La principale difficulté lorsqu’on investit dans les pays émergents réside dans le fait que ce secteur obéit à des règles très différentes selon le niveau de maturité d’un pays, son rythme de développement économique, ses principales industries, son régime politique et son contexte réglementaire. Évidemment, ces particularités se reflètent directement dans l’analyse des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).
D’un point de vue environnemental, les pays émergents présentent des profils de pollution extrêmement variés selon leur population, le niveau d’industrialisation et la volonté politique d’appliquer ou non des règles contraignantes pour les entreprises polluantes.
Du côté social, les règles ne peuvent évidemment être les mêmes dans un pays où on observe des situations de pauvreté extrême (Inde, Indonésie, Pérou, Afrique du Sud) et dans des pays intermédiaires ou riches comme la Russie ou la Corée.
En matière de gouvernance, on observe une plus grande similitude avec les pays développés, probablement grâce au développement de normes comptables et aux nombreuses doubles cotations en Bourse ( Moscou-Londres, Hong-Kong– NASDAQ ). Il n’en demeure pas moins que plusieurs pays émergents présentent une plus grande opacité et une corruption généralisée.
Pour toutes ces raisons, la nécessité d’adopter une politique ESG spécifique aux marchés émergents semble indéniable.
Faut-il se méfier des données ESG
Avec le temps, la quantité – et dans une certaine mesure, la qualité – des données ESG liées aux marchés émergents se sont améliorées. Mais nous sommes encore loin du niveau atteint pour les pays développés.
S’il faut se méfier des statistiques officielles de PIB ou d’inflation d’un pays émergent, peut-on se fier aux données ESG disponibles pour les entreprises de ce pays, sachant qu’une partie est difficile à vérifier et à estimer même pour les firmes de recherche spécialisées ? Lors de nos rencontres avec des sociétés de différents pays, nous avons été surpris de constater que des cotes ESG assez bonnes étaient souvent données à des entreprises qui avaient mauvaise réputation localement (à juste titre), mais qui avaient déployé des efforts de communication importants. A contrario, nous avons rencontré des sociétés ayant des scores médiocres qu’elles ne méritaient peut-être pas.
Dans les pays où le volet ESG est peu développé, il est nécessaire d’interagir avec ces sociétés pour leur faire comprendre ce que les investisseurs attendent.
L’art de choisir ses batailles
Au-delà d’intégrer des données comme les cotes de risque ESG de certains grands fournisseurs, il est indispensable pour un gestionnaire de définir ses objectifs. Certains objectifs peuvent être quantifiés (exemple : réduire l’empreinte carbone) alors que certaines décisions peuvent être binaires (exemple : éliminer des industries). S’il peut être louable de désinvestir dans quelques petits segments de marché comme le tabac, le charbon ou les armes controversées, l’élimination de secteurs ayant un poids plus important dans l’économie, comme la production de pétrole, pose certains enjeux. En effet, la plupart des investisseurs institutionnels mesurent encore la performance de leur gestionnaire par rapport à un indice de référence. La plupart des gestionnaires préféreront donc gérer activement les risques ESG associés aux énergies fossiles plutôt que d’éliminer complètement une industrie ayant un poids notable dans leur univers.
Quoi qu’il en soit, il est tout aussi possible de prendre en compte les critères ESG dans le cadre d’un processus basé sur la sélection de titres (bottom-up) que dans un orienté vers des décisions macroéconomiques, comme la sélection de pays et de secteurs (top-down). Lorsqu’un gestionnaire top-down investit dans un secteur risqué en termes de facteurs ESG, il peut diminuer son exposition maximale à certains secteurs par rapport à d’autres au cours d’un cycle d’investissement.
En somme, l’intégration des facteurs ESG dans un portefeuille d’actions de marchés émergents doit surtout prendre en compte la réalité de ces pays, bien que sans complaisance et sans naïveté. Une façon particulièrement efficace d’évaluer un gestionnaire consiste à vérifier si son approche ESG repose sur des bases solides :
- une philosophie et des objectifs clairs ;
- un processus simple et défini, suivi avec discipline ;
- une communication transparente des résultats (quantitatifs) et des enjeux sur lesquels il se penche plus particulièrement (qualitatifs).
Les réponses à ces questions permettront de déterminer si un gestionnaire intègre les facteurs ESG par réelle conviction ou pour des motifs commerciaux ; un point de validation incontournable en ces temps de greenwashing.
Jean-Christophe Lermusiaux est gestionnaire de portefeuille, marchés émergents à Hexavest
• Ce texte a été publié dans l’édition de Novembre-décembre 2020 du magazine Avantages. Vous pouvez également consulter l’ensemble du numéro sur notre site Web.