Les attaques répétées de l’administration ­Trump contre l’économie canadienne ont réveillé une fibre nationaliste jamais vue au pays. Les consommateurs ont embrassé le mouvement « ­Acheter canadien » en privilégiant les produits d’ici et en boudant ceux provenant des ­États-Unis. Mais les grandes caisses de retraite, elles, ne semblent pas trop enclines à adopter un mouvement « Investir canadien ».

Jusqu’en 1990, les régimes de retraite canadiens ne pouvaient pas investir plus de 10 % de leur actif à l’étranger, et jusqu’en 2005, pas plus de 30 %. Depuis, plus aucune règle ne s’applique en la matière, et le moins que l’on puisse dire, c’est que les régimes en ont profité pour diversifier géographiquement leurs investissements. ­Peut-être un peu trop.

Aujourd’hui, à peine le quart de l’actif sous gestion des huit plus grands gestionnaires de caisses de retraite canadiens, les « ­Maple 8 », est investi au pays, ­apprend-on en lisant notre article sur le sujet.

Personne n’est contre une meilleure diversification : les anciennes règles limitant les investissements étrangers étaient trop restrictives. Cela dit, tourner à ce point le dos à l’économie canadienne ­est-il vraiment nécessaire à une saine gestion des risques et à l’obtention de rendements suffisants pour payer les rentes des retraités ?

Déjà en mars 2024, bien avant l’élection de ­Donald Trump, une centaine de personnalités d’affaires bien en vue, menées par le gestionnaire d’actif montréalais ­Letko Brosseau, ont sonné l’alarme dans une lettre ouverte publiée dans tous les grands quotidiens du pays. Ils insistaient sur le fait qu’en détenant 37 % de l’épargne institutionnelle au ­Canada, les caisses de retraite « ont la capacité unique d’être des investisseurs en actions patients et à long terme, exactement ce dont le ­Canada a besoin pour forger son avenir ».

En n’ayant d’yeux que pour les rendements obtenus par leurs portefeuilles de placement, certaines caisses de retraite semblent oublier qu’en investissant au ­Canada ne ­serait-ce qu’une portion un peu plus grande des centaines de milliards de dollars d’actif qu’elles détiennent, elles pourraient favoriser la création de davantage d’emplois, augmenter les revenus des ­Canadiens (et leurs cotisations de retraite) et contribuer à améliorer la productivité des entreprises d’ici. Il s’agit d’un cercle vertueux créateur de richesses… et de rendements.

De façon générale, les investisseurs canadiens semblent avoir un certain a priori négatif envers leur marché boursier national. Pourtant, au cours des 25 dernières années, il a mieux performé que celui de tout autre pays du ­G7. Il est vrai que sur une période plus récente, le marché américain a dominé, mais cette croissance a été plutôt concentrée dans le secteur technologique, et plus particulièrement dans les titres des « sept magnifiques ».

Investir des sommes colossales dans ces entreprises ­est-il si bénéfique pour la société canadienne, sachant qu’elles adoptent des pratiques commerciales et concurrentielles parfois douteuses, en plus d’avoir une vision, disons, minimaliste de leurs obligations fiscales ? ­Les quelques points de base de rendement obtenus en investissant massivement dans ces entreprises, qui contribuent finalement peu à l’économie canadienne, finissent ­peut-être par nous coûter collectivement très cher.

Dans le contexte économique et politique actuel, un éventuel mouvement « ­Investir canadien » pourrait bien être réclamé par les consommateurs ­eux-mêmes. Ces consommateurs qui font l’effort d’acheter leurs vêtements chez ­Simons plutôt que sur ­Amazon ne sont probablement par ravis que plusieurs milliards de dollars de leurs cotisations de retraite soient investis dans le géant américain du commerce en ligne. Les ­Canadiens ont légitimement le droit de demander aux grands investisseurs institutionnels de fournir eux aussi un effort pour privilégier l’économie nationale.

Un tel débat n’existe pas qu’au ­Canada. Plusieurs pays, dont le ­Royaume-Uni, étudient différentes avenues pour amener leurs caisses de retraite à investir davantage chez eux. Dans certains cas par la manière douce, mais parfois par la manière forte, via des lois plus restrictives. L’article publié dans cette édition d’Avantages montre qu’au pays il y a peu d’appétit pour une approche coercitive qui obligerait les caisses de retraite à doper leurs investissements nationaux. Une approche plus incitative est privilégiée.

Ottawa a déjà réagi en mettant fin à l’interdiction pour les caisses de retraite de détenir plus de 30 % des actions avec droit de vote d’une société canadienne. Des allègements futurs pourraient également leur permettre d’investir dans les aéroports canadiens, comme elles le font un peu partout dans le monde. Espérons que ces initiatives porteront fruit.

Parce que devant la trahison de notre plus proche allié économique, le temps est venu pour les caisses de retraite canadiennes de croire en leur pays et d’investir dans sa prospérité.


• Ce texte a été publié dans l’édition de juin 2025 du magazine Avantages.
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