Vingt-deux pour cent des Québécois souffrent aujourd’hui d’obésité. Une situation qui se traduit dans l’entreprise par une perte de productivité et une augmentation du coût des primes d’assurances collectives. Assez pour que de plus en plus d’employeurs se penchent sur le problème.

Jean-François Beauchamp est kinésiologue. Il y a quatre ans, il a fondé Kin-Option, une entreprise qui s’est donné pour mission d’améliorer la qualité de vie des employés par l’implantation de programmes d’activité physique sur les lieux de travail.

« Nous intervenons aussi bien dans des grandes que dans des moyennes et petites entreprises, note-t-il. La vaste majorité des emplois requièrent aujourd’hui peu d’activité physique, les employés étant de plus en plus souvent assis derrière leurs écrans. Il faut trouver des moyens de les faire bouger, car cette sédentarisation a un impact, tant sur la santé et la qualité de vie des gens que sur la productivité et les finances de l’entreprise. »

« La sédentarisation a un impact, tant sur la santé et la qualité de vie des gens que sur la productivité et les finances de l’entreprise. »

Jean-François Beauchamp, Kin-Option

Environnements obésogènes

Une étude de 2015 publiée par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) rapporte en effet que 22 % des Québécois souffrent d’obésité et 35 % d’embonpoint. En cause, la sédentarisation des postes de travail, donc, mais aussi et surtout la multiplication des environnements obésogènes : étalement urbain et généralisation de la deuxième voiture, prolifération des restaurants-minute et des machines distributrices de malbouffe, augmentation du temps de loisir sur écran, etc.

« Les personnes en surpoids s’absentent en moyenne 1,5 fois plus souvent que les personnes présentant un poids santé et elles consomment 40 % plus de médicaments, indique le Dr Mario Messier, directeur scientifique du Groupe entreprises en santé. Elles développent plus de maladies. Elles n’ont pas une très bonne image d’elles-mêmes et sont souvent stigmatisées, d’où un terrain dépressif plus fertile que la moyenne. Tout cela a des répercussions sur la productivité de l’entreprise, ainsi que sur le coût des assurances collectives et de l’assurance médicament. »

Selon Santé Canada, être en surpoids ou obèse constitue en effet l’un des principaux facteurs de risque évitables pour de nombreuses maladies chroniques telles que l’arthrose, le diabète de type 2, les maladies cardiaques, l’hypertension et même certains cancers. Un mode de vie sain, incluant l’activité physique, une saine alimentation et un sommeil récupérateur, est le meilleur moyen de prévention et favorise le poids santé.

De son côté, l’INSPQ affirme que les employés qui s’alimentent sainement ont plus d’énergie, un meilleur système immunitaire et une plus grande concentration. Ils sont moins à risque de contracter un virus et de se blesser. Ce faisant, les taux d’absentéisme et de présentéisme diminuent. L’Institut a calculé que l’obésité coûte trois milliards de dollars par année au Québec, principalement en soins de santé. Des coûts qui sont en partie assumés par les entreprises, via leurs régimes d’assurance collective.

« Il y a 20 ou 30 ans, l’entreprise considérait que la santé des employés, ce n’était pas son affaire mais celle de l’État et des personnes elles-mêmes, souligne le Dr Messier. Aujourd’hui, la littérature scientifique démontre que le surpoids influe économiquement sur les compagnies. Elles commencent donc à s’en préoccuper. »

Prévenir plutôt que guérir

Il ajoute que, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, et alors que la jeune génération d’employés voit comme une priorité le fait d’évoluer dans un milieu et un climat de travail sains, mettre en place des campagnes de promotion de la santé devient une bonne solution d’affaires. Il précise par ailleurs qu’en matière d’obésité, mieux vaut prévenir, car il est très difficile de guérir. « La plupart des gens essaient par périodes de perdre du poids, admet-il, et à court terme, ils peuvent réussir à se départir de quelques livres. Mais dans la grande majorité des cas, ils vont les reprendre dans les mois, les années qui suivent. Nous sommes dans une société obésogène. L’épidémie d’obésité est causée par divers facteurs culturels et environnementaux. Il est extrêmement difficile d’aider les employés à perdre du poids. »

D’où la nécessité pour l’entreprise d’agir en amont, avant même que l’épidémie ne se déclare à l’intérieur de ses murs. Les Kin-Option et autres l’ont bien compris et elles sont de plus en plus nombreuses à offrir des programmes clé en main pour amener les employés à bouger plus, mieux se nourrir et réduire leur niveau de stress pour favoriser un meilleur sommeil, trois bons moyens de lutter contre l’obésité lorsque celle-ci n’est pas héréditaire.

« Il existe plusieurs facteurs de stress au travail, indique Maude Sicotte, conseillère chez Lambert Ressources humaines. L’environnement dans lequel les tâches sont exécutées, les horaires, les nouvelles technologies, la surcharge de travail, l’ambiguïté des rôles de chacun, les relations avec les collègues ou les supérieurs, le besoin du sentiment d’appartenance ou encore les effets du travail sur la vie personnelle… il faut trouver les sources et agir en conséquence. »

« L’épidémie d’obésité est causée par divers facteurs culturels et environnementaux. Il est extrêmement difficile d’aider les employés à perdre du poids. »

Dr Mario Messier, Groupe entreprises en santé

Faire évoluer les habitudes

Dans l’optique de faire bouger les employés, Mme Sicotte propose que les cages d’escalier soient au moins aussi bien indiquées que la présence d’ascenseurs. Installer des supports à vélo et rendre accessibles des douches peut également encourager à utiliser un mode de transport actif pour rejoindre le lieu de travail. Favoriser des horaires flexibles va par ailleurs inciter les employés à prendre le temps de pratiquer une activité physique.

Enfin, rendre disponibles un four et un réfrigérateur incite les employés à réchauffer un lunch plutôt qu’à manger sur le pouce en restauration rapide. Offrir un choix santé dans les machines distributrices les pousse à favoriser des aliments sains et nutritifs. Mettre à disposition des fruits et légumes peut également avoir pour conséquence de modifier les habitudes alimentaires à plus long terme.

Pour parvenir à mettre en place ces programmes, les entreprises les plus grandes se font généralement assister, par les assureurs notamment. La Financière Sun Life indique par exemple s’être engagée depuis plusieurs années à aider ses clients à améliorer la santé et le mieux-être de leurs employés.

« Au-delà des assurances collectives donnant accès à des soins par des spécialistes et qui couvrent une portion du coût d’achat de certains médicaments, explique Mylène Bélanger, conseillère principale en relations publiques à la Financière Sun Life, les employeurs peuvent également offrir des activités physiques ou de détente, des séminaires sur la nutrition, le sommeil, la gestion du stress, ou même s’assurer d’offrir des produits santé à la cafétéria et dans les aires communes de travail. »

EN ROUTE VERS LE SUCCÈS

Mettre en place un programme de santé au travail pour prévenir le surpoids de ses employés, c’est bien. Y faire adhérer la majorité d’entre eux, c’est encore mieux. Pour y parvenir, il faut veiller à :

  • Obtenir l’engagement de la direction ;
  • Former un comité santé et mieux-être ;
  • Identifier les besoins et préférences des employés ;
  • Offrir une conférence pour inciter les employés à adopter un mode de vie sain et équilibré, et les outiller à cet effet ;
  • Proposer des activités sur une longue période pour augmenter le taux de participation ;
  • Prévoir des défis comme l’inscription à une course locale ou l’atteinte d’objectifs nutritionnels ;
  • Célébrer le chemin parcouru par les participants.

Être à l’écoute des employés

Du côté de La Capitale aussi, on tente de conscientiser les employeurs.

« Nos assurances couvrent les médicaments liés à l’obésité dès lors qu’ils sont reconnus par la RAMQ, note Richard Fecteau, vice-président à l’actuariat et au marketing. Elles remboursent également les médicaments pour les maladies du cœur et ceux contre le diabète, qui sont très chers. Résultat : le coût des assurances collectives augmente bien plus vite que la progression des salaires. Il est de l’intérêt des employeurs comme des employés de contrôler leurs régimes collectifs. L’adoption de modes de vie sains au travail est une des solutions et nous sommes de plus en plus sollicités sur ce dossier. »

Un constat que partage Suzanne Paiement, conseillère en régime d’assurance collective chez Normandin Beaudry. La firme de conseil met elle aussi la santé des employés au centre des services qu’elle prodigue à ses clients.

« Lorsque vient le temps de renégocier le régime d’assurance collective d’une organisation, explique Mme Paiement, nous faisons le bilan de ce qui a bien fonctionné, ou non, dans les dernières années.

Nous ciblons notamment les zones où les coûts ont particulièrement augmenté. Si l’assurance médica-ments est en cause, nous allons plus loin. Nous nous rendons dans l’entreprise pour évaluer avec quel type de maladie les employés sont aux prises. Par exemple, si nous constatons que plusieurs employés sont en surpoids, nous incitons nos clients à intervenir. »

Selon la capacité de l’entreprise, Normandin Beaudry suggère que les employeurs adhèrent à des programmes mis en place par leur assureur ou qu’ils se tournent de manière plus ponctuelle vers des associations, des OBNL, des fondations ou des entreprises proposant des activités ou des défis.

« Les défis sont d’ailleurs très à la mode, souligne Suzanne Paiement. Défis 10 000 pas par jour, Grand défi Pierre Lavoie, etc. Mais on peut aussi inviter un nutritionniste à venir parler de la boite à lunch équilibrée ou du Guide alimentaire canadien. Ou encore un spécialiste du sommeil pour s’assurer que tout le monde récupère bien. »

Quoi qu’il en soit, tous affirment que, pour que les programmes soient efficients, il faut non seulement que la direction s’investisse dans le dossier, mais aussi que l’on s’enquière des besoins et des envies des employés.

« Une mère monoparentale avec trois enfants, je ne vais pas l’entraîner pour le marathon, conclut Jean-François Beauchamp. En revanche, si elle peut s’entraîner sur l’heure du midi, parce que son employeur a rendu son horaire plus flexible et qu’elle a la possibilité de prendre une douche, quand elle rentre chez elle le soir, c’est toujours ça de moins à caser. Il faut s’adapter, car l’entreprise ne peut forcer personne. Si les employés n’ont pas le goût pour ça, il n’y a rien qui les oblige contractuellement à aller courir dehors en plein hiver! »

DONNÉES ET STATISTIQUES

  • Près de six Québécois sur dix présentent un excès de poids (35 % souffrent d’embonpoint et 22 % d’obésité).
  • 600 000 Québécois souffrent de diabète de type 2, soit 7,7 % de la population.
  • Seulement 20 % des emplois au Québec requièrent un niveau d’activité physique au moins modéré, contre 46 % en 1961.
  • Un employé physiquement actif est 12 % plus productif qu’un employé inactif.
  • Mal s’alimenter réduit de 20 % la productivité.
  • 30 minutes de marche ou 15 minutes de jogging suffisent pour réduire le stress.

Sources : Santé Canada, INSPQ, Bureau international du travail, UK Health and Safety Executive (BBC).


• Ce texte a été publié dans l’édition de décembre 2018 du magazine d’Avantages.
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