Naviguer dans les eaux troubles de l’incertitude, des contradictions et du besoin pour les régimes de s’adapter et d’évoluer.

Le décaissement des fonds d’un régime de capitalisation constitue une source importante d’inquiétude pour les promoteurs, selon le dernier sondage auprès des participants de régimes à cotisation déterminée (CD) et régimes enregistrés d’­épargne-retraite (REER) collectifs réalisé par ­Avantages et ­Benefits ­Canada.

En effet, 61 % des employeurs touchés affirment être susceptibles d’offrir le décaissement à même le régime de retraite si la loi le permettait ; 36 % seraient en outre très susceptibles d’adopter une telle approche.

« ­Mais au ­Canada, très peu de régimes ont des solutions de décaissement à même le régime de retraite », affirme ­Karen ­Burnett, conseillère principale chez ­Willis ­Towers ­Watson.

Les experts invités à notre table ronde pour analyser les résultats du sondage 2017 ont d’ailleurs observé qu’il n’était pas si facile de permettre aux participants de maintenir leurs actifs dans le régime. « ­Les fournisseurs comptent sur le fait que cet ­argent-là finira dans leurs propres solutions de décaissement, dit ­Mme ­Burnett. Ainsi, les prix par rapport à la phase d’accumulation sont basés sur la notion qu’ils recevront cet argent par la suite. »

Auparavant, l’Université ­Western offrait un fond de revenus de retraite aux participants pendant les 15 premières années suivant la fin du travail, note ­Cara ­Bourdeau, conseillère principale, ressources humaines à l’université. « ­Nous avions constaté qu’ils quittaient le régime et leur épargne s’effondrait sur le marché du détail. »

Or, après avoir observé des améliorations dans le marché de détail, l’université a choisi de fermer le fonds et d’ouvrir un nouveau programme. ­Celui-ci est essentiellement « une relation de fournisseur privilégié. Les participants continuent de bénéficier d’une structure connue en matière de placement : de faibles frais mais avec l’accès à des conseils », explique ­Mme ­Bourdeau.

Malgré une certaine ouverture à l’idée de permettre le maintien des actifs dans le régime après le départ à la retraite, force est des constater que les promoteurs demeurent méfiants à l’égard du décaissement. Alors que 69 % de ces derniers veulent aider les employés à accumuler des actifs, les participants se retrouvent à leur propre compte après la retraite ou leur départ de l’entreprise. Soulignons toutefois que ce chiffre est en baisse par rapport à 80 % l’année dernière et 75 % en 2015.

Martha ­Callum, directrice principale, rémunération globale à ­Coca-Cola ­Canada, souligne de son côté qu’il faut une raison d’affaires pour maintenir les participants au sein du régime après leur départ à la retraite. « ­Les employés actifs nous donnent déjà de quoi nous préoccuper, ­dit-elle. Il nous faut un mécanisme, soit par l’entremise de l’assureur ou d’une autre tierce partie, pour aider cette population à la retraite. »

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Sentiments contradictoires

Il faut se rendre à l’évidence : les participants semblent être très contents des régimes qui leur sont offerts, 88 % des employés sondés s’en disant satisfaits. Il s’agit d’une légère baisse par rapport au 89 % observé en 2016, mais une amélioration importante comparativement au 77 % d’il y a cinq ans. Le taux de satisfaction quant au rendement des placements s’avère également élevé : 76 % des participants estiment qu’ils atteindront leurs objectifs financiers en ce qui concerne l’­épargne-retraite.

La réalité derrière une telle affirmation est toutefois discutable. « ­De façon générale, je pense que les personnes ne se font une bonne idée de l’argent dont ils auront besoin que quelques années après avoir pris leur retraite, observe ­Joe ­Nunes, président d’Actuarial ­Solutions. Avant cela, ça relève de la spéculation. »

Les plus jeunes devraient ainsi faire des calculs actuariels afin de déterminer leurs besoins financiers à la retraite. Même ceux qui se trouvent sur le bon chemin peuvent l’ignorer, ce qui peut être source d’inquiétude, ­ajoute-t-il.

Il existe des outils permettant de faire ces calculs, mais personne ne s’en sert, constate M. Nunes. ­Peut-être parce qu’ils ne sont pas à la portée de tous. « J’ai ­moi-même créé un calculateur, j’en ai utilisé au fil des ans, et ils sont complexes, ­poursuit-il. Même pour les actuaires, ils sont difficiles à utiliser et à comprendre. »

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Fausser les calculs

Des hypothèses inexactes ou incomplètes peuvent également fausser les calculs des revenus nécessaires à la retraite.

Matthew ­Williams, chef, ­Gestion institutionnelle et ­Service à la clientèle pour le ­Canada à ­Placements ­Franklin ­Templeton, donne comme exemple les personnes en fin de carrière qui ne prennent pas en compte les dépenses liées aux parents âgés. Que les enfants adultes doivent payer pour les soins des parents, ou que ces derniers grugent le montant dont leur progéniture devait hériter, il s’agit d’un facteur qui pourrait avoir une incidence sur les chiffres.

Les participants au sondage croyaient que 5,2 % de leurs revenus de retraite proviendraient en effet d’un héritage. « ­Pour ce qui est de l’immobilier et de l’héritage, on voit des rêves du genre : « ­ Mes parents ont une maison d’une valeur de plus d’un million de dollars et l’hypothèque est entièrement remboursée. Tout cela sera pour moi », dit M. Williams. Pourtant, ce sont des choses qui échappent à leur contrôle. »

« ­Nous voyons constamment des gens qui pensent que l’avenir sera très rose lorsqu’ils arriveront à la retraite », constate Jillian ­Kennedy, chef du secteur cotisation déterminée et ­mieux-être financier chez ­Mercer.

Alors que les avis sont partagés quant aux dispositions financières pour la retraite, les attentes en matière d’épargne moyenne semblent indiquer un plus haut degré de confiance. En moyenne, les participants au sondage 2017 s’attendent à un pécule de 804 000 $, soit une hausse considérable par rapport aux 740 000 $ de l’année dernière.

« Les participants ont une notion idyllique que tout ira bien, mais au fur et à mesure qu’ils s’approchent de la retraite, ils commencent à paniquer.  »

– Jillian ­Kennedy, ­Mercer

Mme ­Kennedy dresse une analogie avec un objectif de perte de poids pour des retrouvailles d’école : on pense que ce sera facile, mais la procrastination fait obstacle. « ­On commence à voir le même genre de comportement par rapport à l’­épargne-retraite, ­dit-elle. Les participants ont une notion idyllique que tout ira bien, mais au fur et à mesure qu’ils s’approchent de la retraite, ils commencent à paniquer. »

« C’est fantastique d’observer la hausse du niveau d’­épargne-retraite attendu, qui atteint 804 000 $ », observe ­Matthew ­Streeter, ­vice-président de la division des régimes ­CD et de la retraite à ­Placements ­Franklin ­Templeton. Toutefois, compte tenu de l’espérance de vie moyenne d’environ 20 ans après l’âge de 65 ans, ce que cette somme représente en matière de revenu au quotidien pourrait être une tout autre histoire.

Le régime de l’Université ­Western offre un rare aperçu d’un régime ­CD mature, car il existe depuis plus longtemps que la moyenne. « ­On les a lancés en 1970 pour nos professeurs et en 1974 pour nos autres employés », explique ­Cara ­Bourdeau. Ceux qui gagnent autour du salaire moyen et qui ont peu modifié leurs comptes au fil des ans ont amassé des sommes intéressantes par rapport au chiffre de 800 000 $ qui ressort du sondage. L’épargne d’un employé dont le salaire à la retraite est de 50 000 $ s’élèverait à entre 500 000 $ et 700 000 $.

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Le pire scénario

Les promoteurs demeurent frustrés que les participants ne profitent pas pleinement des outils mis à leur disponibilité. ­Devrait-on plutôt adopter une approche draconienne soulignant les conséquences néfastes de l’inaction ? ­Si on leur offre un choix qui met l’accent sur les avantages auxquels l’employé renonce s’il ne s’y inscrit pas, l’adhésion pourrait augmenter, note
­Matthew ­Williams.

Pour ­Jillian ­Kennedy, le jargon juridique présent dans les communications risque d’empêcher les employés de bien comprendre les conséquences d’une ­non-participation. « C’est un long texte de vocabulaire juridique qui signifie : « Si vous ne voulez pas de prélèvements sur la paie, signez ici », ­dit-elle. Beaucoup se disent qu’ils ne veulent pas de retenues sur leur salaire. »

Somme toute, tranche ­Cara ­Bourdeau, les communications doivent être plus simples. « ­Même dans le domaine universitaire, la personne moyenne ignore ce qu’est un pourcentage. Elle ne sait pas ce que cela représente en dollars », ­dit-elle. Alors que les employés peuvent penser qu’une hausse des frais de 2 % dans le marché du détail n’est pas excessive, lorsqu’ils constatent le montant en dollars, « ils sont horrifiés ».

Il existe aussi un écart important en ce qui a trait au genre de conseils offerts aux employés, surtout quant à la conception des plans financiers, ajoute ­Mme ­Kennedy. Beaucoup s’articulent autour de conseils ponctuels sur « la façon d’investir ». « ­Personne ne s’assoit avec les employés pour développer un vrai plan financier, ­déplore-t-elle. Et si on essaie de le faire tout seul, c’est très cher et cela relève du marché de détail, ce qui veut dire qu’on vous dirige vers les fonds communs de placement. »

Joe ­Nunes note que les rencontres habituelles avec des conseillers en services financiers, qui durent entre 15 et 20 minutes, ne suffisent pas. De son côté, ­Cara ­Bourdeau met l’accent sur la nécessité de conseils plus personnalisés, notamment à l’aube de la retraite.

Elle espère qu’on finisse un jour par trouver la manière d’offrir « des conseils de groupe sur mesure ». Alors qu’on a traditionnellement visé des conseils par rapport à la phase d’accumulation, l’arrivée à la retraite fait ressortir d’autres éléments ayant une incidence sur le type de conseil nécessaire. Pensons à la santé, à l’espérance de vie, à la situation fiscale, à l’immobilier ainsi qu’aux rentes du conjoint. « ­Alors qu’on amorce la phase de décaissement, une option plus personnalisée devient essentielle », observe M. Bourdeau.

Le temps des braves

Les promoteurs demeurent frustrés que les participants ne profitent pas pleinement des outils mis à leur disponibilité, affirme ­Joe ­Nunes. Selon ­celui-ci, les employeurs doivent « faire montre de courage ».

Pour les participants, tout doit être très évident, dit M. Nunes. Les promoteurs doivent préciser « qu’il faut épargner 15 % [du salaire] et qu’eux cotiseront 5 %. On doit présenter le besoin d’épargner 10 % pour ne pas pelleter en avant le problème. Il n’est pas question d’aller voir ces gens qui ne cotisent rien demain matin et de leur prendre 10 %, mais on peut introduire une telle pratique peu à peu. »

Nous remercions ­Placements ­Franklin ­Templeton d’avoir commandité l’édition 2017 du sondage auprès des participants aux régimes de capitalisation.

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Le 12e sondage annuel auprès des participants aux régimes de capitalisation a été produit par ­Avantages/Benefits ­Canada et le groupe de recherche de contenu de ­ TC ­Media en août et septembre 2017. Au total, 502 employés dont l’entreprise offre un régime ­CD ou un ­REER collectif ont participé. La marge d’erreur est de plus ou moins 4,4 %, 19 fois sur 20. De plus, 51 promoteurs de régime ont répondu au sondage avec un marge d’erreur de plus ou moins 11,5 %, 19 fois sur 20. Certaines réponses n’atteignent pas 100 % en raison des arrondis.

Texte de ­Martha ­Porado, journaliste à ­Benefits ­Canada. Adaptation et traduction de Simeon Goldstein.