre 2021 du magazine Avantages.
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