MAXIME LEMIEUX

Gestionnaire de portefeuille, Fidelity Investments

Fidelity

Lorsque Maxime Lemieux a joint les rangs de Fidelity à Boston en 1996, après avoir obtenu son diplôme de l’Université McGill, il était le troisième Canadien et le premier diplômé d’une université canadienne à intégrer l’équipe de placement de Fidelity. Il a contribué à mettre sur pied l’équipe de placement canadienne, officiellement créée en 1998. En 2009, le groupe a déménagé de Boston vers des bureaux de Toronto et Montréal, et cette même année M. Lemieux a commencé à gérer le fonds Frontière Nord de Fidelity. Aujourd’hui, il est également responsable d’une version institutionnelle du fonds. Bien qu’il soit le premier à reconnaître qu’il s’agit d’un effort d’équipe, depuis qu’il travaille pour Fidelity Canada, les actifs sous gestion de l’entreprise sont passés de 5 milliards de dollars à 200 milliards de dollars sans aucune acquisition.

Pourriez-vous décrire votre parcours vers le rôle de gestionnaire de portefeuille chez Fidelity?

J’ai commencé à m’intéresser au marché boursier quand j’avais à peine 11 ans. Mon parrain avait créé une sorte de club de placements pour mes cousins et moi, et j’ai été fasciné par le fait que mes économies pouvaient rapporter de l’argent. J’aimais aussi faire des recherches sur des entreprises et je dessinais mes propres graphiques sur papier. Je trouvais aussi quelque chose d’excitant à la volatilité et au rythme des changements – quand il est question d’investissements, rien n’est immuable.

J’ai continué d’investir pendant mes études secondaires, avec l’aide des adultes qui m’entouraient. Puis, juste avant de commencer mon parcours à l’Université McGill, j’ai lu le premier livre de Peter Lynch, une sommité chez Fidelity, intitulé One Up on Wall Street. À McGill, j’ai suivi un cours de placements appliqué d’un an qui donnait aux étudiants la possibilité de gérer de l’argent réel provenant d’un fonds de dotation. Après avoir obtenu mon diplôme, je suis arrivé à Boston et j’ai postulé pour travailler chez Fidelity. Le processus n’avait rien de facile, mais après de nombreuses entrevues, j’ai été invité à me joindre à l’équipe de placement, et ma carrière a pris son envol.

Revenir à Montréal en 2009 a été une étape importante pour moi. Nous avons ainsi réussi à augmenter notre part de marché au Québec, qui était déjà supérieure à celle de toute autre province. C’est un avantage d’être près des entreprises dans lesquelles nous investissons, et même d’entreprises trop petites pour être incluses dans notre portefeuille, mais que nous pouvons conseiller et diriger vers d’autres firmes. Nous avons également pu recruter plus facilement des diplômés du programme honours de gestion de placements de l’Université McGill.

En quoi les versions « détail » et « institution » du fonds Frontière Nord de Fidelity sont-elles différentes?

Le fonds institutionnel est plus concentré. Il s’agit d’une stratégie d’actions purement canadiennes, alors que Frontière Nord peut détenir jusqu’à 10 % d’actions étrangères. Il est également assorti d’une limite de 5 %, alors que Frontière Nord peut atteindre 20 % (bien que je n’aie atteint cette limite que deux fois au cours de ma carrière). Le fonds a donc une position plus importante et un roulement un peu plus faible. Dans l’ensemble, malgré ces différences, le rendement des deux fonds a été assez semblable.

Vous avez un bilan de rendement supérieur lorsque le marché est difficile notamment lors de la chute boursière occasionnée par la COVID-19, où votre stratégie institutionnelle a surpassé l’indice de référence de près de 7 %. Comment protégez-vous vos portefeuilles contre les baisses?

Premièrement, je dois être à peu près certain qu’un marché difficile est à nos portes, et c’est là autant un art qu’une science. Ensuite, nous adoptons un portefeuille plus défensif, où nous nous concentrons sur les actions qui s’appuient sur un modèle d’affaires résilient, et je réduis en général les titres cycliques et les produits de base. De nombreuses occasions se présenteront dans le secteur des biens de consommation de base, mais les entreprises ayant une base de revenus récurrente se trouvent dans les secteurs de l’industrie et de la technologie. Les services publics et le domaine des soins de santé peuvent également être de bons endroits pour trouver des fonds défensifs.

Pendant ces périodes, j’ai tendance à me rapprocher davantage du marché de l’or. Je ne suis pas un inconditionnel de l’or, mais je pense qu’il peut devenir une sorte de police d’assurance dans un marché baissier. Enfin, j’augmente les liquidités, dans un souci de défense tactique et parce que chaque secteur atteindra probablement son niveau le plus bas à un moment différent, et que je veux pouvoir profiter des occasions d’achat.

J’ajouterais que, même en période de prospérité, j’essaie d’éviter les actions hautement spéculatives et les sociétés dont les valorisations sont extrêmement élevées. Je cherche toujours à avoir un bon bilan, car un bilan fortement endetté est vulnérable à toutes les mauvaises nouvelles, que les marchés soient faibles ou forts. Il est également important pour moi de disposer de liquidités. Notre travail consiste essentiellement à analyser en profondeur les entreprises que nous détenons et celles que nous souhaitons détenir, tandis que le travail de nos analystes sectoriels consiste à comprendre leur secteur de sous tous ses rapports. Nous examinons des scénarios de hausse et de baisse pour chaque entreprise, car, si nous sommes formés pour réfléchir à la manière d’ajouter de la valeur dans un marché haussier, nous devons également penser à la manière de protéger nos investisseurs dans un marché baissier. En outre, compte tenu de l’importance du marché mondial pour les entreprises canadiennes, nous sommes en mesure de nous appuyer sur la recherche mondiale de Fidelity pour mieux comprendre la concurrence, les opportunités et les risques à l’échelle internationale.

Vous êtes plus à l’aise que de nombreux gestionnaires de portefeuille de vous écarter des indices de référence en matière de répartition sectorielle. Qu’est-ce que cette façon de faire vous permet d’accomplir?

Je ne pratique la gestion indicielle dans aucun des deux fonds, ce qui me permet de mieux contrôler le risque absolu. Les leçons que j’ai tirées de la bulle technologique en 2000 et du supercycle des produits de base en 2007 et 2008 sont que les indices peuvent devenir très surexposés à un seul secteur et qu’il est plus rentable d’être diversifié. Ce n’est pas une règle stricte, mais en moyenne, je ne veux pas qu’un secteur représente plus de 25 % de l’exposition du fonds. En revanche, avant que Shopify ne prenne son envol, le TSX était sous-exposé à la technologie, alors que celle-ci occupe une place importante dans l’économie et dans notre vie quotidienne. Lorsqu’elle représentait 5 % de l’indice, avoir une exposition de 10 à 15 % dans mes portefeuilles ne me posait pas problème, tant qu’il s’agissait d’entreprises de bonne qualité avec un potentiel de croissance et de rendement solide.

En matière d’actions canadiennes, quelles sont les occasions qui vous enthousiasment dans un contexte qui reste difficile?

Nous vivons une période délicate, avec des ralentissements économiques dans le monde occidental et même en Chine, où la reprise n’est pas aussi forte que certains le prévoyaient. Cela dit, j’attends beaucoup de la proposition canadienne.

Dès que le marché boursier a commencé à se remettre du choc de la pandémie, nous avons assisté à un grand nombre de premiers appels publics à l’épargne. De nombreuses entreprises qui étaient privées depuis longtemps sont devenues publiques, ce qui a entraîné une plus grande diversification dans de multiples secteurs de l’écosystème canadien. En outre, avec ses ressources naturelles, le Canada sera bien positionné dans l’éventualité où la guerre en Ukraine et les frictions entre la Chine et les États-Unis divisent à nouveau le monde en deux blocs. Je suis un grand adepte de l’électrification, mais cela ne se fera pas du jour au lendemain, c’est pourquoi les formes traditionnelles d’approvisionnement en énergie sont également nécessaires. Le Canada dispose également d’atouts démographiques dans des domaines tels que l’immigration, si on le compare à d’autres pays occidentaux.

Dans l’ensemble, je me réjouis des perspectives à long terme pour les actions canadiennes. À court terme, en attendant de savoir si nous connaîtrons un atterrissage brutal ou une récession en douceur, mon travail consiste à protéger le capital et à me concentrer sur une sélection prudente des titres.