En raison de leur complexité apparente, les stratégies d’investissement impliquant l’utilisation de produits dérivés rebutent souvent les caisses de retraite, surtout celles de petite taille. Mais bien utilisés, ils peuvent faire de petits miracles, comme le démontre l’expérience d’Air Canada.

Il y a une dizaine d’années, la situation financière de la caisse de retraite du transporteur aérien était catastrophique : le déficit atteignait 2,8 G$, soit huit fois la capitalisation boursière de la société. Pour éviter le pire, Air Canada a approuvé en 2009 une stratégie visant à réduire les risques liés à ses régimes de retraite canadiens. Reposant largement sur des principes d’investissement guidé par le passif (IGP) et l’ajout de placements alternatifs au portefeuille, la stratégie misait aussi sur l’introduction du levier et de produits dérivés.

« L’utilisation de dérivés nous permettait de maintenir le même rendement espéré qu’auparavant malgré une augmentation de notre répartition en obligations à long terme et une baisse de notre exposition aux actifs plus risqués », soutient Jean-François Paquin, vice-président, Répartition d’actif à la division des placements de la caisse de retraite d’Air Canada.

Lors du Séminaire sur la gestion des caisses de retraite, en mai dernier, il a souligné les différents bénéfices que peuvent tirer les régimes de retraite de l’introduction de produits dérivés à leurs stratégies de placement. « Les dérivés améliorent la diversification de notre caisse, car ils donnent accès à davantage de primes de risque. Ils permettent aussi d’isoler certains risques, comme le risque de crédit ou de taux, ce qui nous offre un contrôle accrû. »

Grâce à leur effet de levier, les dérivés donnent aussi l’opportunité aux caisses de retraite de déployer leur capital de manière plus efficace, poursuit-il.

David Alloune, gestionnaire, Répartition d’actif à la division des placements de la caisse de retraite d’Air Canada, a donné un exemple du type de problématique que les dérivés permettent de résoudre. « Les obligations de sociétés occupent une place importante dans la répartition d’actif des caisses de retraite. Le problème, c’est que le marché canadien des obligations de sociétés est limité », a-t-il indiqué.

La solution? Plutôt que d’adopter une approche physique traditionnelle, la caisse de retraite d’Air Canada a construit un portefeuille synthétique composé de contrats d’échange sur risque de crédit (Credit Default Swap) et d’obligations fédérales.

« Les CDS affichent un écart de crédit plus bas que les obligations de sociétés américaines tout en offrant le même rendement », assure David Alloune.

Trop complexe pour les petits régimes?

Si Air Canada a su mettre en œuvre des stratégies performantes impliquant l’utilisation de dérivés, on ne peut passer sous silence le fait que ses sept régimes à prestations déterminées canadiens totalisent un actif de 19,5 G$. Une telle taille a donné à la société la capacité de développer une vaste expertise. En effet, les trois quarts de l’actif de la caisse sont gérés à l’interne, et pas moins de 47 professionnels spécialisés en dérivés, en obligations et en placements alternatifs y œuvrent.

Jean-François Paquin ne cache pas que les stratégies qui incluent des produits dérivés comportent une « part de complexité », mais il insiste sur le fait qu’elles ne sont pas pour autant inaccessibles aux caisses de plus petite taille. Air Canada a d’ailleurs entrepris, en 2016, d’appliquer la même stratégie en matière d’utilisation des dérivés au régime de retraite de ses employés basés à Londres, dont l’actif est d’environ 500 M$.

Suite à sa fermeture aux nouveaux participants en 2016, le régime a subi une révision en profondeur de sa politique de placement de façon à réduire son niveau de risque. Comme il l’a fait pour ses régimes canadiens, le transporteur aérien a eu recours aux dérivés pour maintenir un rendement espéré équivalent malgré la mise en place d’une stratégie d’IGP plus musclée.

L’idée n’a toutefois pas été facile à vendre aux « Trustees », l’équivalent des membres de comité de retraite au Royaume-Uni. Car contrairement à la législation québécoise, les Trustees sont personnellement responsables des décisions reliées aux régimes de retraite, ce qui les rend très averses au risque.

« Il a fallu leur expliquer les avantages des contrats d’échange sur risque de crédit. L’idée était vraiment de leur faire comprendre que ce n’est pas parce qu’une stratégie est complexe qu’elle est forcément risquée », raconte Jean-François Paquin.

Malgré quelques écueils, Air Canada a finalement pu mettre en œuvre sa stratégie dans son régime basé au Royaume-Uni.

Au Canada, la stratégie de réduction des risques a porté fruit. Depuis 2014, les régimes enregistrent des surplus. « Les caisses de retraite ont deux objectifs qui vont à contre-sens : générer un rendement suffisant et limiter la volatilité des cotisations. Grâce aux dérivés, il est possible de concilier ces deux objectifs », conclut Jean-François Paquin.