La question est sur les lèvres de tous les investisseurs institutionnels : la forte poussée inflationniste est-elle seulement transitoire, ou alors risque-t-elle de se poursuivre à plus long terme ?

« Bien que nous soyons actuellement confrontés à une hausse cyclique de l’inflation et des taux d’intérêt, je suis d’avis que dans cinq ans, la croissance économique américaine sera plus lente et que l’inflation pourrait être plus faible », estime Pramod Atluri, gestionnaire de portefeuille de titres à revenu fixe à Capital Group.

La croissance économique devrait ralentir en raison des niveaux d’endettement élevés et du retrait progressif des mesures de relance, ajoute-t-il, ce qui entraînera un retour à des gains de PIB de 1,5 % à 2,5 % par an. Par conséquent, les taux d’intérêt devraient eux aussi rester relativement faibles.

Le gestionnaire fait toutefois une différence entre l’inflation rigide, dont le niveau est déterminé entre autres par les loyers, les coûts d’assurance et les frais médicaux, et l’inflation flexible, davantage déterminée par des produits tels que les denrées alimentaires, les voitures et l’énergie. L’inflation flexible aux États-Unis a grimpé cette année à près de 14 %, soit le plus haut niveau depuis les années 1970.

La forte hausse de la composante flexible de l’inflation a été causée par les pénuries de biens et de main-d’œuvre liés à la pandémie. Bien que toutes les perturbations des chaînes d’approvisionnement ne seront pas réglées cette année, des conditions plus normales devraient néanmoins être de retour d’ici le milieu ou la fin de 2022 aux États-Unis. Une telle éventualité ramènera l’inflation flexible à des niveaux plus bas.

Le véritable danger à long terme provient plutôt de l’inflation rigide, qui contrairement à l’inflation flexible, n’est pas imputable à des facteurs transitoires liés aux perturbations économiques de la pandémie.

Ritchie Tuazon, un autre gestionnaire de portefeuille à Capital Group, estime que l’inflation globale, telle que mesurée par l’indice des prix à la consommation américains, devrait diminuer progressivement au fil des prochains mois, pour terminer l’année 2022 entre 2,50 % à 2,75 % aux États-Unis.

Le gestionnaire prévoit en outre que la Fed ne haussera pas ses taux d’intérêt en 2022, un scénario qui l’éloigne des attentes du marché. La première hausse interviendrait plutôt en 2023. « Je ne pense pas que la Fed sera pressée de hausser les taux et de potentiellement compromettre la reprise post-pandémique si l’inflation reste maîtrisée », juge M. Tuazon.

Le scénario d’un taux d’inflation élevé et persistant ne peut toutefois pas être complètement écarté, ajoute-t-il. Les investisseurs doivent donc ajuster leurs portefeuilles, notamment en privilégiant les titres du Trésor américain protégés contre l’inflation.

Du côté des marchés boursiers, les analystes de Capital Group indiquent que d’un point de vue historique, la hausse des prix a stimulé le secteur des matières premières ainsi que les secteurs qui bénéficient de taux d’intérêt plus élevés, comme les banques. Les entreprises qui ont un pouvoir de fixation des prix dans des catégories incontournables comme les semi-conducteurs et les marques de consommation populaires ont aussi tendance à être avantagées dans un tel contexte.

Les analystes rappellent finalement qu’un certain niveau d’inflation peut-être une bonne chose pour les investisseurs, et que même en période d’inflation élevée, les actions et les obligations offrent généralement des rendements solides. Par exemple, entre 1970 et 2020, dans les périodes où l’inflation se situait à un niveau assez élevé de 4 à 6 %, le rendement annuel moyen des actions américaines s’est chiffré à 11,7 %.

Ce n’est qu’en situation extrême que la situation devient plus difficile, c’est-à-dire quand le taux d’inflation se situe sous 0 % ou dépasse 6 %.

Une réinitialisation de l’inflation

Dans son récent rapport sur les perspectives pour 2022, Placements Mackenzie prévoit que l’inflation passera à un niveau supérieur, sans toutefois devenir incontrôlée. « Les forces déflationnistes mondiales, les gains de productivité et l’atténuation des facteurs transitoires à moyen terme devraient empêcher l’inflation d’augmenter de façon incontrôlée », soutient Brent Joyce, stratège à Placements Mackenzie.

Il croit par ailleurs que les banques centrales « iront de l’avant avec prudence pour ce qui est de la politique de taux d’intérêt ». Une hausse des taux d’intérêt trop rapide ou trop prononcée pourrait mener à une récession et, étant donné que l’économie mondiale est accablée par une dette massive, toute augmentation des taux d’intérêt ferait grimper les coûts d’emprunt de cette dette.

Et si la hausse des taux est source d’incertitude pour les actions et les obligations, les analystes de Placements Mackenzie ont une opinion favorable à l’égard des actions canadiennes et prévoient des rendements des capitaux propres robustes pour les actionnaires par l’intermédiaire de dividendes et de rachats d’actions, particulièrement de la part des banques et des sociétés d’énergie canadiennes.

Philip Petursson, stratège en chef des placements à IG Gestion de patrimoine, entrevoit pour sa part un retour à la normale sur les marchés boursiers, après une année 2021 où les rendements ont dépassé les 20 % en raison notamment de la croissance des bénéfices, de la faiblesse des taux d’intérêt et de l’abondance des liquidités. « Les investisseurs ne devraient pas s’étonner si les rendements diminuent et s’établissent aux environs de 5 % en 2022 », fait remarquer M. Petursson.

Enfin, la probable hausse de taux pourrait entraîner une autre année difficile du point de vue des rendements obligataires, ajoute-t-il.