Beaucoup de gens grandissent avec l’idée qu’il n’est pas bien de prendre des risques. Or, il en faut peu pour réaliser que les risques sont omniprésents – et que nous devrions définitivement essayer d’éviter ceux qui compromettent notre sécurité ! Par ailleurs, on entend souvent que « le risque est une opportunité » ou encore que « pour réussir il faut prendre des risques ».

Dans le monde des placements, le risque fait partie inhérante d’un duo de concepts qui sous-tendent chaque décision prise à l’égard du portefeuille d’un investisseur – l’autre étant bien évidemment le rendement. L’idéal est de maximiser le rendement ou de minimiser le risque, voire les deux ! Depuis plus de 50 ans, la théorie moderne de portefeuille stipule que la combinaison de deux actifs risqués peut produire un rendement similaire avec un risque plus faible que si l’on ne détient qu’un seul d’entre eux. Le secret consiste à sélectionner des actifs ayant une faible corrélation (ou mieux encore, une corrélation négative) entre eux. Les rendements se comportent alors de telle sorte que les pertes de l’un sont en partie compensées par les gains de l’autre. La faible corrélation entre les actifs aura donc pour effet d’en mitiger le risque par l’effet de diversification.

Une façon d’augmenter la diversification d’un portefeuille est d’y ajouter des titres étrangers. Grâce à la mondialisation, il n’a jamais été aussi facile d’investir dans les marchés financiers de plusieurs dizaines de pays, tant « développés » qu’« émergents ». Et les Canadiens ont saisi cette occasion. En effet, une partie importante du portefeuille des caisses de retraite se trouve maintenant investie à l’extérieur du pays. La proportion de l’actif des régimes de retraite canadiens à prestations déterminées en actions ainsi qu’en titres à revenu fixe étrangers était estimée à environ 30 % à la fin de 2014. Bien que ceci représente toujours un biais domestique important, il s’agit néanmoins d’une amélioration majeure par rapport au 10 % observé pendant les années 1990 alors que la mondialisation en était encore à ses débuts.

Il y a bien entendu des risques inhérents à tout investissement à l’étranger, dont notamment le risque lié aux devises. Ce dernier est associé à l’incertitude des rendements d’un actif étranger en raison des variations du taux de change entre le moment d’acheter un actif et sa liquidation. Cette incertitude découle du fait avéré que les mouvements des taux de change sont extrêmement difficiles à prévoir.

Considérons l’exemple d’une caisse de retraite canadienne ayant investi 1 million de dollars canadiens dans un fonds d’actions américaines le 1er janvier 2015 et mettant fin au mandat de gestion le 31 décembre suivant. Au début de l’année, l’actif a été converti en dollars américains, puis déposé auprès du gestionnaire de portefeuille. Alors que l’indice S&P 500 a généré un rendement en dollars américains d’environ 1,4 % en 2015, la devise canadienne s’est dépréciée d’environ 19 % par rapport au dollar américain au cours de cette même période. Lorsque la caisse de retraite canadienne a mis fin au mandat, elle a converti tout l’actif en dollars canadiens pour recevoir environ 1,21 million. Or, sur le rendement de 21 % réalisé, 19 % est dû uniquement à l’effet du taux de change.

Cela apparaît comme étant un très bon investissement. Mais il faut reconnaître que l’inverse aurait également pu se produire. Si le dollar canadien s’était apprécié par rapport au dollar américain, la caisse de retraite aurait subi une perte d’environ la même ampleur. De plus, même après avoir réalisé les gains, si la caisse canadienne n’avait pas mis fin au mandat et géré le risque lié aux devises, ces gains auraient pu s’évaporer advenant un renversement de la tendance à la baisse du dollar canadien de 2015. C’est d’ailleurs ce qui s’est amorcé au cours du premier trimestre de 2016.

Alors, que peut-on faire pour contrôler ce risque lié aux devises ? Et plus important encore, comment répondent les caisses de retraite canadiennes aux questions suivantes : quelle portion du risque lié aux devises faut-il couvrir, comment s’y prendre pour ce faire et quand passer à l’action ?

Une réponse traditionnelle est que les régimes n’ont pas instauré une stratégie de couverture du risque lié aux devises. Il est à espérer que cette stratégie n’est pas issue du fait que le promoteur ignore tout simplement les implications qui y sont associées. De façon plus plausible, ces régimes présument peut-être bénéficier de la propriété de « couverture naturelle » que possède le dollar canadien. Historiquement, la devise américaine s’est souvent appréciée par rapport à ce dernier lorsque le marché boursier américain générait de faibles rendements. Ceci s’explique intuitivement par le fait que l’économie canadienne s’avère largement dépendante des produits de base et que le dollar américain est une valeur refuge. Cela fait en sorte que les pertes des actions américaines sont généralement compensées par les gains issus de la variation du taux de change et vice-versa. Cette propriété de « couverture naturelle » du dollar canadien s’avère toutefois imparfaite.

Cette approche semble intéressante car elle amène une diminution du risque lié aux devises sans engendrer des coûts. Par contre, elle néglige des opportunités de cristalliser les gains liés aux variations des taux de change, tel qu’illustré dans l’exemple ci-dessus, d’une caisse de retraite canadienne ayant maintenu son investissement en actions américaines.

Une autre réponse fréquente est qu’en raison de la quasi-impossibilité de prévoir les mouvements des taux de change, les régimes ont totalement ou partiellement éliminé leur exposition au risque lié aux devises. Un choix répandu selon ce scénario est une stratégie de « couverture statique de 50 % » dite de « moindre regrets ». Bien que cette approche « statique » soit facile à comprendre et simple à implanter, elle a parfois produit des résultats pires que la « non couverture », en partie en raison de coûts plus élevés. La couverture du risque lié aux devises implique l’utilisation de produits dérivés qui introduisent artificiellement la corrélation négative souhaitée avec le rendement des devises, moyennant certains coûts. Cette tactique néglige également les opportunités liées aux niveaux actuels des taux de change.

Également, certaines caisses de retraite ont embauché un gestionnaire de devises, lui octroyant la latitude d’implanter des positions directionnelles et sans restriction en fonction de son opinion quant aux mouvements futurs des devises. Il gère ainsi un portefeuille de devises en tant que catégorie d’actif, à la recherche de valeur ajoutée. Cependant, après déduction des frais de gestion, très peu de gestionnaires de portefeuille affichent un bilan solide dans la gestion active des devises.

Enfin, quelques techniques novatrices récentes en matière de couverture du risque lié aux devises appliquent une approche rigoureuse où le niveau de couverture peut varier dans le temps, en fonction de certains critères. Cette approche de « couverture dynamique » utilise des seuils de taux de change afin de faire fluctuer le niveau de couverture, lesquels sont modélisés en fonction de l’exposition du portefeuille et des taux de change historiques.

Cette façon de procéder est facile à comprendre pour les promoteurs de régimes et les comités de retraite, simple à implanter, et évite les biais comportementaux issus de l’interférence émotionnelle dans le processus d’investissement. En tenant compte des niveaux actuels des taux de change ainsi que des tendances à long terme de retour à la moyenne de ceux-ci, nos recherches ont indiqué qu’une approche de couverture dynamique produit des résultats supérieurs d’un point de vue risque/rendement.

La bonne stratégie pour une caisse de retraite donnée dépendra néanmoins de nombreux facteurs propres à chacune d’entre elles. Il est important d’inclure les considérations stratégiques de la gestion du risque lié aux devises dans la politique de placement, et de veiller à ce qu’elles soient revues sur une base régulière. L’environnement actuel des marchés offre une excellente occasion pour les caisses canadiennes d’implanter un programme de couverture du risque lié aux devises. À cet égard, la couverture dynamique peut s’avérer être une solution optimale pour un bon nombre d’entre elles.

Eduardo Lima est conseiller principal chez Eckler.

Patrick De Roy est directeur chez Eckler.