Plus d’un tiers des proches aidants québécois doivent aussi composer avec des enfants à la maison. Cette situation les éreinte sur les plans financier et émotif, et fragilise leur propre santé.

C’est au Japon, dans les années 1960, qu’apparaît l’expression « génération sandwich ». La réalité qu’elle recouvre n’a toutefois rien de très appétissant. Coincés entre les dépenses et les soins destinés aux enfants et aux parents vieillissants, bien des gens peinent à préparer leur propre retraite, voire parfois à joindre les deux bouts de mois en mois.

« Cette situation est loin d’être rare au Québec », rappelle Guillaume Joseph, directeur de la planification stratégique à L’Appui. Cet organisme, dont le conseil d’administration est présidé par l’ancienne ministre libérale Michelle Courchesne, offre des services aux aidants naturels via des centres régionaux, en plus de la ligne téléphonique Info-aidant, d’un portail Web et des répertoires de ressources régionaux.

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Ils sont plus de 400 000

L’Appui a utilisé les données de la plus récente Enquête générale sociale de Statistique Canada (2012) pour dresser un portrait des proches aidants au Québec. On y découvre que 417 000 aidants naturels, soit 37 % de leur nombre total au Québec, ont aussi des enfants à la maison. C’est sans compter ceux qui subviennent, en tout ou en partie, aux besoins d’enfants aux études, lesquels n’ont qu’à moitié quitté le nid.

Ces gens vivent la même réalité que les 717 000 proches aidants québécois sans enfants à la maison. Plus de la moitié (57 %) de ces derniers ont un emploi. Plus des deux tiers (68 %) ont des dépenses liées à l’aide offerte à leurs parents vieillissants, dont la majeure partie concerne le transport et l’hébergement.

Une autre étude, réalisée en 2013 par les chercheurs ontariens Linda Duxbury et Christopher Higgins en collaboration avec Desjardins, montre que 40 % de la génération X (30-45 ans) et la moitié des baby-boomers sont des aidants naturels. Au moins 60 % d’entre eux feraient partie de la génération sandwich. Et quatre sur dix offrent de l’aide à trois aînés ou plus, pour une durée moyenne de cinq à dix ans.

Cette réalité, en plus de générer des dépenses, limite la progression de leur carrière. Ils sont nombreux, écrivent les chercheurs, à refuser des promotions, incapables d’assumer plus de responsabilités. Ils s’absentent plus souvent, arrivent plus fréquemment en retard et quittent aussi régulièrement plus tôt.

Ces conclusions n’étonnent pas Guillaume Joseph. « L’Enquête générale sociale de Statistique Canada évalue à 1,3 milliard par année au Canada la perte en productivité liée à cette situation, et estime qu’elle fait perdre 2,2 millions d’heures par semaine en travail productif aux entreprises et organisations, indique-t-il. Pour les travailleurs, le plus difficile est que la conciliation de leur rôle d’aidant avec le travail est peu favorisée. »

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D’abord, en parler

La démographie est responsable de la généralisation de la génération sandwich. C’est connu, la population du Québec vieillit. Les personnes de plus de 65 ans représentaient 16 % de la population en 2011. Cette proportion grimpera à 25 % en 2031, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

Les femmes ont aussi des enfants de plus en plus tard. C’est désormais chez celles âgées de 30-34 ans que l’on retrouve la fécondité la plus élevée. Et les femmes de 35 à 39 ans font plus d’enfants que celles âgées de 20 à 24 ans. Ces tendances laissent présager que la génération sandwich n’est pas près de disparaître.

Bien que la situation devienne de plus en plus fréquente, elle prend encore par surprise bien des gens, constate Mélanie Baillargeon, planificatrice financière, conseillère en sécurité financière et représentante en épargne collective au Groupe Investors, à Boucherville. « Je vois des clients qui réalisent soudainement qu’ils n’atteindront pas leurs objectifs de retraite en raison de dépenses importantes liées à ce nouveau rôle d’aidant, déplore-t-elle. Certains devront repousser leur retraite de quelques années. Pire encore, comme les gens vivent de plus en plus vieux, j’en vois aussi qui sont déjà à la retraite, et constatent qu’elle ne se passera pas du tout comme prévu. »

Dans les deux cas, elle déplore qu’il soit déjà tard pour amortir le choc de cette situation. Pour elle, la possibilité de devenir aidant devrait faire partie du plan financier dès le départ. « J’en parle dès la première rencontre avec un client, explique-t-elle. C’est la base même d’une planification financière de tenter de prévoir toutes les situations possibles. Les gens hésitent parfois à en discuter avec un conseiller, et encore plus avec leurs parents. Pourtant, c’est le manque de préparation qui risque de causer le plus de dommages. »

Chez Desjardins, la planificatrice financière Angela Iermieri soutient qu’il faut surmonter sa gêne pour discuter avec ses parents de leur situation financière le plus tôt possible. Selon elle, il peut être plus facile d’amorcer la discussion en la présence d’un conseiller. Cela rend la chose plus formelle, et assure aussi que les bonnes questions soient posées. Et des questions, il y en a !

« Quel style de vie les parents souhaitent-ils avoir en prenant de l’âge ? questionne Angela Iermieri. En ont-ils les moyens ? Veulent-ils garder la maison ? Déménager dans un espace plus petit ? Aller en résidence ? De quelles assurances disposent-ils ? Peut-on envisager en acquérir de nouvelles ? De quel appui financier auront-ils besoin ? Il faut poser ces questions pour bâtir un plan financier qui tient la route. Une mauvaise préparation aura des conséquences négatives pour toute la famille. Et la même chose s’applique aux enfants, notamment en ce qui concerne les études postsecondaires. »

Selon elle, le plus grand risque pour le client est de s’oublier dans tout cela et de négliger de préparer sa propre retraite. Le conseiller joue ici un grand rôle pour garder le cap.

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Miser sur les placements liquides

Mais personne ne dit que ce sera facile. « L’un des principaux problèmes est que cette situation réduit la capacité d’épargne-retraite des gens, dans une période où ils devraient être en train de la maximiser, déplore Sylvain Brisebois, directeur régional BMO Nesbitt Burns pour l’est du Canada. La plupart des gens aux prises avec ces difficultés ont entre 40 et 60 ans. »

Comment le conseiller peut-il s’assurer d’offrir une planification tridimensionnelle, c’est-à-dire qui tient compte de son client, mais aussi de ses enfants et de ses parents ? Il doit rapidement faire prendre conscience à son client qu’il lui faut repenser la planification de sa retraite. En effet, il devra conjuguer sa retraite, les besoins financiers des enfants et ceux de ses parents, lesquels vieilliront inévitablement et perdront une certaine autonomie.

« Ils doivent se garder de placer toute leur épargne dans des outils où elle est difficilement accessible, comme un REER ou une maison », poursuit Sylvain Brisebois.

Bien sûr, il importe d’abord de s’assurer d’avoir un fonds de réserve de quelques milliers de dollars. Mais cette situation exigera aussi de modifier la répartition des placements. « Ces investisseurs doivent choisir une plus grande part de produits financiers plus accessibles et moins volatils, mais cela leur demande aussi de renoncer à une meilleure perspective de croissance, explique Sylvain Brisebois. Cependant, l’alternative n’est pas plus rose. S’ils n’ont pas de liquidités accessibles, ils devront s’endetter, ou encore piger dans des REER, ce qui aura un impact très négatif sur leurs finances. »

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Se protéger

Autre démonstration que la prévoyance est toujours payante, par Laurie Therrien, de Services Financiers Therrien & Alain, à Québec : « Commencer tôt permet de découper un peu les responsabilités financières, plutôt que de les affronter toutes d’un coup. Par exemple, lorsque les parents des clients sont encore relativement jeunes et en bonne santé, c’est le moment de maximiser les cotisations au REEE en prévision des études des enfants. On bénéficie alors des subventions gouvernementales, et on voit l’argent croître à l’abri de l’impôt. Ainsi, quand l’enfant arrive à 18 ans, on a un bon bout de chemin de fait pour payer les études et on peut se tourner vers les besoins des parents vieillissants. »

Dernier élément incontournable : les protections, notamment l’assurance maladies graves et l’assurance soins de longue durée. Idéalement, les clients et leurs parents devraient en avoir. « On peut faire le meilleur plan du monde, mais une maladie grave affectant le client ou un de ses proches peut le faire déraper totalement si le malade n’est pas protégé adéquatement », rappelle Laurie Therrien.

Il existe de multiples formules, que ce soit des assurances maladies graves ou des assurances vie offrant une avance en cas de maladies graves. Certaines assurances vie peuvent inclure une portion de rente pour payer des soins, ou encore être carrément transformées en rente, un outil qui peut s’avérer utile pour procurer un surplus de liquidité à une personne vieillissante. Bref, le tout est d’en discuter rapidement, afin de s’assurer de payer les primes les plus basses possibles.

Sur ce plan, il y a de l’espoir, si l’on en croit Laurie Therrien. « Je constate que mes clients âgés entre 25 et 30 ans sont déjà préoccupés par des questions de sécurité financière, dit-elle. Ils sont plus ouverts à prendre des protections pour eux-mêmes, notamment les assurances soins longues durées ou maladies graves. Cela aidera leurs enfants, le moment venu. »

On peut donc espérer que les ennuis financiers de la génération sandwich ne soient pas une fatalité!

Ce texte est paru dans l’édition d’octobre 2016 de notre publication sœur Conseiller. Il est aussi disponible en format PDF.