De plus en plus prescrits, les agonistes des récepteurs du GLP-1 offre des bénéfices potentiellement larges pour la santé, mais la formation des professionnels n’est pas à la hauteur, regrette le docteur Rémi Rabasa-Lhoret, de l’Institut de recherches cliniques de Montréal et président du Conseil professionnel de Diabète Québec.

Quelle est votre impression générale de cette molécule?

Docteur Rémi Rabasa-Lhoret: C’est stupéfiant de voir comment cette molécule change, pas juste les soins, mais la relation avec les patients. C’est spectaculaire, et moi j’avais totalement sous-estimé la façon dont ça allait changer les choses. Globalement, je pense qu’il va falloir en parler avec les patients.

Est-ce que cette molécule pourrait avoir un impact sur la médecine comparable à celui des antibiotiques?

Je prends souvent comme exemple le Viagra, mais oui, c’est plus profond que la santé de la vie intime. Il y a quelque chose d’important, les études sont spectaculaires. Je ne sais pas si j’irais jusqu’aux antibiotiques, mais ça change même la façon dont les patients nous en parlent. Ça change la relation médecin-patients. Ça touche des choses très intimes, ça touche le poids. Je suis stupéfait de voir à quel point ça redéfinit nos relations. Donc je trouve qu’il y a beaucoup de bonnes choses là-dedans, mais comme toujours, souvent il y a plein d’excès autour de certaines utilisations.

Vous dites que ça redéfinit la relation entre le médecin et son patient… c’est positif ou négatif?

Je pense que c’est vraiment positif. La molécule a beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients. Mais je crois que les consultations avec les patients vont devenir encore plus longues, parce que je vais devoir leur dire, « vous savez, il y a des signaux positifs sur le cancer, mais pas sur tout, il peut y avoir un inconvénient ». Et ça, c’est vraiment une maladie, le cancer, qui inquiète beaucoup les gens. Le cancer, c’est une des choses qui font le plus peur aux gens, puis je crois que quand on va devoir leur expliquer, je pense que ça va être plus compliqué parce qu’il y a cette composante d’inquiétude et de peur.

Est-ce qu’il y a un risque que les patients débarquent dans le bureau de leur médecin à la recherche d’un miracle, en pensant que la molécule va régler tous leurs problèmes en un claquement de doigts, alors que la réalité est bien différente? 

Il faut rester prudent. J’ai rencontré un chercheur qui me disait, « pourquoi on n’en donne pas à tout le monde? ». Je lui ai dit que c’est une molécule pour la santé, ce n’est pas une molécule pour tout le monde. Un des éléments, c’est de se demander si on a bien formé les professionnels de la santé à utiliser cette molécule, et pour être franc, je ne crois pas. Ça me prend à peu près une demi-heure pour discuter avec le patient des avantages, des inconvénients. Ce n’est certainement pas une molécule qu’on peut prescrire dans des consultations à haut volume, il faut prendre le temps. Mais les attentes des patients sont très intenses. Des fois, les gens s’attendent à ce que je prescrive tout de suite. Je leur dis qu’on va faire un bilan, on va en parler. Ça peut être très émotif pour les patients.

Tout ça est un peu étourdissant.

Même moi j’ai du mal à suivre toute cette littérature. Et maintenant on attend des études sur les maladies neurodégénératives, il y a de grands essais cliniques pour voir si ça réduit l’alzheimer, imaginons une minute que ça le fasse… Ça serait incroyable. J’essaie de prendre un pas de recul, mais c’est fascinant de voir la puissance de ces molécules qui au début ont été développées pour jouer sur le pancréas, pour faire sécréter plus d’insuline seulement quand la glycémie était élevée.

Est-ce qu’il y a, ou est-ce qu’il devrait y avoir, une limite à tout ça?

Je sais ce qu’il y a dans le pipeline à Santé Canada. Écoutez, il y a des molécules, c’en est même inquiétant. Il y a une compagnie qui m’a montré des données préliminaires. Les gens fondent comme de la neige au soleil, au point où j’ai dit à la compagnie, votre slogan ça va être, « retrouvez votre poids de naissance ». Mais jusqu’où on doit aller pour faire mincir les gens, jusqu’où? Les gens finissent par confondre minceur et santé, obésité et maladie. Ça va jouer beaucoup sur la santé mentale avec des aspects très positifs. Plusieurs études suggèrent que certaines dépendances sont vraiment réduites par l’Ozempic, mais moi, je vois d’autres patients qui n’ont plus aucun plaisir et auxquels on doit l’arrêter parce qu’ils dépriment, ils ne sont pas bien avec ça. Mais je trouve que c’est une classe de molécules qui est fascinante. Il y en a une bonne dizaine dans le pipeline qui seront probablement plus puissantes. Est-ce que c’est vraiment nécessaire? Je ne sais pas. Mais un des angles morts, c’est que les gens ne se rendent pas compte qu’on est en train d’oublier la prévention de l’obésité, ce qu’on doit changer dans nos vies, ce qu’on doit faire en termes de réduire l’alimentation, d’être plus actifs, de réduire certains grignotages et ainsi de suite. Il ne faut surtout pas qu’on oublie le mode de vie, l’activité physique, la nutrition, la santé psychologique, la bonne santé du sommeil comme moyens importants de prévenir et de prendre en charge les cas les moins graves (d’obésité).

Mais c’est évident que les gens sont attirés par la facilité. C’est plus facile de maigrir en prenant un médicament qu’en faisant des efforts pour mieux manger et bouger davantage.

Si c’était facile de maigrir avec le mode de vie ou même avec des efforts, ça se saurait depuis longtemps. Et ça montre nos biais. Le problème, c’est la différence entre simple et simpliste. Moi, j’adore les choses simples, je n’aime pas me casser la tête. Mais simpliste, c’est pas la même chose. C’est des choses qui posent problème et cette molécule répond à quelque chose de beaucoup plus profond dans la société, ce que les anglophones appelleraient un « quick fix ». Mais ce n’est pas ça et ça ne devrait pas être ça. Mais tout ça pour dire que j’ai peur des excès de cette molécule, je ne pense pas qu’on va tuer la poule aux œufs d’or, mais il y a des utilisations excessives que je vois un peu partout.