Au moment où l’espoir d’une baisse des taux d’intérêt l’année prochaine soulève l’enthousiasme des investisseurs, des stratèges chez Banque Nationale et Desjardins donnent une plus grande place aux obligations qu’ils voient comme une police d’assurance contre un ressac de la Bourse.
« Ça fait longtemps qu’on n’a pas été surpondéré en obligations en début d’année, mais là, c’est effectivement le cas », répond le stratège Jean-René Ouellet, de Desjardins Gestion de patrimoine, en entrevue en compagnie de son collègue Michel Doucet, lui aussi stratège.
Généralement, les obligations ont tendance à servir de contrepoids aux actions dans un portefeuille équilibré. Lorsque l’économie va mal et que les actions battent en retraite, les taux d’intérêt ont tendance à diminuer, ce qui fait augmenter, par le fait même, la valeur des obligations déjà sur le marché.
Avec le resserrement monétaire, les obligations offriraient désormais une meilleure protection que lorsque les taux d’intérêt étaient à un creux historique au plus fort de la pandémie, croit M. Ouellet, qui amorce l’année « sous le signe de la sérénité ».
Sur le front économique, son collègue Michel Doucet n’anticipe pas de catastrophe, malgré leur approche prudente. « En 2024, on s’attend à quoi au Mouvement Desjardins ? Un atterrissage en douceur aux États-Unis et une récession modeste et courte au Canada. »
Le risque d’une récession aux États-Unis n’est pas pleinement écarté, prévient M. Ouellet. « Est-ce que ça se peut qu’on voie une diminution des Bourses de 20 % à 25 % l’an prochain dans un scénario alternatif ? La réponse, c’est oui. C’est pour ça que, dans le contexte actuel, on adopte un positionnement relativement prudent. »
Pour sa part, l’économiste et stratège en chef de la Banque Nationale, Stéfane Marion, anticipe une année plus difficile sur les marchés boursiers. Il croit que les investisseurs sont trop optimistes quant aux bénéfices que les entreprises réussiront à dégager l’an prochain.
« Dans le contexte actuel où on parle d’un resserrement monétaire mondial de grande envergure, le pire pour les profits aurait été une stagnation, lance-t-il sur un ton empreint de scepticisme. À partir de maintenant, (les prévisions laissent entendre) que ça s’accélère via une expansion des marges bénéficiaires, en plus de ça, mes ventes carbureraient à deux fois l’inflation. »
« On ne peut rien exclure dans la vie, bien évidemment, mais ce serait contre-intuitif », enchaîne-t-il.
Pour l’indice S&P/TSX à Toronto, M. Marion émet une cible de 18 000 points d’ici la fin de la première moitié de l’année 2024, ce qui représenterait une correction d’environ 13 %. Pour les marchés boursiers américains, il émet une cible de 3800 points sur le S&P 500, toujours pour la première moitié de l’année, ce qui équivaudrait à une baisse de plus de 19 %.
L’économiste en chef de la Banque Nationale estime que les perspectives économiques sont plus favorables aux États-Unis. À plus de 19 fois les prévisions de bénéfices de l’année 2024, le S&P 500 est toutefois plus vulnérable aux déceptions que la Bourse de Toronto à près de 13 fois. « Je prévois un ajustement des multiples un peu plus grand aux États-Unis, étant donné qu’on est presque à 20 fois. »
L’importance des taux
Des deux côtés de la frontière, les comportements des consommateurs seront déterminants pour la suite des choses, croit Michel Doucet. « Qu’est-ce qui peut bien aller l’an prochain ? Ce serait un consommateur qui continue à dépenser et des taux d’intérêt qui sont plus bas. Qu’est-ce qui peut mal aller ? Ce serait un consommateur qui rentre dans une phase de désendettement. »
Jusqu’à maintenant, la Réserve fédérale (Fed) aux États-Unis semble afficher une plus grande conviction qu’elle réduira ses taux d’intérêt en 2024, que ne le laisse entrevoir la Banque du Canada.
M. Doucet considère qu’une détente monétaire est toutefois inévitable au pays. « La situation au Canada va mériter que la Banque du Canada abaisse son taux directeur en 2024 pour donner de l’air aux consommateurs canadiens et aux entreprises qui doivent investir dans la machinerie et l’équipement. »
M. Marion trouve curieux que la Fed soit en tête pour évoquer une détente monétaire tandis que l’économie américaine affiche une plus grande résilience que les autres grandes économies mondiales.
« Ce qui est surprenant, c’est que la banque centrale avec l’économie la plus résiliente semble être la première à ouvrir la porte avec des baisses de taux, souligne-t-il. Les États-Unis viennent de sortir d’un trimestre de croissance de 5 % avec un taux de chômage à 4 %, puis l’inflation qui demeure au-dessus de la cible. »
Une approche prudente
Dans leur portefeuille modèle, les stratèges interrogés adoptent une approche prudente en surpondérant les obligations, avec une préférence pour des échéances plus longues et les obligations gouvernementales. Du côté des actions, ils donnent préséance aux secteurs jugés plus défensifs.
M. Marion favorise les titres de dividende, notamment les services publics et les télécommunications. « Tout ce qui est discrétionnaire serait plus à éviter. »
Dans le même état d’esprit, M. Ouellet croit que les titres de dividende comme les télécommunications, les fonds immobiliers ou les services publics sont dans une bonne posture face à une éventuelle baisse des taux. « Il faut quand même faire attention dans les services publics, car il y a des sociétés qui traînent un gros fardeau de dette », nuance-t-il.
Même si le secteur de l’alimentation correspond généralement à un profil plus défensif, M. Ouellet est un peu plus prudent cette fois-ci. « Les comparables sont très, très, très difficiles. Tout le monde a été confiné, tout le monde est resté chez eux. Tout le monde a mangé à la maison. Quand on commence à avoir une très forte modération de prix, même dans l’alimentation, ça veut dire que la croissance va être plus difficile. »