Peu de promoteurs de régimes d’assurance médicaments sont conscients de l’incidence de certaines décisions du gouvernement sur la hausse des coûts de leur régime. Au Québec, contrairement aux autres provinces, le gouvernement impose aux régimes privés une liste de médicaments obligatoires, qui inclut des traitements très coûteux pour des maladies rares, et un remboursement minimal de 65 %, qui augmente à 100 % lorsque le plafond annuel de déboursés de 1 161 $ est atteint. Voilà qui explique pourquoi le coût annuel moyen par réclamant est plus élevé pour les assurés des régimes privés d’assurance médicaments que dans d’autres provinces. Sans parler des honoraires non contrôlés.

Et, de façon plus insidieuse, le gouvernement prend d’autres décisions qui menacent la viabilité financière des régimes privés. La capacité de payer de ces derniers a des limites et à défaut d’en prendre conscience, le gouvernement fera face à un nombre croissant de promoteurs qui termineront leur régime, se mobiliseront pour faire modifier les règles ou exigeront la fin du régime mixte (RGAM).

Ententes d’inscription (PLA) et formulaire obligatoire pour les régimes privés

Les régimes publics bénéficient d’ententes négociées par l’Alliance pancanadienne pharmaceutique (APP). Sans modifier le prix officiel des médicaments, les manufacturiers consentent des conditions ou réductions de coûts payées directement à chacune des provinces, qui influencent la décision de chacun des régimes publics d’inscrire ce médicament à leur formulaire (Price Listing Agreement ou PLA).

Telus Santé a estimé que 405 ententes, portant sur 183 produits au Québec, pourraient représenter une réduction des coûts de 17 %. Mais les régimes privés ne bénéficient pas des ententes négociées par l’APP et de ces réductions de coûts.

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes dit vouloir s’asseoir à cette table, mais ce n’est dans l’intérêt de personne :

  • Les provinces sont conscientes que les rabais obtenus sont supérieurs à leur juste part parce que les manufacturiers ne les paient que pour les régimes publics ;
  • Les manufacturiers n’ont pas intérêt à payer ces rabais à 100 % des patients, en incluant ceux assurés par des régimes privés ;
  • Les rabais ont un impact sur la profitabilité et la concurrence entre assureurs : ils seront réticents à mettre leur volume en commun pour négocier avec les manufacturiers.

Toutes les provinces se fient aux recommandations de l’Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé (CADTH). Sauf le Québec, qui confie un mandat similaire à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Notons que l’INESSS ne connait pas les termes des ententes négociées par l’APP : ses comparaisons entre médicaments et recommandations ne tiennent pas compte des rabais négociés par l’APP, ce qui est un problème. Environ une fois sur deux, l’INESSS recommande l’ajout d’un médicament à la liste obligatoire à la condition d’une atténuation du fardeau économique : les manufacturiers doivent consentir une réduction du coût de revient, pour améliorer le ratio coûts-bénéfices et ainsi obtenir l’inscription du médicament à la liste obligatoire (régulière et d’exception).

Contrairement aux autres provinces, le gouvernement du Québec impose cette liste obligatoire aux régimes privés. Il bénéficie donc d’une plus grande capacité de négociation avec les manufacturiers. En date du 31 mars 2021, selon Telus Santé et le Rapport annuel de la Régie de l’assurance maladie du Québec 2020-21, le ministère de la Santé et des Services sociaux avait des ententes pour 183 produits (contre 138 en 2020) qui représentaient des coûts admissibles de 285,9 M$ en 2021 dans le portefeuille de Telus Santé au Québec, soit 24,2 % des coûts totaux. Rappelons que les manufacturiers paient une compensation uniquement au gouvernement : les régimes privés ne bénéficient nullement des réductions de prix, même si les négociations tiennent compte de leur volume d’affaires.

C’est donc sur une base individuelle que certains assureurs négocient le prix de ces médicaments avec les manufacturiers. Mais quel pouvoir ont-ils quand le gouvernement leur impose l’obligation légale de les rembourser ? Les assureurs nationaux sont avantagés par leur volume d’affaires au Canada, car dans les autres provinces, ils sont libres de couvrir ou non ces médicaments. Ces assureurs, qui ont davantage de capacité de négocier des ententes avec les fabricants, sont donc en mesure de potentiellement réduire les primes payées par leurs clients, ce qui leur donne un avantage concurrentiel sur le marché. Pour que cela soit possible, les promoteurs doivent toutefois être libres de confier la gestion de leur régime à l’assureur de leur choix : plusieurs régimes syndicaux ont l’obligation de confier la gestion de leur régime à des assureurs québécois, notamment lorsque le Conseil du Trésor est preneur…

Telus Santé estime que 1,4 % des réclamants sont responsables de 34 % des coûts. Express Scripts Canada estime que les médicaments de spécialité (coût annuel de plus de 10 000 $ par réclamant) représentent 0,7 % des demandes de remboursement, mais 27 % des coûts. Des rabais pour un nombre limité de médicaments coûteux, notamment pour traiter des maladies rares, le cancer, le diabète et les troubles inflammatoires représentent des économies potentielles importantes pour les régimes.

Plusieurs médicaments très coûteux viennent d’être ajoutés à la liste obligatoire de la RAMQ, par exemple Brukinsa. Ce médicament a pourtant été rejeté par CADTH, qui estime que des rabais de l’ordre de 93 % à 95 % doivent être consentis par le manufacturier pour en justifier le remboursement. Est-ce que d’autres régimes publics à l’extérieur du Québec accepteront de le rembourser ? On peut en douter. Est-ce que les assureurs contrôleront les honoraires réclamés par les pharmaciens pour dispenser Brukinsa ?

Les promoteurs de régime doivent se mobiliser pour que le gouvernement les fasse bénéficier de ses ententes de rabais, ou alors qu’il cesse de leur imposer des médicaments qui n’offrent pas le même ratio coût-bénéfice pour le régime public que pour les régimes privés.

Soyons clairs : nous comprenons que tout individu qui sait qu’un traitement est disponible pour sa condition exige de l’obtenir. L’enjeu est de convenir, comme société, de la meilleure façon de financer certains médicaments très coûteux. La situation actuelle au Québec est inéquitable et financièrement invivable pour les régimes privés.

Le gouvernement fédéral vient de s’engager à améliorer l’accès aux médicaments pour les maladies rares, en payant aux provinces 1,5 G$ sur trois ans. Comment le Québec a-t-il l’intention de partager ces sommes avec les régimes privés qui assurent ces patients ? Et si les assureurs gèrent cet argent, comment garantir que les sommes seront entièrement créditées aux groupes dont les assurés sont visés par ce programme, au prorata de leurs coûts pour chacune des molécules ?

Les promoteurs doivent dès maintenant se réveiller et agir pour bénéficier de l’argent d’Ottawa.

Le cas des patients d’exception

Un « régime catastrophe » est offert dans toutes les provinces, sauf le Québec. Ce régime prend en charge les coûts des médicaments lorsque les dépenses de l’assuré excèdent un certain pourcentage de son revenu annuel.

Au Québec, iI n’y a aucun appétit pour un régime catastrophe puisque les règles du RGAM limitent le risque financier à 1 161 $ par adulte par année, peu importe ses revenus, et que les régimes privés ont l’obligation de rembourser au minimum à hauteur de 65 % une liste de médicaments, qui inclut des traitements très coûteux pour les raisons décrites précédemment. Seuls les assurés de 65 ans et plus peuvent bénéficier d’une « coexistence » et d’une coordination des bénéfices entre le régime public et un régime privé.

Même lorsque le médicament n’est pas inscrit au formulaire obligatoire, les régimes privés peuvent être forcés de le rembourser, selon certains critères. Le Québec est la seule province qui a adopté une loi sur les « patients d’exception ». Dès que le régime public accepte une demande, ce précédent force les régimes privés à rembourser le même médicament, aux mêmes conditions et selon les paramètres obligatoires du RGAM : minimum de remboursement de 65 % et déboursé annuel maximum de 1 161 $.

Un exemple de précédent a été le médicament biologique Soliris. Lorsque les deux premières réclamations ont été présentées à deux assureurs, elles ont été refusées. Les assurés ont menacé de poursuivre leur assureur, invoquant qu’ils auraient été remboursés s’ils avaient été assurés par la RAMQ. Après discussion entre assureurs, Soliris a été remboursé à ces deux assurés : on évite les frais juridiques et la majorité des coûts seront mutualisés, de toute façon. Depuis, tous les régimes privés du Québec remboursent Soliris, le médicament le plus coûteux pour la Société de compensation en assurance médicaments du Québec (SCAMQ) : 16,8 M$ en 2020. Notons que Soliris est dispensé par les mêmes pharmacies que Vimizim, Brukinsa et autres médicaments ayant fait l’objet d’honoraires de 100 000 $ et plus.

Au Québec, la réalité du régime public est différente des autres provinces : il est plus facile d’être généreux pour éviter de « faire la première page des journaux » pour cause de non-couverture d’un médicament lorsqu’on fait assumer les conséquences financières de ses décisions à 50 % de la population assurée par un régime privé. Des considérations autres que cliniques influencent les décisions de l’INESSS et de la RAMQ, incluant celle d’éviter d’augmenter la prime du régime de la RAMQ, actuellement fixée à 710 $ pour les personnes non admissibles à un régime privé, qui ne reçoivent pas de Supplément de revenu garanti. La prime est de 0 $ pour les enfants, les étudiants à temps plein de 18 à 25 ans, les prestataires d’une aide financière de dernier recours, les autres détenteurs d’un carnet de réclamation et les personnes de 65 ans ou plus recevant au moins 94 % du Supplément de revenu garanti.

Peu de Québécois lisent le rapport annuel de la RAMQ, qui confirme que le Fonds consolidé verse l’équivalent de 61 % des coûts du régime public, et que la prime payée par les 65 ans et plus est comptabilisée dans le calcul de la prime des adhérents, alors que leurs coûts ne le sont pas. La prime du régime de la RAMQ ne respecte pas les principes de l’assurance. Elle est subventionnée par les contribuables, incluant les assurés des régimes privés qui finissent par payer en double. Les promoteurs seraient très heureux de bénéficier d’une « subvention » lorsque confrontés à des assurés qui demandent pourquoi leur prime d’assurance, basée sur les coûts réels, est si élevée…

Mise en commun : SCAMQ et EP3 (SCMAM)

Les patients d’exception ont un impact considérable sur la mise en commun et la prime que les promoteurs de régimes privés ont l’obligation de payer, pour les groupes de moins de 6 000 certificats. Les statistiques publiées par la SCAMQ dans son top 10 des médicaments mutualisés en 2020 qui excèdent 300 000 $ par certificat confirment que la majorité de ceux-ci sont non-inscrits au formulaire obligatoire, donc potentiellement payés à des patients d’exception : 87 certificats ont coûté 48 M$, donc en moyenne environ 550 000 $ par certificat.

Les règles de partage des coûts mutualisés sont décidées par les assureurs et basées sur un pourcentage des ventes ou des parts de marché : elles ne favorisent pas un contrôle de ce que l’assureur envoie dans le pot, au contraire. En principe, l’assureur déclare ses coûts nets de rabais : pourquoi payer une équipe pour négocier des rabais avec les manufacturiers de médicaments s’il doit les « partager » avec des assureurs qui font moins d’efforts pour réduire leurs coûts ? Juste pour améliorer son « pool » interne alors qu’il n’y a aucune transparence et que les clients n’ont aucune garantie qu’ils recevront leur juste part des rabais, au prorata de ce qu’ils ont payé pour les médicaments ayant fait l’objet de rabais ?

La SCAMQ assume une grande partie des honoraires de pharmaciens parfois exorbitants remboursés par les assureurs qui n’exercent pas les contrôles appropriés. Tout comme les coûts des médicaments non inscrits sur la liste obligatoire et en vente libre parce que le régime décide d’être généreux et de rembourser à 100 % tout ce qui est prescrit, pendant que d’autres promoteurs font tout pour contrôler leurs coûts. Et les biologiques originaux parce que ni l’assureur, ni le promoteur, n’ont jugé pertinent de maximiser l’utilisation de biosimilaires dont le prix est dans certains cas moitié moins élevé que celui d’un biologique original.

La Société canadienne de mutualisation en assurance médicaments (SCMAM), elle, s’inquiète de la proportion que représentent les coûts des médicaments onéreux, alors que 1,6 % des assurés sont responsables de 37 % des coûts des médicaments payés. Les maladies rares représentent à elles seules un cinquième (21 %) des dépenses engagées pour des médicaments onéreux. Pourtant, au Québec, la SCAMQ n’envoie aucun signal d’alarme et les statistiques publiées sur son site suggèrent une réalité bien différente de celle de la SCMAM.

Étonnamment, personne ne semble s’inquiéter des coûts qui sont mutualisés ni de l’évolution du coût de la prime de la SCAMQ.

Les régimes publics, un modèle pour contrôler certains médicaments

Les régimes privés ont une responsabilité de gouvernance. Pourtant, en 2022, Telus Santé a confirmé que l’autorisation préalable ne s’appliquait pas à 16 % des certificats : une aberration quand on considère que ce contrôle est exigé par tous les régimes publics et pour un nombre beaucoup plus élevé de médicaments.

Le Québec et d’autres provinces ont éliminé les formulaires d’autorisation, car tout se gère de façon électronique, en temps réel. Le secteur privé a parfois des allures de dinosaure : un plus grand nombre de médicaments coûteux pourraient être gérés rigoureusement si les assureurs se dotaient de systèmes plus performants et épargnaient aux assurés l’obligation de fournir un formulaire papier. Au pire, qu’ils négocient avec la RAMQ afin d’utiliser son système et ses services d’autorisation préalable…

Les régimes publics ont tous introduit des contrôles pour gérer certains médicaments. Par exemple, certains médicaments pour traiter le diabète, mis en marché sous un autre nom pour la perte de poids, sont prescrits hors indication, à une dose plus élevée que celle recommandée : Ozempic (Wegovi), Victoza (Saxenda) et Trulicity (pas encore d’équivalent pour la perte de poids). La RAMQ ne rembourse pas ces médicaments contre l’obésité.

Votre contrat inclut-il une clause spécifique pour les traitements liés à l’obésité ? Comment votre assureur gère-t-il ces médicaments ? Avez-vous analysé vos statistiques récemment ? Weight Watchers vient d’inclure la prescription de ces médicaments dans sa stratégie aux États-Unis : vous êtes prévenus.

Dans le contexte inflationniste actuel, les employeurs doivent optimiser chaque dollar de rémunération globale. Ça inclut l’assurance médicaments, et ça veut dire de se tenir au courant de l’évolution du régime public et identifier, avec l’aide de son conseiller et de son assureur, les opportunités et les changements qui s’imposent.

On doit repenser les cahiers des charges, les statistiques disponibles et les éléments discutés lors de rencontres avec les assureurs finalistes (et y consacrer le temps nécessaire) pour optimiser son régime, le faire évoluer et choisir le meilleur assureur pour le gérer.

Choisir un assureur, c’est trouver un partenaire qui partage votre vision de l’assurance médicaments, de la gestion des transactions et votre volonté d’assurer la viabilité financière de votre régime, en contrôlant ce qui peut l’être. Ça devrait être plus qu’une négociation de frais d’administration.

Gardons en tête la règle de Pareto : 20 % des réclamants sont responsables de 80 % des coûts. On doit identifier les problèmes et sources de croissance des coûts, pour adopter des solutions ciblées et augmenter le retour sur l’investissement d’un nombre limité de médicaments.

Et surtout, les promoteurs de régimes privés doivent se mobiliser et exiger les changements qui s’imposent. Il en va de la viabilité financière et de la survie des régimes privés d’assurance médicaments.

Johanne Brosseau est consultante et experte en assurance médicaments