Il y a dix ans était dévoilé le rapport du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois, plus connu sous le nom de rapport d’Amours. Même si certaines des recommandations qu’il proposait n’ont jamais été mises en œuvre, son influence sur le système de retraite québécois est incontestable. Bilan et perspectives d’avenir.
La création d’un volet supplémentaire pleinement capitalisé du Régime de rentes du Québec (RRQ), le partage des coûts 50-50 dans les secteurs municipal et universitaire ainsi que l’abandon du financement sur base de solvabilité dans les régimes à prestations déterminées (PD) du secteur privé font partie de l’héritage du rapport d’Amours.
Quatre projets de loi concernant les régimes de retraite municipaux, interentreprises, privés et universitaires ont été adoptés dans la province entre 2014 et 2016, dans la foulée du dépôt du rapport.
« Des 15 recommandations spécifiques à la gestion des régimes PD, 13 ont été partiellement ou totalement adoptées au cours des années suivantes », a affirmé Bernard Morency, l’un des sept membres du comité d’experts ayant à l’époque rédigé le rapport.
Lors d’une conférence de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite (ACARR) organisée pour souligner le 10e anniversaire du rapport d’Amours, l’actuaire a insisté sur le fait que la situation du système de retraite québécois est bien meilleure aujourd’hui qu’elle ne l’était lors de la formation du comité, en décembre 2011.
« Mais le marché du travail évolue, et les problèmes liés à la retraite sont toujours d’actualité », admet-il, en pointant notamment la baisse de l’offre des régimes complémentaires de retraite, du transfert des risques des employeurs vers les employés ainsi que de l’écart grandissant entre les conditions de retraite des travailleurs du secteur public, qui bénéficient encore majoritairement de régimes PD, et de ceux du secteur privé.
« On remarque aussi un effritement de la part des revenus de retraite provenant de la pension de la Sécurité de la vieillesse, qui est indexée selon l’inflation, et non selon la croissance des salaires », ajoute Bernard Morency.
Transition démographique
La plupart des défis que le Québec devra affronter en matière de retraite au cours des prochaines années ont une cause commune : le vieillissement rapide de la population.
« La proportion des gens âgés de 20 à 64 ans, les plus susceptibles d’occuper un emploi, diminue. En 2031, ils seront le même nombre qu’ils l’étaient 15 ans auparavant, malgré une augmentation de la population totale », explique Luc Godbout, lui aussi ex-membre du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois.
Mais encore aujourd’hui, les taux d’emploi chutent fortement à partir de 55 ans, ce qui met à mal le système de retraite et les finances publiques. Les Québécois prennent certes leur retraite plus tard qu’il y a 25 ans, mais il subsiste un écart avec l’Ontario. En 1998, les Québécois prenaient en moyenne leur retraite à 58,4 ans, alors que les Ontariens la prenaient en moyenne à 61,4 ans. L’écart s’est réduit au fil des ans, mais en 2021, les Québécois prenaient toujours leur retraite plus tôt (63,7 ans) que les Ontariens (64,1 ans).
« Si le taux d’activité chez les gens de 60 ans et plus était le même qu’en Ontario, 75 000 emplois de plus seraient comblés au Québec », note Luc Godbout, en ajoutant que le taux d’emploi chez les 20-54 ans est pourtant aujourd’hui plus élevé ici qu’en Ontario.
Il ne faut toutefois pas se bercer d’illusions, tempère-t-il. L’augmentation des taux d’emploi chez les 60-74 ans n’est pas une panacée tellement la croissance démographique des personnes de 75 ans est forte.
Luc Godbout croit néanmoins qu’il faudrait s’attaquer à certains mythes fiscaux pour encourager les travailleurs âgés à demeurer sur le marché du travail plus longtemps. « Oui, c’est payant d’avoir un revenu de travail à la retraite, et plus que ce que les gens croient », dit-il catégoriquement.
Les gouvernements auraient intérêt à poser certains gestes pour favoriser le prolongement de la vie active, poursuit-il. Ottawa devrait notamment repousser l’âge maximal de conversion des REER en FERR à l’âge de 75 ans, créer un crédit d’impôt pour la prolongation de carrière, à l’image de celui offert par Québec, et réduire le niveau de récupération de la PSV en raison d’un revenu d’emploi, un changement qui a déjà été apporté au Supplément de revenu garanti récemment.
En outre, Luc Godbout recommande au gouvernement du Québec d’étendre la possibilité de retarder la rente du RRQ jusqu’à 75 ans, plutôt que 72 ans comme annoncé dans le dernier budget, et rendre les cotisations au RRQ facultatives pour tous à partir de 65 ans. Selon les derniers changements adoptés, seuls les bénéficiaires qui touchent déjà leur rente pourront faire l’impasse sur les cotisations. Or, cette disposition oblige les gens à demander leur rente plus tôt s’ils souhaitent travailler sans devoir cotiser au RRQ, déplore le fiscaliste.
Le défi du décaissement
Devant l’effritement continu de la couverture des régimes PD dans le secteur privé, des efforts supplémentaires devront être consentis pour aider les retraités à décaisser efficacement leur épargne accumulée dans les régimes CD ou autres outils d’épargne.
À ce chapitre, beaucoup d’espoirs sont placés dans les rentes dynamiques, qui permettent notamment de mutualiser le risque de longévité dans des régimes d’accumulation de capital. Selon le rendement des actifs sous-jacents, la rente dynamique donne ainsi la chance au participant de toucher des versements plus élevés avec le temps. Ce dernier a aussi la possibilité de continuer d’investir une partie de son actif sur les marchés financiers ; il n’est pas obligé de transférer l’ensemble des sommes pour l’achat d’une telle rente. « C’est le meilleur des deux mondes », estime René Beaudry, un autre ex-membre du Comité d’experts sur l’avenir du système de retraite québécois.
Il estime cependant que les efforts de communication pour encourager les Québécois à retarder le versement de leur rente du RRQ devront s’intensifier. « Il faut que les gens arrêtent de croire à la légende qu’il est avantageux de demander sa rente tôt. En réalité, toucher sa rente dès 60 ans n’est une bonne idée qui si l’on est certain de mourir avant 71 ans. Or, la probabilité de survie de 60 à 71 ans atteint 94 %. »
Penser aux retraités de demain
Si un rapport d’Amours 2.0 était rédigé en 2023, que devrait-il contenir ?
« Il faudrait certainement entreprendre une réflexion sur la part de responsabilité des employeurs concernant la retraite des travailleurs, répond Bernard Morency. Il propose entre autres de bonifier le RVER pour en faire un véritable véhicule d’épargne, ce qui implique, selon lui, des cotisations obligatoires de la part des employés et des employeurs.
« Les retraités d’aujourd’hui s’en sortent assez bien, mais qu’en sera-t-il dans le futur ? La question fondamentale est de savoir comment on pourra gérer un Québec peuplé de 1,5 million de personnes de 75 ans et plus. L’enjeu dépasse largement les régimes de retraite. Il touche aussi la santé, le logement et une foule d’autres considérations. »