Au Québec, contrairement aux autres provinces, le gouvernement impose des règles et contraintes aux régimes privés d’assurance médicaments. Règles et contraintes qui se font particulièrement sentir lorsque les assurés de ces régimes achètent des médicaments à la pharmacie. Dans le présent article, nous expliquerons les enjeux qui en résultent. Une lecture qui s’impose pour comprendre pourquoi les primes d’assurance médicaments augmentent sans cesse. 

L’auteure, Johanne Brosseau, est consultante, experte en assurance médicaments

Dans toutes les provinces à l’exception du Québec, les montants facturés par les pharmacies aux assurés des régimes privés sont contrôlés grâce aux mesures suivantes.

  • Honoraires affichés en pharmacie, donc le patient peut comparer, mais la marge (profit, qui tient compte des frais d’exploitation de la pharmacie) peut varier et n’est pas affichée ;
  • Montant maximum programmé dans le système de l’assureur, négocié par l’adjudicateur ou décidé par le promoteur (fee and margin cap) : les assureurs ont introduit systématiquement ce contrôle avec les cartes médicaments. L’assuré paie un excédent si le pharmacien facture des honoraires ou une marge plus élevée que le maximum programmé.

Cela fait en sorte que les décisions des régimes publics ont peu ou pas d’incidence sur les régimes privés dans les autres provinces.

Mentionnons que le Québec est la seule province où :

  • Il faut être pharmacien pour être propriétaire d’une pharmacie, ce qui freine la concurrence, car il est difficile pour d’autres chaînes de s’implanter. Elles doivent modifier leur modèle basé sur un « gérant » qui assure la gestion de la pharmacie de la chaîne.
  • Les pharmaciens propriétaires ont l’obligation d’appartenir à un syndicat, l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP), et de payer une cotisation.

Est-ce qu’abolir ces deux spécificités forcerait les chaînes de pharmacies du Québec à évoluer, comme dans les autres provinces où les honoraires sont plus bas, car la concurrence est féroce ? Probablement.

Fixe au public, variable au privé

Dans le régime public d’assurance médicaments du Québec, géré par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), le montant réclamé par la pharmacie aux assurés est négocié avec l’AQPP et prévoit que la pharmacie réclame le coûtant de l’ingrédient qui inclut les frais du grossiste, 0 % de marge bénéficiaire et environ 9,60 $ d’honoraires par ordonnance, peu importe la pharmacie ou le prix du médicament.

De plus, le gouvernement négocie avec les manufacturiers le prix de tous les médicaments inscrits sur la liste obligatoire. Et il impose un maximum de frais de distribution aux grossistes, qui varie peu entre pharmacies. Si le grossiste appartient à la chaîne de pharmacies, ces dernières ont droit à un partage des bénéfices.

Le montant réclamé aux assurés de la RAMQ, pour la même ordonnance, ne varie donc pas entre pharmacies : inutile de « magasiner » et de comparer les montants réclamés entre pharmacies.

En d’autres termes, la RAMQ paie la pharmacie 9,60 $, peu importe le coût du médicament. La RAMQ accepte de payer des honoraires distincts pour une vingtaine de services « cognitifs » qui incluent notamment l’administration d’un médicament en situation d’urgence ou alors pour en démontrer l’usage approprié, l’ajustement d’une ordonnance pour l’atteinte des cibles thérapeutiques, etc.

Les pharmaciens estiment qu’en vertu de la nouvelle entente négociée par l’AQPP avec la RAMQ, ils ne sont pas payés suffisamment pour les médicaments coûteux. La priorité de l’AQPP est, semble-t-il, d’obtenir des honoraires plus élevés sur des milliards de transactions, pas de régler le problème de quelques pharmacies de spécialité qui dispensent des médicaments très coûteux. Pour compenser, ces pharmacies peuvent facturer des honoraires annuels de plus de 200 000 $ à un réclamant assuré par un régime privé alors qu’elles facturent 1 000 $ d’honoraires à la RAMQ, pour le même traitement. Nous y reviendrons.

Le ministère de la Santé et des Services sociaux, la RAMQ et le Conseil du trésor en sont conscients. De 2015 à 2019, en moyenne, un médicament prescrit coûte 17,6 % plus cher aux Québécois couverts par une assurance médicaments privée, comparativement aux personnes qui sont assurées par le régime public, selon une étude de l’Université de Montréal.

Pour les médicaments vendus au Québec en 2021, Telus Santé a estimé qu’en moyenne, les honoraires des pharmaciens étaient de 19,49 $ par ordonnance dans les régimes privés, soit plus du double de la RAMQ.

Puisque ce mode de fonctionnement permet au gouvernement de limiter la hausse des coûts et de la prime pour le régime public, il ne faut pas trop compter sur lui pour régler ce problème.

Des promoteurs de régime vous diront combien il est difficile d’implanter des mesures de contrôle des coûts lorsque le Conseil du trésor est partie prenante du contrat, car sa priorité semble être le contrôle des coûts pour le régime public seulement.

Pour ce qui est des régimes privés au Québec, les assureurs ont négocié avec l’AQPP une entente basée sur le prix « usuel et coutumier » (article 5.04 de l’entente).

Les assureurs comptent sur une libre concurrence pour réguler les prix, mais dans les faits, les achats de médicaments en pharmacie y échappent, notamment parce que les assurés ne comprennent pas que les prix varient entre pharmacies et qu’ils ne paient qu’une fraction du montant réclamé. Depuis le 15 septembre 2017, les pharmaciens ont l’obligation de détailler plusieurs éléments sur les reçus de médicaments émis pour les médicaments couverts par la RAMQ, mais la majorité des assurés ne les regardent pas.

Le coûtant de l’ingrédient est négocié par le gouvernement donc ne varie pas entre pharmacies. Par contre, les honoraires et la marge de profit varient parfois de centaines de dollars : l’AQPP interdit de dissocier ces deux éléments et suggère que les pharmacies ne font pas de profit.

Le cas des médicaments coûteux

Contrairement à toutes les autres provinces, au Québec, les assureurs n’ont pas programmé de montants d’honoraires et de marges maximums dans leur système. L’algorithme, programmé par défaut par l’adjudicateur et dont on refuse de dévoiler les valeurs, ne prévoit pas un montant maximum admissible : cela permet à certaines pharmacies de facturer plus de 200 000 $ d’honoraires et de marge à un patient, par exemple 20 % d’un traitement annuel qui coûte un million de dollars. Et les assureurs qui n’ont pas implanté de contrôles les remboursent. Les plaintes concernant ces frais doivent être adressées à l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) ou à l’AQPP, en vertu de l’entente que les assureurs ont accepté de signer. Des données personnelles sont requises pour porter plainte (nom du patient, nom de la pharmacie, etc.), donc il appartient aux assureurs d’identifier les cas d’abus et de les soumettre au Syndic de l’OPQ ou à l’AQPP. Et à ces dernières de gérer les plaintes, dans le meilleur intérêt des patients.

Ajoutons que les patients sont forcés d’acheter certains médicaments très coûteux dans quelques pharmacies, qui bénéficient d’une entente exclusive avec un distributeur choisi par le manufacturier pharmaceutique. L’AQPP et l’OPQ en sont conscients, mais ne semblent pas prendre les moyens nécessaires pour que cette pratique cesse. Même si cela contrevient à la Loi sur l’assurance médicaments, à la Loi de la pharmacie et au code de déontologie des pharmaciens. Même si, ironiquement, l’entente avec l’AQPP interdit aux assureurs de faire du dirigisme et stipule qu’en tout temps, l’assuré doit être libre de choisir sa pharmacie (article 5.00).

Idéalement, il faudrait que tous les assureurs implantent un montant maximum de marges et honoraires, pour tous les promoteurs de régime. En l’absence d’un contrôle systématique par l’industrie de l’assurance pour contrôler efficacement les frais d’honoraires et de marges des pharmacies, les promoteurs doivent individuellement implanter un algorithme personnalisé (montant maximum admissible), qui tient compte du coûtant de l’ingrédient (même que celui de la RAMQ), d’un pourcentage maximum de marges, d’un montant maximum d’honoraires, et surtout, jusqu’à concurrence d’un montant total maximum.

Les assurés dont le régime prévoit un montant maximum admissible subissent les conséquences du contrôle, car ils sont une minorité et doivent payer la différence entre le montant maximum qui résulte de l’algorithme et celui facturé par la pharmacie. Et rappelons que cette dernière est entièrement libre de facturer ce qu’elle veut en vertu de l’entente signée par les assureurs avec l’AQPP.

Telus Santé a démontré que les honoraires facturés par les pharmacies du Québec aux régimes privés sont 20 % plus élevés, en moyenne, qu’aux régimes privés en Ontario.

Dans ce contexte, pour contrôler les honoraires au Québec, l’algorithme devra prévoir un montant d’honoraires et de marge beaucoup plus élevé qu’en Ontario, pour éviter de faire payer des excédents à tous les assurés. Et les assureurs devront admettre que cette situation résulte de leur absence de contrôles, pendant des années. Idéalement, il faudrait faire comme la RAMQ et contrôler le montant réclamé par le pharmacien. Mais dans la section suivante, vous verrez combien c’est difficile !

Tous les promoteurs s’attendent à réduire leurs coûts avec les biosimilaires. Dans l’édition de mai d’Avantages, vous comprendrez pourquoi vous risquez d’être déçus, à moins d’implanter un contrôle sur les honoraires facturés par les pharmacies. Attendez-vous à ce que les économies soient moindres que l’écart réel de coûts entre les biologiques originaux et leurs biosimilaires.

Analysez vos rapports, identifiez les traitements annuels par réclamant les plus coûteux et exigez de savoir le montant d’honoraires que votre régime a payé en sus du coûtant de l’ingrédient : vous constaterez que c’est impossible et voici pourquoi. 

Entente de l’AQPP avec les tiers payants

Au nom des promoteurs de régime, leurs clients, les assureurs négocient une entente avec l’AQPP. Plusieurs clauses de cette entente feraient sourciller les promoteurs s’ils pouvaient en prendre connaissance. Par exemple :

  • Clause 18.01 qui interdit aux assureurs de divulguer les honoraires et la marge, séparément du coût de l’ingrédient. Malgré la défaite de l’AQPP en première instance et en appel devant les tribunaux, qui ont statué que les pharmacies avaient l’obligation de fournir ces informations. Elles doivent être imprimées sur le reçu remis aux assurés, mais combien d’entre eux le regarde, pour prendre conscience de ce que le pharmacien a facturé en sus du coûtant du médicament ?
  • Clause 5.01 iii) qui prévoit que le promoteur peut demander à l’assureur de gérer des approches qui favorisent certaines pharmacies (par exemple, un pourcentage plus élevé de remboursement pour une pharmacie postale dont les prix sont plus bas)
  • Clause 7,01 qui prévoit un comité pour étudier les honoraires facturés pour des médicaments coûteux, mais visiblement, rien n’a été réglé…

L’entente a pris fin le 31 mars 2023, mais a été renouvelée pour 12 mois parce que les assureurs n’y ont pas mis fin le 1er janvier dernier, soit 120 jours avant la date d’expiration.

Les assureurs disent n’avoir aucun pouvoir de négociation, mais s’entêtent à signer une mauvaise entente avec l’AQPP, qui ne prévoit pas un montant maximum d’honoraires. Il leur suffirait d’implanter un algorithme avec les mêmes valeurs que la RAMQ, pour tous les régimes privés : les assurés devront payer la différence, sans cumuler ces excédents dans le maximum 1 161 $ par adulte, tel que permis par l’article 8.2 de la Loi sur l’assurance médicaments. Parions que l’AQPP aura soudainement plus d’ouverture à négocier un montant maximum admissible plus « raisonnable ».

Les négociateurs, nommés par les promoteurs de régimes privés, seraient enfin traités comme des partenaires qui acceptent de payer plus que la RAMQ, surtout sur des médicaments coûteux, mais pas des honoraires excessifs.

À la table de négociation, l’AQPP prévient qu’elle pourrait décider de ne plus accepter les cartes médicaments. Qui souffrirait le plus des conséquences d’un tel geste ? L’assuré, ou le propriétaire de pharmacie, qui devra assumer la responsabilité du refus de la carte, percevoir la totalité du coût de l’ordonnance auprès du patient et payer des frais de gestion du numéraire ou des frais marchands sur les cartes de crédit ? Parions que cette guerre serait de courte durée, si l’AQPP s’exécutait.

Services cognitifs et piluliers

La RAMQ paie des services cognitifs, en sus des honoraires de 9,60 $. L’AQPP affirme que les honoraires facturés aux régimes privés sont plus élevés parce que ces services cognitifs sont « mutualisés », c’est-à-dire inclus dans le prix « usuel et coutumier ». Pourtant, le gouvernement a forcé les régimes privés à rembourser plus d’une dizaine de services cognitifs, en sus du prix « usuel et coutumier ». Le gouvernement dit ne pas vouloir s’immiscer dans les relations entre l’AQPP et les régimes privés, mais il le fait constamment, sans tenir compte de leur réalité, notamment en leur imposant de rembourser des services.

Les honoraires facturés pour des piluliers (dosettes) sont convenus par le gouvernement avec l’AQPP. Les assureurs exercent peu ou pas de contrôle sur les piluliers : les promoteurs seraient surpris par le nombre de piluliers qui leur sont facturés et les frais d’honoraires liés, soit les mêmes que ceux facturés aux 30 jours, par médicament dans le pilulier, mais aux 7 jours.

En conclusion, les promoteurs de régimes privés d’assurance médicaments doivent exiger que les assureurs cessent de signer, en leur nom, une entente avec l’AQPP qui ne prévoit pas un montant maximum d’honoraires. Et tous les assureurs doivent implanter au Québec les mêmes contrôles que dans les autres provinces. Certaines pharmacies exagèrent parce que les assureurs les ont laissé faire.

Si les promoteurs se mobilisent, réussiront-ils à faire évoluer l’environnement réglementaire et le modèle d’affaires des pharmacies au Québec, comme dans les autres provinces ? Poser la question, c’est y répondre.