Outre la création d’une agence canadienne des médicaments, Ottawa a annoncé dans son budget dévoilé mardi qu’il allait travailler de concert avec les provinces pour développer une stratégie nationale sur les médicaments de plus de 100 000 $ et les maladies rares.

Le gouvernement fédéral investira ainsi un milliard de dollars sur deux ans, à compter de 2022-2023, et jusqu’à 500 millions de dollars par année par la suite, afin d’aider les Canadiens atteints d’une maladie rare à accéder aux médicaments dont ils ont besoin.

« Le gouvernement collaborera avec les provinces et les territoires ainsi que les parties prenantes dans le but d’établir une stratégie nationale; une première étape importante vers l’élargissement de la couverture d’assurance-médicaments aux patients qui sont traités pour des maladies rares, au moyen d’un soutien fédéral », peut-on lire dans les documents du budget.

Cette mesure comprendrait la création d’une stratégie nationale sur les médicaments pour traiter les maladies rares à coût élevé dans le but de collecter et d’évaluer les données sur ces médicaments, d’améliorer la cohérence de la prise de décisions et l’accès partout au pays, de négocier les prix avec les fabricants de médicaments et de garantir que les traitements efficaces parviennent aux patients qui en ont besoin.

« Les payeurs et les patients sont de plus en plus pris à la gorge par le coût élevé de ces médicaments. Le fait d’injecter un demi-milliard de dollars par année sera d’une grande aide », a expliqué à Benefits Canada Stephen Frank, président et chef de la direction de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes (ACCAP).

Il ajoute toutefois que les détails concernant la mise en œuvre d’une telle stratégie et l’utilisation exacte de ces nouveaux fonds n’étaient pas encore connu.

« Nous disons aux provinces que nous leur enlevons un lourd fardeau sur les épaules avec ces maladies rares », a noté le ministre des Finances, Bill Morneau.

Des heureux et des mécontents

L’une des mesures phare du budget Morneau est la création d’un bureau de transition vers une Agence canadienne des médicaments. Ottawa prévoit accorder une somme de 35 M$, dès 2019-2020, pour ce faire.

Cette agence veillera non seulement à négocier de meilleurs prix, mais aussi à évaluer l’efficacité des médicaments sur ordonnance. Des pourparlers avec les provinces devraient être entrepris au cours des mois à venir à ce sujet. Selon Ottawa, la négociation de meilleurs prix devrait permettre des économies pouvant atteindre 3 G$ annuellement.

Le budget prévoit également l’élaboration d’un « formulaire national » des médicaments sur ordonnance, ce qui permettra une certaine uniformité entre les provinces concernant l’accès des patients aux médicaments.

Si certains intervenants saluent de telles mesures, d’autres les jugent nettement insuffisantes.

L’ACCAP se félicite que le gouvernement fédéral ait adopté « une optique raisonnable en matière d’assurance médicaments permettant aux assureurs publics et privés de travailler ensemble […] tout en protégeant les régimes au travail dont bénéficie actuellement la vaste majorité [des Canadiens] ».

Même son de cloche à la Fédération des chambres de commerces du Québec. « La FCCQ apprécie la volonté du gouvernement de travailler sur le régime d’assurance médicaments. Nous croyons que la meilleure façon d’y arriver est de miser sur un régime mixte qui comblera les lacunes en matière de couverture. Ce futur régime doit également être pérenne, sans alourdir le fardeau fiscal des entreprises et des contribuables canadiens », souligne Stéphane Forget, président-directeur général de la FCCQ.

L’organisme prévient toutefois « qu’un régime national qui aurait pour seul but de réduire le coût des médicaments risque de restreindre l’accès aux traitements de pointe ».

Du côté de la FTQ, on salue la création de l’Agence canadienne du médicaments, mais on insiste sur le fait qu’il s’agit seulement d’une première étape. « Mieux contrôler le coût des médicaments d’ordonnance c’est déjà une avancée, mais ce que nous réclamons, tant au fédéral qu’au Québec, c’est un véritable régime d’assurance médicaments public et universel afin de permettre à tous et à toutes d’avoir accès à sa médication sans contraintes financières. À ce sujet, Ottawa devra prendre soin de ne pas empiéter dans le champ de compétence des provinces, puisque la santé est de responsabilité provinciale », soutient le secrétaire général de la FTQ, Serge Cadieux.

La CSN se montre encore plus critique et soutient « que ce n’est pas la création d’une agence nationale pour tenter de négocier le coût des médicaments qui règlera les problèmes que nous vivons ».

Le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) se dit pour sa part « particulièrement consterné par l’absence d’actions concrètes dans le dossier de l’assurance médicaments ».

Québec met en garde Ottawa

L’intention du gouvernement fédéral d’aller de l’avant avec un régime pancanadien d’assurance médicaments alimente les tensions entre Québec et Ottawa.

La ministre québécoise de la Santé, Danielle McCann, a lancé un avertissement très clair, mercredi.

« Si le gouvernement fédéral va plus loin avec un programme d’assurance médicaments, on peut penser qu’on va utiliser notre droit de retrait avec compensation complète pour notre dossier », a-t-elle lancé en mêlée de presse.

« Ce serait certainement une avenue qu’on pourrait prendre. Nous avons un bon système d’assurance médicaments au Québec, un modèle, il fonctionne bien et dans ce sens-là, nous allons vouloir le défendre », a ajouté Mme McCann.

Et par ailleurs, « l’assurance médicaments, c’est un champ de compétence du Québec », et « pour nous, ce sera important que ce principe-là soit vraiment maintenu », a fait valoir la ministre à l’Assemblée nationale.

Sur l’autre colline, le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, a dit ne pas voir les choses du même œil.

« Je ne partage pas cette opinion-là », a-t-il signalé en mêlée de presse, mercredi, lorsqu’on a parlé d’empiétement sur le champ de compétence du Québec en matière d’assurance médicaments.

« On va avoir des discussions; moi j’ai bien hâte de parler à (son homologue québécoise) Sonia LeBel », a-t-il ajouté.

Son collègue Marc Garneau a pour sa part cherché à tempérer les ardeurs. « On reconnaît et on respecte toujours la compétence du Québec sur l’assurance médicaments. Ça, c’est toujours de mise pour nous », a-t-il offert.